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"Pas gay, la cité"

Publie le jeudi 8 octobre 2009 par Open-Publishing

Portrait

Portrait. Brahim Naït-Balk. Ce quadra musulman révèle le calvaire que lui a valu son homo-sexualité dans la cité d’Aulnay où il a grandi.

Par DIDIER ARNAUD

Il s’appelle Brahim. Il a gardé son secret des années. Ne l’a confié qu’à son livre. D’une écriture fluide, il raconte avec pudeur les émois d’un adolescent qui n’ose pas dévoiler son orientation sexuelle. « Toute ma vie, j’ai fait croire aux gens ce que je n’étais pas », raconte-t-il. « J’aurais rêvé d’être un homo français de souche, j’aurais moins souffert. » La sortie du bouquin angoisse beaucoup Brahim. Crainte que son histoire ne choque ses proches, d’être l’objet de quolibets.

Brahim est un type fin et sec. Cheveu court, regard vif, pantalon à rayures. Il s’exprime bien. Il commence souvent ses phrases par : « A un moment donné », comme s’il n’en finissait pas de dire qu’il franchissait des rivières d’embûches quotidiennes. Il raconte tout ça doucement au restaurant, commande une entrecôte-frites et une salade avec du foie gras. Une entorse pour un type qui se surveille, et ne dédaigne pas le vin de Bordeaux. Il a l’allure élégante de celui qui n’a jamais arrêté le sport. « Le corps d’un type de 20 ans qu’il aime montrer », rit un proche. Adepte du jogging matinal ou nocturne, au moins une heure et demie par jour.

C’est un hyperactif, qui s’oublie dans les activités. Il entraîne le Paris Foot Gay , anime une émission de radio hebdomadaire, Homo micro, sur Fréquence Paris plurielle. Il est aussi directeur départemental dans une association pour handicapés dans les Hauts-de-Seine.

L’homosexualité, dans les cités, c’est pour lui un « handicap ». Qu’il tâche de réparer. « A la radio, au foot, j’essaie de donner la pêche aux gens, mais je ne suis pas heureux au fond de moi », dit-il. Lucide, il ajoute : « Je sais que je n’irai pas loin comme ça. » Un copain trouve Brahim indécis, trop gentil, ne sachant pas choisir, ni refuser. Il accepte de travailler, même le dimanche. Du coup, il finit sur les rotules, s’endort quand on lui parle. Une nouvelle prison - cette suroccupation - a remplacé l’ancienne.

La cité était son ancienne taule.

Dans sa famille, son quartier, sa culture, « l’homosexualité est maudite. J’étais emprisonné ». Le sexe est tabou, il se vit avec violence. On ne se montre pas en couple, une fille qui sort avec un garçon se fait traiter de pute. La religion musulmane condamne l’homosexualité. Les parents l’acceptent rarement et les plus jeunes l’abhorrent. Une seule solution pour la vivre : partir. Impossible à concevoir pour Brahim, dans son rôle de chef de famille de l’époque. Il est le remplaçant du père, ancien mineur de fond reparti au Maroc, et doit s’occuper de ses sept frères et sœurs. Surtout, ne pas se montrer, ne pas « s’afficher ». Sinon, c’est la « hshouma », pour Brahim (la honte). « Je me vois comme un prisonnier qui vient de purger une longue peine : partagé entre un fort sentiment de délivrance et [celui] d’avoir raté le coche du bonheur »,écrit-il dans son livre.

En témoignant, « à un moment donné », il veut permettre aux jeunes gays en détresse de franchir le pas, d’éviter de donner du grain à moudre à cette « fabrique de frustrés ». Il se souvient, adolescent, être allé « ennuyer un couple d’homos. On ne se rend pas compte du mal qu’on fait ». Il souhaite enfin raconter comment la mère de son ex-petit copain, d’origine maghrébine comme lui, n’avait qu’une seule crainte, que son fils ne soit pas « un homme ». « Tant qu’on est actif, ça passe », synthétise Brahim.

Dans son livre, Brahim aborde l’épisode terrible de viols subis dans la cité des 3 000 à Aulnay-sous-Bois, il y a vingt ans.

Des types, qui avaient, selon son expression, « flairé » son orientation sexuelle, l’ont entraîné dans une cave, à tour de rôle. Il est l’un des premiers à témoigner ouvertement de cette histoire. La honte, toujours. Il n’en a soufflé mot à personne. Il ne reste pas trace de cette histoire, pas plus que de témoins. A l’époque, il n’a pas porté plainte, de peur d’être catalogué homo. « Les filles qui subissent des tournantes, elles ne portent pas plainte non plus »,se justifie Brahim. Il rêve que cette situation évolue. « Quand il a commencé les émissions à la radio, il parlait de sport et ne se disait pas homo. Mais on sentait une souffrance, on ne savait pas ce que c’était exactement », explique Sylvain, chroniqueur, qui le connaît depuis sept ans. Un ami de vingt ans : « Ça nous paraît un peu irréel qu’il sorte cela dans un livre, mais s’il l’a fait, c’est qu’il devait en avoir besoin. » Contacté par téléphone, son frère dit que s’il savait pour l’homosexualité, il n’était pas au courant pour les viols. Brahim explique qu’il ne voulait pas passer pour une victime.

Ce qu’on sait, c’est que Brahim a sauté le pas : du plus grand secret à la confession publique. A confesse pour la télévision - il a pleuré sur le plateau - et la radio. Sur ces agressions, il n’est plus avare de détails, n’a pas peur de s’exposer, ce qui ne laisse pas d’étonner. Cela l’aidera-t-il ? « Ma crainte, c’est d’exploser plus tard, de me foutre en l’air », répond-il. Il veut aussi signifier à ceux qui l’ont « détruit », le traitant de « sale pédé », qu’ils ont un léger problème avec leur propre sexualité. Ce n’est pas gagné.

Brahim raconte qu’il a croisé l’un de ses agresseurs qui l’avait vu sur Pink TV, et regardé d’un air mauvais en lui disant : « T’as pas honte de t’afficher ? »Il a encore peur. D’être confronté à son passé, lorsqu’il passe près de la zone industrielle d’Aulnay. Il craint que ses propos soient mal « interprétés » et réduisent la banlieue à ses caricatures. Ne veut pas passer pour un traître à ses origines.

Récemment, il a vécu une histoire d’amour malheureuse. Aujourd’hui, il vit encore chez sa mère. Qui l’a accepté comme il est. Son émission de radio est une échappatoire. Ton rafraîchissant, pas formaté. On y entend aussi bien un exposé sur les « mères castratrices » dans la littérature que la chronique du concert de Mylène Farmer.

Brahim ne s’autorise pas de loisirs. Il s’est quand même retrouvé en lisant la Sale Vie, le livre-confession de Frédéric Mitterrand. Le racisme ? « On me traitait de Noir, de Banania, mais je préférais souffrir de ce racisme-là que d’être traité de sale pédé. » Il n’est pas croyant. « Mais si tu ne fais pas le ramadan, t’as la honte. » A la question pour qui vote-t-il ?, il répond diplomatiquement. Il est employé du conseil général des Hauts-de-Seine, à droite. « J’ai été déçu par la gauche, SOS Racisme c’était un mouvement où il y avait de l’enthousiasme. J’ai vite compris ma douleur. On a été utilisés. Le social, on le trouve aussi à droite. » Il juge Delanoë courageux, trouve que Karoutchi s’y est pris un peu tard. Il pense que la droite devrait lâcher du lest sur le mariage gay. Ses copains ont du mal à lui donner un âge. Lui, il dit qu’il n’a pas eu de jeunesse.

Rectificatif : Dans Libération de vendredi, un très regrettable bug informatique nous a fait inverser les noms des personnes portraiturées. Le portrait de vendredi était celui d’Arthur et non de Brahim Naït-Balk. Nos excuses aux deux intéressés.

http://www.liberation.fr/societe/0101594886-pas-gay-la-cite