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Cesare Battisti : histoire d’un ratage

Publie le mardi 31 août 2004 par Open-Publishing

par Laurent Chabrun, Jean-Marie Pontaut, Romain Rosso

Pour s’enfuir, l’ancien activiste italien a bénéficié d’une série de bévues politico-judiciaires

Ecoutes téléphoniques, caméras, surveillance des Renseignements généraux (RG) et de la police judiciaire, jeu de filatures dans le métro parisien. D’importants moyens avaient pourtant été déployés pour prévenir la fuite de Cesare Battisti, l’ancien activiste réclamé par la justice italienne. En vain. Ce dispositif, à la limite de la légalité, ne l’a pas empêché de disparaître au nez et à la barbe de ses poursuivants. Les responsables policiers avaient d’ailleurs signalé l’inefficacité de telles méthodes. Mais le pouvoir, dans cette affaire, semble bien s’être pris les pieds dans le tapis.

Le 10 février 2004, Cesare Battisti est incarcéré à la demande de la justice italienne, qui l’a condamné à la prison à perpétuité pour quatre homicides. A la surprise du gouvernement, il est remis en liberté le 3 mars par la chambre de l’intruction et placé sous simple contrôle judiciaire. L’ancien militant d’extrême gauche doit pointer une fois par semaine, n’a pas le droit de quitter l’Ile-de-France ni de se rendre dans un aéroport ; son passeport lui est confisqué.

« S’il avait décidé de prendre l’avion, on n’aurait pu que le constater »

Le 30 juin, la cour d’appel se déclare favorable à l’extradition de Cesare Battisti. Toujours libre, ce dernier n’a plus d’espoir qu’en la décision de la Cour de cassation, qui doit, le 29 septembre, examiner le pourvoi déposé par ses avocats. Tout s’écroule le 2 juillet, lorsque Jacques Chirac, n’hésitant pas à anticiper sur la décision des magistrats, déclare à Silvio Berlusconi, au cours d’un sommet franco-italien, qu’il était « du devoir de la France de répondre à une demande d’extradition ». Cette intervention a deux effets : d’un côté, elle convainc Battisti que son sort est déjà scellé ; de l’autre, elle plonge les plus hautes autorités de l’Etat dans un abîme de perplexité. Comment empêcher Battisti de prendre la fuite, comme l’avait fait Maurice Papon, en 1999, avant l’examen de son pourvoi en cassation ?

Les meilleurs magistrats spécialisés sont immédiatement consultés : rien ne peut être envisagé contre Battisti tant qu’il ne rompt pas son contrôle judiciaire... L’inquiétude gagne également la Place Beauvau, car les policiers n’ont aucun moyen de s’opposer à un départ. « S’il avait décidé de prendre l’avion, on n’aurait pu que le constater et en rendre compte au parquet général », déplore un enquêteur. Malgré l’absence de cadre juridique précis, le ministère de l’Intérieur décide de placer l’ancien membre des Prolétaires armés pour le communisme sous surveillance. De jour uniquement, dans un premier temps, puis vingt-quatre heures sur vingt-quatre à partir de la fin de juillet, au moment où il s’installe chez un membre influent de son comité de soutien, dans le XIVe arrondissement de Paris. Des écoutes téléphoniques administratives sont également installées.

Sur le terrain, la surveillance est dévolue aux fonctionnaires de la préfecture de police de Paris. Un dispositif est mis en place, composé d’hommes des RG et de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) de la police judiciaire, aux cultures pourtant distinctes. Une douzaine d’enquêteurs au total, soit quatre seulement par rotation de huit heures, ce qui est insuffisant pour assurer une filature constante. Laquelle n’avait, parfois, rien de discret.

Plusieurs fois, en effet, Battisti, ancien clandestin rodé à ce genre d’exercice, avait réussi sans peine à semer ses « surveillants », notamment dans le métro, où il avait pris l’habitude de changer de wagon entre les stations et de monter ou de descendre lorsque la sonnerie retentissait. Mais il était toujours réapparu. Jusqu’à ce mardi 17 août, où Battisti leur fausse de nouveau compagnie, dans une petite station du XIe arrondissement. L’ancien activiste a fait mine de se diriger vers la sortie, avant de rester sur le quai. La police s’inquiète le lendemain matin, mercredi 18 août. Deux policiers des RG sont envoyés en urgence chez son éditeur, qui possède une résidence dans l’Orne. Sans résultat. Il ne leur reste plus qu’à attendre, samedi 21 août, que Battisti se présente, comme chaque semaine, quai de l’Horloge, conformément à son contrôle judiciaire. En vain. Lundi 30 août, la chambre de l’instruction devait se prononcer sur la révocation de son contrôle judiciaire. Munis d’un mandat d’arrêt contre Battisti, les policiers auront alors le droit de l’arrêter. Mais il reste à savoir où il se cache...

http://www.lexpress.fr/info/france/dossier/battisti/dossier.asp?ida=429043