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Hommages à Marek Edelman

Publie le lundi 19 octobre 2009 par Open-Publishing
2 commentaires

Marek Edelman était notre frère...

de Bader Lejmi

« Marek Edelman est notre frère. Marek Edelman, c’est l’un des chefs de la résistance du ghetto juif de Varsovie pendant la seconde guerre mondiale, qui a toujours refusé de cautionner le sionisme et l’Etat d’Israël. » déclarait Houria Bouteldja le 10 décembre 2009 à l’occasion du Meeting-Concert organisé par le MIR pour célébrer le 25ème anniversaire de la Marche pour l’égalité de 1983.[1]

Aujourd’hui nous l’écrivons au passé, car à notre grand regret Marek Edelman est décédé ce vendredi 2 octobre. En avril 1943, les Allemands décident de liquider le ghetto de Varsovie où il ne reste plus que 60.000 Juifs sur le demi-million au début de la guerre, la majorité ayant déjà été déportée vers le camp d’extermination de Treblinka. C’est alors que survient l’insurrection du ghetto contre les nazis dont Marek Edelman fut l’un des dirigeants. Il était le dernier survivant parmi ceux qui s’étaient retrouvés à la tête de cette lutte héroïque, désespérée mais exemplaire. Il déclara par la suite : « On savait parfaitement qu’on ne pouvait en aucun cas gagner. Face à deux cent vingt garçons mal armés, il y avait une armée puissante. », « Nous, nous n’avions pour nous tous qu’une seule mitrailleuse, des pistolets, des grenades, des bouteilles avec de l’essence et tout juste deux mines dont l’une n’a même pas explosé ». Ils se sont opposés pendant trois semaines dans un combat inégal et désespéré, à la machine de guerre des Waffen SS. Pour venir à bout de l’insurrection, les Allemands ont décidé de brûler tout le ghetto, maison par maison. « Ce sont les flammes qui l’ont emporté sur nous, pas les Allemands », soulignait Marek Edelman. Il a réussi avec quelques derniers combattants à sortir du ghetto le 10 mai par des égouts. Il a rejoint la Résistance polonaise. Plus d’un an après, il a participé en 1944 à l’Insurrection de Varsovie, dont la répression par les nazis coûta la vie à 200.000 Varsoviens, insurgés et civils, et se solda par la démolition quasi-totale de la ville.[2]

Après la guerre, il fait des études de médecine et devient un cardiologue connu. Bien que la majorité des survivants juifs aient émigré en Israël, lui a décidé de rester en Pologne. « Il fallait bien que quelqu’un reste ici pour s’occuper de tous ceux qui y ont péri », répondait-il. Il s’est engagé du côté de l’opposition ce qui lui a valu d’être interné lorsque le général Jaruzelski imposa la loi martiale en Pologne le 13 décembre 1981. A la chute du système soviétique en 1989, il est élu sénateur sur les listes de Solidarité puis de l’Union démocratique. Il n’a cessé jusqu’à sa mort de dénoncer le racisme dont l’antisémitisme en Pologne et dans le monde.

De nombreuses commémorations ont été organisées où été invitées les représentants d’Israël. Mais Marek Edelman a refusé d’y participer. Lorsqu’une journaliste israélienne lui a demandé s’il ne craint pas que sa mort ne fasse tomber dans l’oubli l’insurrection du ghetto de Varsovie, il répond, sûr de lui : « Non. Cet événement a laissé trop de traces dans l’histoire, la musique, la littérature et l’art. C’est en Israël qu’on risque d’effacer notre souvenir. » « Pour vous, Israéliens, la guerre des Six-Jours [1967] a été l’événement le plus important de l’histoire juive contemporaine. Vous pouvez vous appuyer sur un Etat, des chars et un puissant allié américain. Nous, nous n’étions que 200 jeunes avec 6 revolvers pour tout armement, mais nous avions la supériorité morale. » Lorsque la journaliste tente de minorer le rôle des collaborateurs juifs dans le génocide des leurs il rétorque cinglant : « Ça, c’est votre philosophie d’Israélienne, celle qui consiste à penser qu’on peut tuer vingt Arabes pourvu qu’un Juif reste en vie. Chez moi, il n’y a de place ni pour un peuple élu ni pour une Terre promise. »

Dénonçant les manipulateurs de l’histoire du génocide des juifs, il les qualifie de « professionnels de la mémoire » ayant une « éthique trop israélienne« . Car il n’a pas oublié la lâcheté des sionistes durant la seconde guerre mondiale. « Le Mossad savait aussi ce qui se passait ici. Ses agents se sont pourtant contentés d’évacuer les gens disposant d’argent, et encore, jamais pendant la guerre et uniquement vers la Palestine. Le fondement de l’idéologie de Ben Gourion et des siens, c’était la rupture avec la diaspora [juive]. Il en était arrivé à refuser de s’exprimer dans sa langue maternelle, le yiddish [langue juive d’Europe de l’Est], la langue des 11 millions de Juifs d’Europe et d’Amérique. » Ben Gourion avait en effet déclaré le 8 décembre 1942 : « Le désastre qu’affronte le judaïsme européen n’est pas mon affaire ». Evidemment Marek Edelman ne ménage pas le fondateur de l’entité coloniale sioniste : « Il n’aurait évidemment pas pu sauver des millions d’entre nous, mais certainement des milliers. Il n’a pas bougé. Ici, personne n’aimait Ben Gourion, pas même les plus fervents sionistes.”

Pour lui c’est évident si les juifs voulaient un Etat « Il eût mieux valu créer un Etat juif en Bavière ! ». Pour de telles déclarations, le président de l’Iran, Mahmoud Ahmadinejad a été qualifié d’antisémite. Marek Edelman de répondre en s’esclaffant : « Il a raison, le climat y est excellent ! ». Lucide alors que tous autour de lui sont aveugles, pour lui, Israël n’est pas le havre de paix des juifs persécutés qu’ont voulu nous vendre les impérialistes occidentaux mais bien une enclave coloniale en terre arabomusulmane : « Si Israël a été créé, c’est grâce à un accord passé entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et l’URSS. Pas pour expier les 6 millions de Juifs assassinés en Europe, mais pour se partager des comptoirs au Moyen-Orient. » Refutant une solidarité sectaire avec les juifs d’Israel : « La culture israélienne, ce n’est pas la culture juive. Quand on a voulu vivre au milieu de millions d’Arabes, on doit se mêler à eux et laisser l’assimilation, le métissage, faire son œuvre. » et « Israël ne pourra survivre dans une mer de 100 millions d’Arabes »[3]car « chez [lui], il n’y a de place ni pour un peuple élu, ni pour une terre promise ».[4]

Le grand homme accusait l’Etat d’Israël d’avoir donné le coup fatal à l’existence des Juifs d’Europe de l’Est : « Les Israéliens, si forts et si puissants, les Israéliens qui ont gagné toutes leurs guerres, ont honte des victimes de la Shoah et méprisent les survivants. Israël n’a rien fait pour la renaissance de la culture juive, pour l’héritage de millions d’êtres humains qui ont créé un monde juif entre le Dniepr et la Vistule. Même leur langue a été enterrée. Comme si Israël avait honte de l’histoire du peuple juif d’Europe de l’Est et voulait gommer son passé. »[5]

Il était même intervenu, durant l’été 2002, en faveur de Marwan Barghouti dans le procès de ce dirigeant de la résistance palestinienne condamné à une peine de prison à perpétuité[6].

Son militantisme, il l’a construit dans une société et une époque de racisme débridée où l’on exigeait l’assimilation aux juifs en tant que minorité nationale, mais aussi une époque où les sionistes prêchaient dans le désert puisque la majorité des immigrants choisissaient l’Amérique comme terre promise. Réfutant sionisme et assimilationisme, tous deux racistes, Marek Edelman a choisit la voie du Bund comme ses parents avant lui. Parti socialiste juif anti-sioniste d’Europe de l’Est, le Bund[7], était partisan d’une autonomie culturelle juive au sein des nations qui permettait aux Juifs de jouir de la totalité de leurs droits nationaux sur le plan linguistique, culturel et cultuel dans les pays où ils résidaient, sans discrimination et sans revendiquer de territoire spécifique.

« En prenant les armes contre ceux qui voulaient nous anéantir, nous nous sommes raccrochés à la vie et nous sommes devenus des hommes libres » déclarait Marek Edelman. Ses paroles doivent rester gravées dans nos cranes pour que l’exemplarité d’une vie serve de modèle à tous ceux qui luttent pour la reconnaissance de leur existence.[8]

Allah yarhmou. Bader Lejmi, membre du MIR

[1] http://www.indigenes-republique.fr/posthouria?id_article=284

[2] http://www.lemonde.fr/europe/article/2009/10/02/marek-edelman-commandant-de-l-insurrection-du-ghetto-de-varsovie-est-mort_1248692_3214.html

[3] http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=5567

[4] http://www.slate.fr/story/11131/mark-edelman-heros-juif-oublie-et-perdu

[5] http://www.alterinter.org/article1148.html

[6] http://www.socialistworker.co.uk/art.php?id=8032

[7] http://mx.geocities.com/mayo_37/bund.html

[8] http://www.courrierinternational.com/article/2006/04/13/l-insurge-perpetuel


D’un ghetto à l’autre. (Marek Edelman est mort)

Il était l’un des grands témoins connus d’un monde disparu : le Yiddishland presque totalement anéanti par les Nazis. Il était aussi un des derniers survivants d’un parti de masse, le Bund, dont les positions politiques sont plus que jamais d’actualité.

Marek Edelman a été en 1943 le commandant en second de l’insurrection du ghetto de Varsovie. Au moment de l’assaut final, il a pu fuir par les égouts et continuer la lutte dans la résistance polonaise. Combattant héroïque face au nazisme, il a gardé la même intransigeance après guerre. Il est resté en Pologne. Il était et s’affirmait polonais. Opposant résolu au sionisme, il a régulièrement dénoncé la politique israélienne. Et il a courageusement combattu le stalinisme.

Sa mort nous rappelle quelques vérités historiques.

En Europe de l’Est où vivaient des millions de Juifs, le sionisme a été minoritaire jusqu’à la guerre face aux différents courants socialistes dont le Bund. Le Bund était un parti ouvrier révolutionnaire qui liait l’émancipation des Juifs face à la ségrégation raciale, antijuive, à celle du prolétariat. Le Bund était laïque et prônait la liberté et l’égalité des droits pour les Juifs là où ils vivaient, sans territoire spécifique. Les Bundistes étaient farouchement antisionistes : refuser la lutte et partir coloniser un autre pays était pour eux une trahison et une utopie messianique dangereuse.

Le souvenir de Marek Edelman nous rappelle que la résistance juive au nazisme a été essentiellement bundiste ou communiste. Et pourtant, absurdité de l’histoire, en Israël, l’instrumentalisation du souvenir de l’antisémitisme européen et du génocide nazi est devenue le principal moyen pour faire accepter par l’opinion les crimes de guerre à Gaza ou la destruction de la Palestine. Edelman n’a jamais reçu aucune décoration ou aucune marque d’honneur de la part d’Israël. Il était banni de facto.

Après la guerre, il y a eu un consensus mondial pour faire partir en masse les survivants du génocide en Israël et pour faire en sorte que le crime européen soit payé par les Palestiniens. Marek Edelman a été un des rares à refuser. Il y a eu la résurgence de l’antisémitisme en Pologne, marquée par le massacre de Kielce (1946) et l’épuration organisée en 1968 par le général Moczar. Marek Edelman est resté en Pologne et a continué de se battre pour la liberté et la démocratie.

Enfin Marek Edelman n’a jamais cessé de dénoncer la politique des gouvernements israéliens. Il a été solidaire des Palestiniens. Lui qui a lutté contre la destruction de son pays les considérait comme des « partisans » face à l’occupation.

Pour toutes ces raisons, sa disparition est une perte immense, au-delà de l’Union Juive Française pour la Paix, pour les internationalistes du monde entier.

L’UJFP salue sa mémoire et continuera à promouvoir son combat internationaliste contre l’oppression et pour l’émancipation des peuples.

Bureau national de l’UJFP le 5 octobre 2009

Messages

  • En tant que fils et petit fils de déporté juif et communiste, comme il y en a
    beaucoup dans l’histoire du mouvement ouvrier, j’aimerais apporter modestement mon petit témoignage. Ce n’est pas une tentative de récupération que de dire, même si je me suis senti insulté dans les
    colonnes de ce site à differentes reprises que les millenarismes de la
    kabbale et des fondements intellectuels du marxisme ont plus de points
    communs qu’à prioris, il ne semblerait.

    Non seulement, par les origines de beaucoup de penseurs marxistes,
    mais aussi et surtout, de par les exegèses de l’Ecole émancipatrice, que sont
    les communismes,socialismes et anarchisme.

    La psychanalyse, le kafkaïsme, l’ecole de Francfort et la pensée
    trotskiste sont les émanations des lois mosaïques, si les interprétations
    divergent les finalités complexes sont des écheveaux de pensées
    subtiles et parfois tarabiscotées de textes interprétatifs et souvent libres
    penseuses.

    Le sionisme n’est pas à confondre avec le judaïsme, même si les sionistes
    ont joué avec des ambiguités criminelles, celles du peuple élu autoproclamé
    signifiant par effet de miroir biseauté, les minorations de l’ensemble des autres
    peuples. Bien sur, ce n’est pas formulé de cette manière, mais au final,
    un complexe suprématiste sévit dans des cultures préformatées.

    D’autre part, parler de nation hébraïque présuppose un attachement atavique
    à un territoire donné(la Palestine) qui se doît de devenir un étât laîcisé,
    tolérant, permettant une pluralité d’origines et ouvert sur les sensibilités diverses qui la compose.
    J’aimerais que la mémoire des diasporas se fixent dans les mémoires
    de mes freres juifs, et que de ces différences naissent des formes d’internationalismes. C’est de la richesse des peuples dont il est question.

    • Moi je crois que tous les nationalismes émaneraient-ils de vraies démocraties respectueuses des droits et des libertés sont fauteurs de discorde quels qu’ils soient, on n’a qu’à voir l’exemple de la démocratie américaine qui ne s’est jamais départie du nationalisme (au contraire de l’Europe en formation). La diversité régionale et les différentes traditions c’est autre chose du moment que ça ne justifie pas d’exclusion nationaliste (si religieusement fondée semble-t’elle).

      Quant à attribuer des sources hébraïques à telle école de sociologie ou autre discipline, autant en dire de tous les monothéismes et de toutes les cultures... Car l’innovation n’est qu’un vaste métissage et remix fondant les nouvelles émergences du temps. S’attribuer la culture n’est pas louable, elle est à tout le monde et faite de tout le monde.

      S’il y a eu un militant internationaliste (probablement athée étant de surcroit un matérialiste et un communiste) c’est bien Marek Edelman qui n’a jamais trahi le Bund, même jusqu’à sa mort puisque malgré l’antisémitisme latent en Pologne il n’est jamais allé vivre en Israël, cela veut dire quelque chose qui n’est attribuable en rien à l’idéologie sioniste pro israélienne.

      Et le Bund ? vous n’en parlez pas ? Pourtant c’était des juifs révolutionnaires opposés au sionisme et qui se sont battus jusqu’au bout où ils voulaient vivre avec leur propre culture, mais selon leurs idées parmi les autres en Europe, et auxquels le congrès a soustrait son aide pour la concentrer sur Israël.

      Ne lisez pas wikipédia sur le ghetto de Varsovie car c’est un article qui tronque les différences entre les deux directions du mouvement de résistance.