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11 Septembre 1973 : LES DERNIÈRES PAROLES DE SALVADOR ALLENDE

Publie le samedi 11 septembre 2004 par Open-Publishing
3 commentaires

Mes amis,

C’est certainement la dernière fois que j’aurai à m’adresser à vous.
La force aérienne a bombardé les tours de Radio Portales
et de Radio Corporación. Mes paroles ne sont pas marquées
d’amertume mais de déception, et seront le châtiment moral
de ceux qui ont trahi leur serment : les soldats du Chili,
les commandants en chef titulaires et l’amiral Merino, qui
s’est promu lui-même, sans oublier Monsieur Mendoza, général
perfide qui, hier encore, manifestait sa fidélité et sa loyauté au
gouvernement, et aujourd’hui vient de s’autoproclamer directeur
général des carabiniers.

Devant ces faits, il n’y a qu’une seule chose que je puisse
dire aux travailleurs : je ne démissionnerai pas !

Placé à un tournant historique, je paierai de ma vie la loyauté du
peuple. Et je suis certain que la semence déposée dans la
conscience digne de milliers et de milliers de Chiliens ne
pourra être arrachée pour toujours.

Ils ont la force, ils pourront asservir, mais les processus
sociaux ne s’arrêtent avec le crime ni avec la force.

L’histoire nous appartient et ce sont les peuples qui la
font.

Travailleurs de ma patrie,

Je tiens à vous remercier de votre loyauté de toujours, de
la confiance que vous avez deposée en un homme qui ne fut
que l’interprète des grands désirs de justice, qui donna
sa parole de respecter la Constitution et la loi, et qui
l’a tenue.

Dans cet instant ultime, le dernier où je puisse m’adresser à vous,
je vous demande que vous mettiez à profit cette leçon : le
capital étranger et l’impérialisme, unis à la réaction, ont
créé le climat pour que les forces armées rompent leur tradition,
celle que leur enseigna le général Schneider et que réaffirma
le commandant Araya, qui tombèrent victimes de la même couche
sociale qui, aujourd’hui, attend bien au chaud qu’une main étrangère
lui rende le pouvoir pour continuer à défendre ses profits
et ses privilèges.

Je m’adresse tout d’abord à la modeste femme de notre terre, à la
paysanne qui a cru en nous, à l’ouvrière qui a travaillé plus, à la
mère qui a compris de notre préoccupation pour les enfants.

Je m’adresse aux travailleurs des professions libérales qui
ont eu une conduite patriotique, à ceux qui ont agi contre
la sédition encouragée par les organisations corporatives,
ordres de classe qui ne cherchent qu’à défendre les avantages
que la société capitaliste n’accorde qu’à une poignée.

Je m’adresse à la jeunesse, à ceux qui chantèrent et communiquèrent
leur joie et leur esprit de lutte.

Je m’adresse à l’homme du Chili, à l’ouvrier, au paysan, à l’intellectuel, à tous
ceux qui seront persécutés... car dans notre pays le fascisme
s’est déjà fait connaître depuis longtemps dans les attentats
terroristes, faisant sauter les ponts, coupant les voies
ferrées, détruisant les oléoducs et les gazoducs, bénéficiant
du silence de ceux qui avaient l’obligation d’assurer la
défense... L’histoire les jugera !

Radio Magallanes sera sûrement réduite au silence, et le
son tranquille de ma voix n’arrivera plus jusqu’à vous.

Peu importe, vous continuerez à l’entendre, je resterai toujours à vos
côtés ; mon souvenir sera au moins celui d’un homme digne
qui fut fidèle à la loyauté des travailleurs.

Le peuple doit se défendre, mais pas se sacrifier. Le peuple
ne doit pas se laisser cribler ni écraser, mais il ne doit
pas non plus se laisser humilier.

Travailleurs de ma patrie,

J’ai crois au Chili et en son destin. D’autres hommes sauront
dépasser ce moment gris et amer où la trahison prétend s’imposer.
Allez de l’avant et sachez que dans un avenir plus proche
que lointain s’ouvriront à nouveau les larges avenues par
où s’avancera l’homme libre pour construire une société meilleure.

Vive le Chili ! Vive le peuple ! Vivent les travailleurs
 !

Celles-ci sont mes dernières paroles.

J’ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas inutile ;
j’ai la certitude qu’il sera tout au moins une leçon morale
pour châtier la félonie, la couardise et la trahison.

Salvador Allende

Le
discours qui fut transmis par A.M. Radio Corporacion


Messages

  • Chili : Brève imagerie politique,
    1970 - 1973

    Au début des années 70 naissait l’aventure chilienne de l’Unité Populaire.
    Le projet était simple, facile à comprendre, si clair qu’on pouvait le traduire en chansons qu’on sifflotait dans la rue. Si clair qu’il était possible de le peindre, le dessiner sur les murs, sur la toile, le papier.

    ... Trois ans durant le pays mobilisa toute sa capacité de création, d’inventivité. Pendant trois ans le Chili s’est reconnu une nouvelle dignité, nouvelles forces, nouvelles possibilités, nouveaux rêves…
    Autour d’une exposition très complète d’affiches, peintures murales de l’époque, documents, textes, témoignages ...

    http://www.abacq.net/imagineria/

    en espagnol

    • Il ne faut tout de même pas trop idéaliser la période Allende !

      Cette nostalgie des années 70 fait que l’on a trop tendance à croire que tout était rose au Chili à cette époque (sans jeu de mot :-) !

      Allende a commis de lourdes erreurs ! Les Nationalisations à marche forcée on créé de nouvelles castes de "commissaires politiques dirigeants" qui ont remplacé les anciens propriétéires spoiliés de leurs droits, et du coup très remontés contre le pouvoir.

      Allende a, en quelque sorte, remplacé une dictature par une autre, et a créé les conditions de son propre échec !

      Ce n’est jamais la bonne solution ! La méthode douce est toujours de loin préférable à la méthode forte !

  • L’expérience chilienne a montré une chose essentielle : une stratégie politique fausse, l’électoralisme, le refus de la mise en place de structures alternatives et le désarmement du peuple... aboutissent inéluctablement à la dictature...

    Critiquer l’Unité Populaire est juste et ne dédouane certainement pas les criminels fascistes (militaires soutenus par les USA) qui l’ont détruite.

    Nelson