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La main invisible du marché

Publie le vendredi 20 novembre 2009 par Open-Publishing
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Un agent d’exécution de l’industrie capitaliste du spectacle sportif a effectué une opération non légale dans l’exercice de son activité ayant pour effet d’enlever des parts de marché à une entreprise concurrente.

Quelle surprise !

Est-il nécessaire d’invoquer la plausible hypothèse d’un complot ourdi par des financiers et des politiciens ne pouvant envisager les pertes incommensurables (pour le commun des mortels) des « retombées » financières et symboliques. (Rien que pour les droits TV et la « surface » markéting de la dernière coupe du monde : 2006 : droits TV : 957M d’euros ; 55 milliards de téléspectateurs bouffeurs de pub cumulés sur la planète)

Même pas. Non qu’ils n’en soient pas capables, bien sûr ! Ne le font-ils pas quotidiennement dans tous les domaines dans lesquels leurs intérêts sont « en jeu » ? Le racket organisé des travailleurs n’est-il pas au principe même de leurs activités ? Me mettant à leur place (en imagination !), je pense que, comme tout un chacun dans cette situation, je calculerai évidemment, avec des arbitres rémunérés grassement pour leur forfaiture et quelques initiés, de faire l’entourloupe à la dernière minute du match et non pas à la dixième : pas le temps pour l’adversaire de se reprendre, pas le temps à la pression de monter sous l’outrage, pas le temps pour les observateurs de comprendre ce qui s’est passé, noyade du poisson dans les flons-flons de la fête minutieusement anticipée... Je peux même imaginer (de nos jours ce n’est même plus un délire paranoïaque) le ballon téléguidé par puce RFID (d’ailleurs, il est où le ballon ?)...

Le crime parfait, quoi ! Et il n’est pas vrai que le crime parfait n’existe pas dans la guerre de tous les instants que mène la bourgeoisie contre les travailleurs (mais aussi entre ses fractions elles-mêmes). La relaxe de Total dans le procès AZF n’en est que le tout dernier exemple. Un crime parfait n’est qu’un crime impuni par l’absolution de ses propres auteurs au pouvoir.

Mais non, il suffit d’invoquer la main invisible du marché dans la culotte de la Joconde pour expliquer la situation. Postulons naïvement (le capital est indifférents aux individus) la réputation de correction et de fair-play dont le marketing du produit « footballeur professionnel TH » nous serine l’image que les médias ont le même intérêt à promouvoir. Est-il difficile d’envisager que la « pression » (convergence de toutes les pressions particulières : individuelles, équipière, d’entreprise, nationales, planétaires...) puisse amener un être humain (hum, les sportifs de haut niveau sont plus proches d’un robocop que de vous et moi), fut-il professionnel expérimenté (peut-être même raison de plus) à commettre cet acte inconsidéré (et littéralement sidérant, sachant qu’ils savent (qu’ils ont conscience) que tout est disséqué par les caméras, à preuve le fait de mettre la main devant la bouche pour s’échanger les consignes) qu’un arbitre, lui aussi sous pression, peut ne pas voir ? Bien sûr que non ! Qui d’entre-nous n’a pas été au moins une fois dans sa vie confronté à pareille situation (même la femme au foyer... - Je dirai bien l’homme aussi mais ce serait déformer la réalité -) que les gestionnaires du capital s’ingénient à fabriquer continûment pour nous rendre complices et honteusement coupables (division des travailleurs) de leurs forfaits. Ce qui n’est toutefois pas une excuse. Honte à nous. Misère, misère. Certains ne s’en relèvent pas, voir suicides.

Sur un autre plan, cet « événement » est trop « pertinent » (qui peut inventer un scénario pareil sinon des technocrates à l’esprit tordu et cynique recrutés et payés pour ne faire que ça ?) avec son temps pour ne pas renforcer notre déjà grande inquiétude. N’est-il pas la cristallisation de l’atmosphère délétère du capitalisme fascisant exacerbé (moribond, certainement pas !) ? L’industrie du spectacle sportif n’est pas secondaire (il ne suffit pas de s’en désintéresser). Le sport, et particulièrement le foot, mais les JO aussi de même que la conquête de l’Anapurna, depuis son origine, est un des vecteurs idéologiques essentiels de l’exploitation (au sens de l’idéologie comme force matérielle). Outre le racket spécifique de l’argent des pauvres (comme le Loto), il représente l’arme majeure de la propagande moraliste et nationaliste (succédané de la guerre), mais aussi l’acceptation de l’idéologie du progrès et de la croissance linéaire, temps comptable et espace mesuré, idéologie de la compétition et de la hiérarchie “naturelle”, de la réussite et du résultat “objectif”, à la fois de l’effort (mérite) et du don (talent), artificialisation de la vie et de l’activité humaine. Il suffit pour s’en convaincre d’analyser son rôle dans l’appareil idéologique d’État (Brohm). Même si tous ne sont pas dupes, tous sont frappés.

Les controverses organisées, qui ne manquent pas de se développer, avec d’un coté les défenseurs outrés de la « morale » sportive, de l’autre les laudateurs du résultat à tous prix, même si elles ne dureront que le temps d’être remplacées par le soutien inconditionnel à l’emblème national après le matraquage publicitaire de la période des « fêtes » et le folklore électoral, même si elles ridiculisent toujours plus la néanmoins révoltante vulgarité affichée des élites mafieuses, s’inscrivent comme par hasard (c’est fou comme le hasard et la main invisible font bien les choses les plus incroyables) dans l’entreprise de diversion et de manipulation menée par le gouvernement à propos de l’identité nationale.

La métaphore du capitalisme qu’est le sport réduit la problématique sociale (sans euphémisation : la lutte des classe) à une naturalisation du système d’exploitation : il y aurait un « bon » sport (capitalisme) « dénaturé » par ses excès et ses brebis galeuses (pas galloises ! Pas d’amalgame avant le prochain tournoi des « nations »), qu’une bonne régulation (la vidéo) moralisante et volontariste fondée sur des « valeurs » (qui n’ont pas plus de réalités objectives que le « plan strictement sportif »), elles-mêmes émanation et/ou facteur (selon l’option philosophique de chacun) d’une pseudo identité nationale de chair à canon.

En l’absence de repères des individus, sans plus d’autre appartenance que la culture des marques et des tribus, dans un processus social (et non une « société », ce qui renvoie automatiquement au « c’était mieux avant » imbécile) squatté par le principe capitaliste, - absence de repères produite, d’une part, par la gestion de classe de la bourgeoisie via l’entreprise mafieuse qu’est l’État (organe du racket organisé) allié (et larbin) du vrai capital (et non pas « grand », car c’est une merde qui n’existe que parce que nous laissons faire, voire la produisons), mais c’est de « bonne » guerre ; d’autre part par l’indigence coupable des partis politiques, des organisations syndicales et des "mouvements sociaux", donc par notre propre insuffisance, - rien n’est anodin dans la dimension spectaculaire du monde marchand. Les approximations, volontaires ou non, dans la mise en perspective des faits et des événements, fabriqués ou non mais toujours manipulés par l’appareil médiatico-idéologique (c’est toujours une « affaire d’Etat »), nous enfoncent dans l’impuissance.

Il reste que, pour notre grand malheur, nous allons nous taper six mois de propagande nationaliste hystérique et la beauferie de milliers de cons. Qui va chanter la chanson de l’équipe de France après Djohnny ?
(À l’adresse des répétitifs : « mais t’as qu’à jeter ta télé », je rappelle que la cible prioritaire de ces manœuvres sont les enfants et que ça ne passe pas que (et de loin) par les médias dominants. Je connais des « éducastreurs » de centre de loisirs pour qui faire apprendre les « chants du stade » à la marmaille est une aubaine pour pallier à leur manque d’imagination pédagogique).

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