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Guadeloupe : la grève générale recommence !

Publie le dimanche 22 novembre 2009 par Open-Publishing
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« C’EST LE PEUPLE QUI DECIDE »

de FRédéric Gircour

Déroulement des deux journées d’action

Les délégués du LKP ont expliqué samedi au cours d’une conférence de presse qu’ils étaient obligés d’appeler à une mobilisation de masse, en conscience, les 24 et 25 novembre, pour exiger le respect des engagements pris et la poursuite des négociations laissées en suspens.

De gauche à droite, Delphine Prudhomme (Combat Ouvrier), Alain Plaisir (CTU), Jean-Marie Nomertin (CGTG), René Beauchamps (SPEG), Elie Domota (UGTG) (photo FG)

Pour les salariés, la première journée se fera dans les entreprises. Delphine Prudhomme de la FSU, représentante de Combat Ouvrier, explique que ce sera, pour les salariés qui ne l’ont pas encore fait, l’opportunité de discuter et de s’organiser. Il faudra convaincre un maximum de monde pour la manifestation du lendemain mercredi et chaque fois que ce sera possible installer un piquet de grève. En parallèle, il y aura aussi deux rassemblements mardi à 9h00 devant la Mutualité à Pointe-à-Pitre et à la même heure devant le Conseil Général de Basse-Terre, pour ceux qui veulent mener des actions communes dès le mardi.

Le lendemain, le rendez-vous est donné à tous les Guadeloupéens, salariés ou non, pour venir manifester à Pointe-à-Pitre. Le déboulé partira devant le Palais de la Mutualité et le LKP appelle à se rassembler à partir de 9h00. Jean-Marie Nomertin de la CGT, insiste sur le fait que du côté du LKP, la manif se déroulera gen-ti-ment, selon le mot d’ordre désormais bien connu des manifestants. D’ailleurs Elie Domota ajoute que le Liyannaj Kont Pwofitasyon reste ouvert au dialogue, à la concertation mais souligne qu’en face, ils semblent être obnubilés par la campagne électorale pour les régionales, et que l’idée de chercher à discuter des points importants qui concernent l’avenir de la Guadeloupe ne semble pas les effleurer. Il rappelle aussi que le LKP a rencontré quasiment tous les élus de Guadeloupe, presque tous les maires, les présidents des conseils régional et général, les députés et sénateurs, etc. Il va falloir, explique Domota, qu’ils disent aux Guadeloupéens quelle est leur position et ce qu’ils comptent faire…

50 millions d’euros de plus pour la SARA / forces répressives pour les Guadeloupéens

Concernant l’augmentation du prix de l’essence, il explique que les augmentations annoncées par M-L Penchard n’ont d’autre objectif que de trouver les 50 millions que le gouvernement a promis à la SARA en compensation des pertes occasionnée par la baisse des carburants dans les départements français d’Amérique. C’est Victorin Lurel, président de région qui vient de révéler ce nouveau scandale (à ce sujet, lire absolument l’article de CCN, CaraïbCreoleNews http://www.caraibcreolenews.com/news/france/1,1833,-l-etat-versera-94-millions-d-euros-a-la-sara-.html). Domota dénonce aussi le fait que plusieurs contingents de "mamblos" viennent d’arriver en renfort de ceux déjà présents. On parle de 600 ou 700 gendarmes mobiles fraîchement débarqués pour toute réponse aux problèmes sociaux des Guadeloupéens. A ce propos, la journaliste de RFO présente m’explique en aparté que si le livre de Jégo n’est pas en rayon en Guadeloupe depuis hier comme prévu, c’est parce que les malles des gendarmes ont pris toutes les places disponibles dans les avions censés les acheminer !

Des fleurs pour Lucette ?

En fin de conférence, je réinterroge Domota sur sa participation supposée à la rencontre secrète avec Yves Jégo. Sans démentir formellement, il qualifie le livre en question de roman policier, autrement dit de fiction, et me suggère de poser la question au préfet, qui d’après Jégo a lui-aussi assisté à l’entretien.

Elie Domota pendant la séance d’interviews (photo FG)

Une journaliste l’interroge sur une autre révélation de Jégo, figurant elle aussi dans son livre : Domota serait allé à la fête d’anniversaire de l’inusable Lucette Michaux-Chevry, figure de la droite guadeloupéenne qui, par le passé, à été proche de l’UGTG (en 2003 notamment) et qui, comme Domota, est de Basse-Terre ; selon Jégo, il lui aurait même apporté un bouquet de fleurs ! Il dément cette fois plus catégoriquement : « la seule fois où j’ai rencontré cette dame, c’est quand elle est venue nous voir, ici, à la Mutualité ! Moi lui apporter des fleurs ! Faut arrêter quand même ! » s’esclaffe-t-il.

La question de la poursuite du mouvement

Pour en revenir à des considérations moins romantiques, une autre journaliste a posé la question pendant la conférence, de savoir si la grève pourrait se prolonger au-delà des deux jours. C’est Nomertin qui a répondu à cette délicate question : « Nous nous refusons à appeler à des grèves de un jour, comme en métropole, car ça ne sert qu’à démoraliser les salariés. Nous avons appelé à 2 jours de grève parce que nous avons considéré que la situation était difficile pour tout le monde.

Jean-Marie Nomertin en pleines explications (photo FG)

Ça c’est la décision du LKP, deux jours c’est deux jours. Et il y aura d’autres grèves si les problèmes ne sont pas résolus. Nous sommes déterminés à faire aboutir nos revendications. Maintenant, tempère-t-il, si les manifestants sont vraiment très nombreux, si les salariés nous disent, dans ces conditions, on ne peut pas décemment reprendre le travail, alors nous reconsidérerons notre position et prendrons une décision en conséquence. En fin de compte, c’est le peuple qui décide ! » Un peu plus tard, je demande à Elie Domota à partir de combien de manifestants le LKP estime que le grand déboulé de mercredi aura été une réussite. Il me répond que la question ne se pose pas dans ces termes : « on sait bien que certains sont fatigué mais on sait aussi que les Guadeloupéens sont avec nous, ils savent que c’est une cause juste, ils veulent que les revendications que porte le LKP aboutissent. Que certains soient pris par les difficultés de la vie, on peut comprendre ça. »

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)


Mot d’ordre

Mardi 24 : grève sur place, dans les entreprises.

Mercredi 25 : grande manifestation, rdv à 9h00 devant le Palais de la Mutualité à Pointe-à-Pitre.


24 ET 25 NOVEMBRE : GREVE GENERALE ! (1ère partie)

Dernière ligne droite

Dès le jeudi 5 novembre, Chien Créole était le premier à écrire que le mouvement pourrait reprendre aux alentours du 24 novembre (lire http://chien-creole2.blogspot.com/2009/11/une-date-pour-leventuelle-reprise-du.html).

Statue d’Ignace, héros de 1802, qui s’est battu contre le rétablissement de l’esclavage (lire l’excellent roman historique "l’archet du colonel" de Raphaël Confiant si cette histoire vous intéresse) (photo FG)

Et bien, ça y est, c’est officiel. Le LKP appelle à deux journées d’action, le mardi 24 et le mercredi 25 novembre 2009. Il s’agit officiellement d’un coup de semonce mais on ne peut guère douter que si ce coup d’essai s’avère concluant, la grève sera reconduite jeudi. Les revendications sont les mêmes depuis mars 2009 : respect de l’accord Bino tel qu’il a été signé le 28 février, et respect des engagements de l’Etat pris dans le protocole du 4 mars. C’est donc la dernière ligne droite, puisque pour l’essentiel, les négociations ont déjà abouti, la gravité des dysfonctionnements à l’origine du mouvement est une réalité que même Sarkozy n’a pas pu nier (relire http://chien-creole2.blogspot.com/2009/11/analyse-du-discours-de-sarkozy-1ere.html), la grande majorité des solutions a déjà été trouvée avec des engagements précis mais non-respectés par le gouvernement, dès lors que la grève générale a été levée et que le dialogue social avait été préféré au rapport de force de la grève générale. Il ne s’agit donc d’aucune façon de repartir à zéro mais bien de la dernière ligne droite pour faire respecter ce qui a été arraché de haute lutte et au prix d’importants sacrifices. Qui pourrait comprendre que la Guadeloupe ait été un phare pour les travailleurs de métropole et du monde (rappelons-nous de l’intérêt des médias nationaux et internationaux, des messages de solidarités qui pleuvaient du monde entier, etc.), qu’elle ait obligé Etat et patronat à céder constituant une victoire sociale historique qui a fait la preuve de l’efficacité de la méthode "grève générale" pour finalement baisser son pantalon, se contenter de promesses et d’engagements non tenus ?

La grande peur économique

Le pouvoir politique et économique a bien compris que contre l’unité et la détermination populaire, il ne peut rien. C’est donc cette unité qu’il faut casser, et pour cela rien de tel que la peur. La première des peurs, distillée savamment, insidieusement depuis le mois de mars, c’est celle concernant la situation économique. Un nouveau mouvement entend on dire ici et là porterait un coup fatal à l’économie qui ne s’en remettrait pas. Il faudrait être raisonnable et courber l’échine, rentrer sagement dans le rang et se satisfaire de son sort. Prenons, si vous voulez bien, le problème depuis un autre angle. Quelles conséquences aurait sur l’économie le triomphe des puissants et le statuquo de la situation actuelle ? Prenons l’accord Bino. Dès 2010, les employés dont les patrons n’ont pas signé l’accord Bino vont perdre 50 euros sur les 200 qu’ils avaient gagnés. Ces 50 euros sont pour l’instant apportés par la région et le département. Les patrons signataires prendront donc à leur charge ces 50 euros en 2010, les non-signataires, eux, ne sont pas astreint à la clause de convertibilité tel que l’accord d’extension le prévoie et ne seront donc pas tenus de verser cette somme. Pire, en 2012, c’est demain, les employés qui continuaient à toucher tout de même 150 euros, entre RSTA et augmentation patronale, les perdront définitivement alors que les employés assujettis à la première version de l’accord Bino eux toucheront toujours les 200 euros, exclusivement de leurs patrons désormais, comme il était prévu initialement.

L’autre scénario catastrophe

On imagine les conséquences de pareille disparité : les patrons signataires vont se retrouver face à une concurrence parfaitement déloyale puisque tenus de payer leurs employés, déjà 50 puis 200 euros de plus, ils ne pourront pas tenir face à ceux qui en sont exempts avec les dépôts de bilan à la pelle que cela sous-entend et les licenciements qui vont avec.

"Nos 200 €" (photo FG)

Eric Taupe, représentant de l’Union des Moyennes et Petites Entreprises de Guadeloupe, organisation signataire de l’accord Bino, m’avouait récemment que dans ce cas, il est évident qu’ils ne pourraient matériellement pas honorer l’accord et qu’ils devraient alors le dénoncer. Pourtant, ils veulent tenir leurs engagements vis-à-vis des salariés guadeloupéens, comme l’a encore démontré l’appel qu’ils ont signé avec les organisations syndicales du LKP, pour demander à l’Etat d’assumer ses engagements et ses responsabilités. Quand les dizaines de milliers de bénéficiaires de l’accord Bino se retrouveront, par disposition légale ou par la conséquence économique de cette concurrence déloyale, dans une position similaire à celle d’avant janvier 2009, voire pire, sans emploi, que se passera-t-il ? L’économie pourra-t-elle se redresser ? L’explosion sociale qui a toutes les chances de s’ensuivre sera-t-elle aussi gentille et intelligente que celle du LKP que le pouvoir entend désavouer ?

A suivre…

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)


24 ET 25 NOVEMBRE : GREVE GENERALE ! (2de partie)

Deux projets de société s’affrontent

Alors certes, la Guadeloupe est en crise, certes le monde est en crise. Qui en est responsable ? C’est la faute à pas de chance ? La conjoncture mondiale qui serait un peu comme la météo, capricieuse et parfois cruelle, mais qu’on ne peut que subir avec fatalisme, en tous cas ne pas en rajouter ? Non, cette situation est la résultante d’une politique menée depuis des décennies qui a enrichi de façon outrancière une petite élite aux dépens de l’immense majorité des travailleurs (voir http://chien-creole2.blogspot.com/2009/11/analyse-sociologique-suite-et-fin.html). Cette politique s’est basée sur les sacrifices constants consentis par les salariés.

Aujourd’hui ceux qui n’entendent pas payer les conséquences de la crise d’un système qui ne leur a jamais profité, les travailleurs, se voient pointer du doigt par les mêmes profitants, trop contents de désigner à l’opinion publique, grâce à des médias de plus en plus aux ordres, des bouc-émissaires : La crise, c’est eux ; les licenciements, c’est eux ; le taux de chômage en Guadeloupe, c’est eux ; les irresponsables, c’est eux ; les ennemis du peuple, c’est eux. Croient-ils vraiment les Guadeloupéens assez stupides pour avaler cette pilule ? Les organisations regroupées aujourd’hui dans ce qu’on appelle le LKP, se battent pour poser les bases d’une société plus juste, plus pérenne, plus équilibrée : meilleure répartition des richesses, véritable développement endogène, exigence de formation de qualité et d’insertion durable pour la jeunesse que le système actuel sacrifie, arrêt des profitations de tous ordres, respect de la diversité ethnique qui fonde la Guadeloupe à tous les échelons de la société, ce qui n’est pas le cas actuellement, etc. Le LKP pose les bases d’une économie assainie, d’une société qui replace l’humain au cœur des décisions, qui ne se fasse plus dans l’intérêt exclusif de la métropole ou de ses alliés économiques, la poignée de békés qui contrôle l’économie de l’archipel. En revanche, on peut dire que le système actuel en Guadeloupe, c’est la crise, le chômage qui bat tous les records de l’UE, l’absurdité d’une économie qui ne produit rien et vit sous assistance, le règne du non-droit, du non-respect des lois de la République, les cadeaux fiscaux vertigineux pour les patrons, pour les plus riches, les milliards pour maintenir les banques mais les hauts cris du porc qu’on égorge quand les bas-salaires osent réclamer 200 euros. Comme si, en plus, cet argent n’allait pas retourner dans le circuit d’une consommation qu’on peut espérer plus intelligente et avoir des effets vertueux sur l’économie d’une Guadeloupe qui reprendrait confiance en elle et ses capacités…

Guerre psychologique

Mais la peur que diffusent les médias n’est pas qu’économique. Ainsi, le 18 novembre, les Guadeloupéens ont eu la stupéfaction de constater la présence massive de militaires armés à différents points de l’île. L’explication leur a été apportée le soir même, au JT de RFO, par un curieux reportage réalisé par Jean-Charles Théobald et Olivier Duflot (cf. www.rfo.fr ; sélectionner journal de Guadeloupe en haut à droite sur "les journaux régionaux"et rendez-vous sur l’édition du 18 novembre). Le commentateur a confirmé que depuis lundi, dans le cadre d’un exercice, un déploiement d’envergure, composé de militaires hollandais basés sur la petite île d’Aruba, appartenant aux Pays-Bas et des hommes du 33ème RIMA basé en Martinique se livraient à un exercice grandeur nature sur le territoire de la Guadeloupe. C’est le lieutenant-colonel Stéphane, béret vissé sur le crâne rasé, qui d’un ton martial, a expliqué le cadre de la mission. Il s’agit d’ « aller extraire des ressortissants français mais aussi d’autres pays qui nous ont demandé de nous occuper de leurs ressortissants dans un pays dont les structures étatiques sont, on peut les qualifier de faillies (sic), c’est-à-dire que le gouvernement n’a plus l’autorité, des milices ont émergé, des structures mafieuses ont commencé à déstabiliser le tissu social dans des proportions telles que le gouvernement ne peut plus garantir la sécurité des ressortissants étrangers sur son sol. » Oups, il a oublié de rappeler ce que la charmante présentatrice Laura Senné avait expliqué en introduction du reportage : à savoir que si l’objectif est effectivement « d’évacuer les ressortissants d’une île des Petites-Antilles menacés par les émeutiers », cette situation ne serait pas provoquée par une situation sociale endémique mais « après le passage récent de deux cyclones ».

Une façon de voir les choses...

Ce qui fait se demander à l’anthropologue d’origine guadeloupéenne bien connu, Nicolas Rey, si ces deux cyclones n’auraient pas pour nom Elie et Jean-Marie, clin d’œil respectivement à Domota et Nomertin, les deux principaux représentants du LKP ! Il faut dire que la ficelle est grosse, après la sortie d’extraits du livre de Jégo visant à déstabiliser le LKP (relire http://chien-creole2.blogspot.com/2009/11/la-democratie-au-sein-du-lkp.html), à grosso-modo une semaine de la reprise de la grève générale les 24 et 25 novembre voilà que survient cette opération médiatisée qui cherche à réveiller des peurs inconscientes. Faisant habilement suite à un reportage sur la situation catastrophique dans l’hôtellerie, ou un employé licencié et désabusé devisait « on s’est battu pour rien », ces images dramatisaient une situation incontrôlable et chaotique qui s’emparerait de l’île. Après les rumeurs de répression sanglante (voir http://chien-creole2.blogspot.com/2009/10/menaces-sur-le-lkp.html), la guerre psychologique continue donc. Les émeutiers assimilés à des "mafieux" et des "milices", font échos aux propos gravissimes de Frédéric Lefebvre, porte-parole du gouvernement, comparant le LKP aux sanguinaires tontons macoutes haïtiens du dictateur Duvallier.

Les vrais tontons macoutes, une comparaison insultante !

L’image de la France débordée par la situation qui abandonnerait l’île à son sort répond aussi à une peur partagée par une majorité de Guadeloupéens et cela se comprend : comme je l’ai déjà largement expliqué, la France n’a jamais contribué à développer ici une économie qui permette à la Guadeloupe de s’auto-suffire.Une indépendance sans préparation, du jour au lendemain, serait désastreuse.

Un exemple qui vient de haut (si l’on peut dire...)

Il est toujours plus tentant pour nos politiques d’avoir recours à la peur, de flatter nos bas-instincts, plutôt que de trouver des réponses sociales et politiques. L’exemple vient de haut :

après avoir par ses propos et son attitude enflammé la banlieue, le ministre de l’intérieur Sarkozy ne s’est-il pas fait élire sans mal président de la République, grâce en grande partie à un électorat effrayé par les débordements de violences et rassuré par les propos "couillus" du pompier pyromane ?

FRédéric Gircour (chien.creole@gmail.com)

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