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La production documentaire menacée à France2

Publie le lundi 13 septembre 2004 par Open-Publishing
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de Jean-Claude Renard

Deux journalistes de France 2 sont menacés de sanctions professionnelles et de licenciement. À travers leurs parcours se dessine une curieuse politique au sein de la chaîne publique, concernant la production documentaire.

La nouvelle grille de rentrée n’a pas encore été annoncée sur France 2. Mais, après le subtil jeu de chaises musicales aux diverses directions (voir Politis n° 808), la chaîne publique se fait déjà remarquer. Depuis le mois de mai, deux journalistes, Jean-Marc Surcin et Vincent Maillard (tous deux élus au comité d’entreprise, le premier étant délégué syndical CFDT), sont menacés de sanction professionnelle, voire de licenciement (pour Jean-Marc Surcin). La raison : ils n’ont pas regagné un poste dont ils sont officiellement détachés depuis trois ans.

On est peut-être là au début de la fin des turpitudes. Qu’on s’explique : en 1988, Jean-Marc Surcin et Vincent Maillard sont pigistes à France 2, en qualité de journalistes reporters d’images (JRI), et embauchés en 1993 au service « Prises de vues », le plus important de la rédaction. Ils collaborent régulièrement au magazine « Envoyé spécial » (ils signent notamment des reportages sur les SDF à Roissy, sur le chantier du tunnel sous la Manche...). Assez rapidement, ils acquièrent une autre idée (que celle admise) de la spécificité du service public en matière de télévision, défendent un investissement personnel dans le contenu éditorial, réfléchissent sur le langage télévisuel. Suffisamment pour s’adresser au service documentaires de la chaîne. Celui-ci n’a que faire de ces JRI qui ont la prétention de se singulariser. Surcin et Maillard tournent des images de sport et de culture pour l’un, d’art culinaire pour l’autre, collaborent aussi au magazine « Géopolis ».

En 1996, Jean-Marc Surcin suit un stage à l’école Louis-Lumière, « Filmer le documentaire en 16 mm » (au prix de 25 000 francs environ). Parallèlement, les projets qu’il dépose au service documentaires restent sans réponse. En 1998, les deux hommes sont « grands reporters » et s’inscrivent à un second stage, à l’INA, consacré à la réalisation des documentaires (nouveau coût pour la chaîne : 50 000 francs par inscription). En 1999, chacun réalise son premier documentaire. Vanille et soudure, de Vincent Maillard, porte sur les gamins de banlieue en classe de perfectionnement ; les Derniers de la der des ders, de Jean-Marc Surcin, s’attache aux survivants de la Grande Guerre (récompensé par le deuxième prix franco-allemand du journalisme).

Réalisations non sans mal et sous certaines conditions : congés sans solde pendant les périodes de tournage et de montage ; obligation de faire appel à une maison de production extérieure (donc privée). Voilà qui permet à la chaîne d’empêcher qu’ils appartiennent au service des documentaires.

De projets déposés en tergiversations et lettres mortes de la direction, ils parviennent à réaliser deux autres films. Le Dernier Survivant, court-métrage sur un poilu (par Surcin), sélectionné au festival de Clermont-Ferrand ; l’Équation ultime (par Maillard), sélectionné dans de nombreux festivals de films scientifiques, consacré à la « théorie du grand tout » et à la recherche fondamentale en astrophysique. Rien de moins que de bons sujets pour une chaîne publique. L’accueil de la presse est favorable, et les scores d’audience sont supérieurs aux moyennes des cases concernées.

Comme tout arrive pour qui sait attendre, en 2001, ils sont officiellement détachés de la rédaction pour mieux se consacrer au travail de préparation de leurs documentaires. Suivront encore Leader Chimp, de Maillard, sur les jeux de pouvoir, et l’Argent de la confiance de Surcin. Les conditions de réalisation sont les mêmes. « Le documentaire dans tous ses états » est un troisième stage à l’extérieur (2 000 euros environ), dirigé par Yves Jeanneau, également directeur de l’unité documentaires à France 2.

Après de longues tractations, les deux hommes achèvent une quatrième réalisation. Une santé qui nous est chère (de Surcin) et Intelligence superficielle (de Maillard), sur les technologies artificielles (programmé le 6 août prochain puis déprogrammé sans explication). C’est dans l’achèvement de ces travaux qu’ils reçoivent donc, en mai, la sommation de regagner, cinq années après leur premier documentaire, leur service d’origine, « Prises de vues ». Puis Surcin reçoit une menace de licenciement pour refus d’obéissance.

Les journalistes payent leur persévérance et plus encore leurs revendications : la transparence dans la gestion de l’argent public et l’achat des programmes (les productions sont-elles conformes aux coûts engagés ?) ; la création, dans toutes les unités de programme, de véritables comités de lecture indépendants chargés d’accueillir les projets venant de l’extérieur, qui permettraient de sortir des formatages exigés et donneraient une chance à tout projet déposé.

En février dernier, au journal de 20 heures, Olivier Mazerolle et David Pujadas commettaient une faute (importante quant à la crédibilité de leur journal) en annonçant bêtement le retrait d’Alain Juppé de la vie politique, cependant que celui-ci déclarait l’inverse sur la chaîne concurrente (TF 1). Ils n’en ont pas moins été maintenus. On en sanctionne donc pour moins que ça.

Malgré nos sollicitations répétées, le service documentaires de France 2 a préféré ne pas nous répondre. En attendant, on peut s’interroger sur une chaîne qui finance les stages de ses employés au prix fort, tout en freinant la vocation de ces stages et surtout, au-delà de Jean-Marc Surcin et de Vincent Maillard, sur la politique d’une maison qui fait de l’excès de zèle : la loi Tasca impose à France 2 l’achat à l’extérieur (entendez au privé) de 50 % des documentaires. Mais non pas la totalité (ou plus de 90 % pour France 2). Perdant de son autonomie, la chaîne ne devient-elle pas un simple tuyau ? Ne devrait-elle pas, légitimement, limiter l’externalisation des documentaires et se servir de ses propres « outils » de travail ? Pourquoi nombre de documentaires sont-ils réalisés par des professionnels extérieurs à la chaîne, qui déplorent eux-mêmes de préparer leurs films (60 à 70 % du travail) en étant rémunérés par le régime Assedic des intermittents du spectacle ? Que risque un service public qui semble assécher ce qui se fait en interne (les fonds et les idées), sinon s’obliger à se tourner vers le privé ?

http://www.politis.fr/article1032.html

Messages

  • La production est bien menacée, mais la diffusion aussi.
    Cet été devait être diffusée une série d’émissions intitulée "Magnoli" traitant des 10 sites les plus pollués en France (dont Sète pour cause de 7 usines classées Seveso).
    Que pensez-vous qu’il arriva ? A la trappe la diffusion passa. Ben quoi, ça fait mauvais genre en été et même en hiver d’ouvrir les yeux et les consciences de ceux qui ne veulent que les fermer ou se remplir le porte-monnaie.