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Le grand mensonge continue.

Publie le samedi 5 décembre 2009 par Open-Publishing
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A propos des banques, un article génial des journalistes Hervé Nathan et Emmanuel Lévy, qui interrogent Jean-Paul Fitoussi.

Cet article exceptionnel est paru le 5 décembre dans Marianne, page 60 :

« Le grand mensonge continue.

Par Jean-Paul Fitoussi.

Le pouvoir des banques, loin d’être diminué, a été renforcé par la crise. Tout est en place pour faire naître de nouvelles bulles.

Marianne : Un peu plus de un an après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, on croyait la crise en voie de résolution lente. La faillite de Dubaï fait resurgir le spectre d’une deuxième vague, aussi violente que la première. Comment expliquez-vous un tel revirement ?

Jean-Paul Fitoussi : Ce qui vient de se passer à Dubaï, chacun pouvait l’anticiper. Mais on s’était empressé de refouler cette quasi-certitude, cela prouve que nous n’avons pas réellement avancé. Le système financier n’est pas plus transparent qu’il ne l’était avant la crise. Au contraire, le grand mensonge est encore en place. Le chômage est là, les inégalités progressent. Ce ne sont pas les quelques dixièmes de point de croissance des derniers trimestres qui changent les choses, notamment pour les peuples. En revanche, les banques, elles, profitent à plein régime du sauvetage organisé par les Etats. En témoigne d’ailleurs la vitesse à laquelle elles ont renoué avec les bénéfices et se mettent à distribuer des bonus.

Marianne : Or, on nous promettait que rien ne serait plus comme avant. Pourquoi ce décalage ?

Jean-Paul Fitoussi : Le lobby des banques a joué un rôle capital en manipulant les gouvernements. J’entends par « manipuler » le fait que leurs principaux dirigeants n’ont pas révélé toute la vérité. Ils ont ainsi affirmé, à tort, qu’ils n’avaient pas besoin du sauvetage des gouvernements, invalidant du même coup la nécessité d’un contrôle étatique accru sur leurs activités. Les dirigeants des banques ont également menti, au moins par omission, sur la réalité des risques portés par leur bilan. On a bien fait de les soutenir, car s’abstenir aurait provoqué une catastrophe épouvantable. Mais on n’a pas été suffisamment fort pour leur imposer des conditions. Au poker menteur, les banques se sont montrées plus fortes. Mais les opinions publiques, elles, sont indignées. Le prochain coup, elles ne se laisseront pas avoir.

Marianne : Les banquiers, donc, gagnent à tous les coups ?

Jean-Paul Fitoussi : Ce fut d’autant plus simple pour eux qu’ils ont porte ouverte dans tous les cercles de pouvoir. Ils ont en charge le financement de l’économie, mais aussi celui de la dette publique. En cela, ils traitent toujours au plus haut niveau. Cela leur donne un pouvoir de négociation considérable face aux gouvernements, d’autant plus qu’il existe une porosité entre les deux mondes. Mais ce déséquilibre ne pourrait pas exister si de nombreux économistes qui se considèrent toujours comme sérieux – même après cet échec patent – n’avaient légitimé la dérégulation des marchés financiers. Ils n’ont cessé de produire des analyses montrant que la libéralisation de ces marchés avait un effet positif sur la croissance. Ce sont ces analyses, et leur soubassement doctrinal, qui ont montré toutes leurs limites. Aux Etats-Unis, avec un poids économique de 10 %, le secteur financier s’arroge près de 40 % des bénéfices. Il y a quelque chose qui ne va pas dans cet état du monde. Le secteur financier a la mission de financer l’activité économique : il est incompréhensible que, pour l’accomplir, il prélève près de la moitié des profits de l’économie. Il faut donc trouver un moyen de remettre le système financier à sa place, celle d’un instrument et non d’une fin en soi.

Marianne : Est-on sur ce chemin ?

Jean-Paul Fitoussi : Pas vraiment. Les banques sont à nouveau gorgées de liquidités, que les politiques monétaires et budgétaires leur ont fournies pour qu’elles continuent d’assurer leur mission de financement de l’économie, un bien public. Et que font-elles ? Financent-elles de nouveau l’économie ? Très peu, car, pour l’essentiel, elles s’adonnent à l’activité la plus rémunératrice, les transactions sur les actifs et donc sur les marchés financiers, entretenant ainsi les conditions d’une future bulle. Pire, le sauvetage à n’importe quelle condition des banques a considérablement accru leur pouvoir. Elles savent disposer d’une garantie implicite des Etats contre la faillite, garantie d’autant plus certaine qu’elles sont grosses. Leur stratégie, rationnelle, a donc été de grossir davantage. C’est bien ce qui s’est passé : les grandes banques sont devenues encore plus grandes. Tous les ingrédients sont réunis pour que de nouvelles bulles encore plus dangereuses se forment.