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L’UNIVERSITÉ DE CONSTANTINE : Honneur à la chimie

Publie le jeudi 10 décembre 2009 par Open-Publishing

« On ne présente pas Constantine. Constantine se présente et on salue »

Propos attribués à Malek Haddad

Que de chemins parcourus depuis les enseignements à la médersa, depuis les débuts de l’université de Aïn El Bey où le premier recteur, Abdelhak Brerhi, occupait les classes au fur et à mesure de leur livraison par l’entreprise. L’université Mentouri conçue par l’architecte Oscar Niemeyer a fait du chemin en une quarantaine d’années. Des milliers de diplômés sont sortis de cette pépinière de l’intelligence où malgré tous les reproches que l’on peut faire, cette université a traversé des périodes difficiles mais a toujours a pu trouver en elle les ressorts pour rebondir. Il reste que la juxtaposition de structures aussi nombreuses soient-elles ne doivent pas nous interdire de poser les termes du gigantisme et de la nécessité de veiller constamment à ce que l’acte pédagogique ne se détériore pas.

Pour en revenir à cette manifestation scientifique du 7 au 9 décembre 2009, une première constatation : le degré important de participants : le nombre de conférenciers (11), le nombre de communicants (160) et une centaine de posters, soit au total plus de cinq cents participants. Les universitaires français vinrent en force pour présenter des conférences ou des communications, il en est de même d’autres chercheurs espagnols, italiens marocains et tunisiens. C’est une prouesse d’abord en termes d’intendance : loger, transporter et nourrir à la fois sur le plan spirituel et sur le plan matériel, c’est un pari que l’université et plus largement la ville a su relever malgré son déficit en structures hôtelières de grand standing qui ne lui permet pas d’accueillir des congrès internationaux à l’instar d’Alger et d’Oran. La convivialité et la sérénité constatées sont dues à l’organisation parfaite à la fois sur le plan scientifique et sur le plan matériel.

Les VIIes Journées de la Chimie furent ouvertes par le professeur Djakoun qui prononça à cet effet, une brève allocution où il a décrit les efforts de l’Université à la fois en graduation et en recherche. Il a de même parlé de la chimie et de son apport dans le développement. Il a conclu en attirant l’attention sur la chimie et les changements climatiques, évocation à propos, le même jour s’ouvrait à Copenhague une conférence dont dépend le salut de la planète

L’histoire de l’humanité
Il nous a été donné de faire une conférence que nous avions intitulée : « Une brève histoire de la chimie » L’histoire de la chimie est en fait l’histoire de l’humanité. Un fruit mûr mangé par l’homme préhistorique, c’est de la chimie, la découverte majeure que fut le feu (réaction de combustion) c’est de la chimie. La beauté de Cléopâtre grâce en partie, aux produits de beauté, c’est de la chimie. Les premiers scientifiques se sont intéressés aux éléments naturels. Nous allons décrire le cheminement de la pensée scientifique à partir de Démocrite (460 av. J.-C) en passant par Aristote (vers 325 av J.-C) et Lucrèce (vers 98 av J.-C). La matière est-elle discrète ou continue ? Matière discrète ou continue ? Dans l’Antiquité, deux grandes théories de la matière s’opposent. Pour les aristotéliciens, la matière est continue. Elle est pensée comme un substrat inerte au sein duquel on insuffle des qualités (chaud, froid, sec, humide) dans des proportions variables pour donner les différents éléments : l’eau, la terre, le feu et l’air. Le mélange continu de ces éléments permet de donner naissance à toutes les matières existantes. La théorie atomique stipule quant à elle, que la matière est constituée de briques élémentaires, indivisibles, et que c’est la différence d’arrangement géométrique entre ces briques qui est à l’origine des différentes matières.
Dans le de natura rerum, Lucrèce présente les axiomes de base de la théorie atomique sous forme d’un dialogue avec un opposant à cette théorie. Le premier postulat « rien ne naît de rien » lui permet de s’appuyer sur une représentation du monde sans créateur...Son raisonnement lui permet ensuite de démontrer les filiations entre les substances, donc l’existence d’éléments transmis des unes aux autres. En s’appuyant sur l’observation de phénomènes naturels (rosée, érosion...), il montre que ces éléments transmis sont imperceptibles et propose l’existence de corps indivisibles : les atomes.
La théorie d’Aristote dominera pendant de nombreux siècles. Elle parviendra sous une forme un peu modifiée aux alchimistes qui travaillent dans le cadre de la théorie des quatre éléments. La théorie atomique réapparaît chez les physiciens à partir du dix-septième siècle : les particules de gaz sont représentées comme des sphères dures. Mais les chimistes refusent cette interprétation des physiciens et préfèrent le cadre aristotélicien. On peut remarquer que le vocabulaire employé alors présente des expressions toujours en usage mais dont le sens a complètement changé : une « mole » est un grand nombre de particules élémentaires tandis que « molécule » désigne un petit nombre de ces particules.

Dans cette marche de la pensée scientifique, il n’est inutile de citer l’apport des savants musulmans au Moyen Age. D’ailleurs, le mot chimie dériverait dit-on, du mot arabe « el kimia » Les sciences et techniques islamiques1 se sont développées au Moyen Âge, dans le contexte politico-religieux de l’expansion arabo-musulmane. Le monde arabo-musulman est à son apogée du VIIIe siècle au XIVe siècle : c’est l’âge d’or de la science arabe. Cette culture scientifique débute par une traduction accompagnée de lecture critique des ouvrages de l’Antiquité en physique, chimie, mathématique, astronomie ou encore médecine, traductions qui concourront à la genèse d’une culture arabe « classique ». Baghdad devint la capitale intellectuelle de son époque. Des écoles et des bibliothèques furent construites. Al Mamun, calife de 813 à 833, avait réuni à Baghdad des savants de tous horizons, quelles que soient leurs croyances. En 832 fut fondée la Maison de la Sagesse (Baït al-hikma).

Les savants musulmans traduisent les traités de Dioscoride (De Materia Medica) et font progresser la pharmacopée. Le mot sirop est d’origine arabe. L’utilisation des alambics permet de distiller les substances telles que l’essence de rose. On leur doit l’extension de la culture de la canne à sucre et dans une moindre mesure du coton. Leur acquis principal réside dans la création de jardins botaniques (Al-Andalus), à la fois lieux d’acclimatation et d’étude avec une orientation vers les plantes médicinales. On notera une extension de la zone de culture de certains fruits (agrumes, bananes) et de certaines fleurs (crocus sativus dont on tire le safran). Grâce à la maîtrise de l’hydraulique et de la botanique, les agronomes arabo-musulmans auront permis à l’agriculture méditerranéenne de sortir de l’antique triade de la culture blé-vigne-olivier.

La civilisation arabo-musulmane compte des alchimistes renommés. En cherchant de l’or, ils travaillent sur d’autres matières comme par exemple l’acide nitrique et perfectionnent la distillation (alambic est un mot d’origine arabe comme alcool). La chimie connut une impulsion décisive avec Jâbir ibn Hayyân (vers 845) et s’illustra avec la manipulation de nombreux produits minéraux, végétaux et animaux. Les dirigeants musulmans ont encouragé la recherche scientifique et la diffusion du savoir : Harun ar-Rachid (calife de 786 à 809) imposa l’usage du papier dans toutes les administrations de l’empire. Le développement sans précédent de l’industrie papetière conduira à la mise au point d’encres, de papiers de qualités différentes capables de supporter dorures et enluminures, à la maîtrise de fermentations et de procédés d’encollage. La rame de papier est un autre mot d’origine arabe (ramza).

À la fin du dix-huitième siècle, les chimistes tentent de rationaliser les résultats observés lors des réactions chimiques. Lavoisier introduit la notion « Rien ne se perd,rien ne se crée, tout se transforme » et Proust s’intéresse aux modifications de poids lors des réactions.(loi des proportions définies en 1794). Au début du dix-neuvième siècle, Dalton étudie les flux de gaz et leur solubilité dans l’eau. Il formule l’hypothèse que leur solubilité est inversement proportionnelle à leur masse. La principale difficulté rencontrée par Dalton est d’obtenir les proportions stoechiométriques dans lesquelles les corps réagissent. Gay-Lussac et Berzélius pensent que l’idée fondamentale de Dalton selon laquelle il existe une structure microscopique descriptible est fondée. Les mesures de volume de Gay-Lussac lui permettent de corriger la formule brute utilisée par Dalton pour l’eau et Berzélius établit une nouvelle échelle des masses en pesant les oxydes.
En 1824, on isole pour la première fois deux substances de même composition massique mais ayant des propriétés chimiques différentes. Ce fait expérimental déclenche une controverse virulente. Pour expliquer les différences observées, on commence à attribuer un rôle important à l’ordre d’agencement des atomes.

Berzélius introduit la notion d’isomérie. Entre 1830 et 1860, les chimistes organiciens proposent des théories de constitution qui permettent de rationaliser la synthèse organique. Elles sont basées sur la constatation expérimentale que certains groupes sont transférés en bloc au cours des synthèses. En 1858 Couper et Kekulé proposent la tétravalence du carbone. En 1865, Hofmann propose les premiers modèles moléculaires : les « croquet-ball models ». On constate que les structures des molécules proposées ressemblent à celles que nous connaissons aujourd’hui, le méthane par exemple est tétraédrique. Mais cette ressemblance n’est que fortuite, il faudra attendre une dizaine d’année avant d’établir que le carbone est tétraédrique. Du côté des cristallographes, en 1821 Mitscherlich propose la loi de l’isomorphisme qui établit un lien entre la structure macroscopique des cristaux et celle de leurs molécules constitutives.

Le vingtième siècle voit la mise au point de représentations moléculaires de plus en plus complexes, en particulier de molécules biologiques. En 1953, on obtient la première carte de diffraction des rayons X par l’ADN qui permet à Watson et Crick de construire une représentation tridimensionnelle de la macromolécule et de proposer une structure en double hélice. Au vingtième siècle il y eut différentes théories sur la constitution de l’atome (Bor,Sommerfeld) avec les quantas, et le principe d’incertitude d’Heisenberg, la chimie quantique prit son essor et l’ équation de Schrodinger en est le pilier. La course vers l’infiniment petit nous amène à rechercher les briques ultimes de la vie (les constituants de la matière) et on pense que le grand accélérateur du Cern pourra débusquer le boson de Higgs prévu théoriquement.

Les applications de la chimie sont multiples pour le meilleur comme pour le pire. De la chimie de la beauté à la catalyse de la chimie minérale, à la chimie pharmaceutique, c’est un feu d’artifices débridés. Je voudrais dans ce résumé donner quelques applications de la chimie associée à la thermodynamique. La combinaison du carbone et de l’hydrogène a donné les hydrocarbures qui on permis - par combinaison avec l’oxygène - de produire une enthalpie : énergie qui a permis le développement exponentiel de la civilisation humaine. Elle a permis aussi l’avènement de la pétrochimie qui a envahi tous les domaines de la vie.

Cependant, la consommation d’énergie variée débridée, inégale, amène à parler de la face sombre de la Chimie : la pollution, la famine. En effet, la pollution par les hydrocarbures, et surtout la pollution par le CO2, engendre une augmentation de l’effet de serre. De plus, la boulimie énergétique a amené à étendre la culture des agrocarburants dans le monde et particulièrement dans les continents du Sud avec des conséquences désastreuses. Elle s’inscrit dans une perspective globale de recherche de solution à la crise énergétique. De fait, dans les cinquante prochaines années, nous devrons changer de cycle, passant de l’énergie fossile, se faisant de plus en plus rare, à d’autres sources. Au lieu de réduire sérieusement la consommation et d’investir massivement dans de nouvelles technologies, notamment pour l’énergie solaire, il est, à court terme, plus facile d’utiliser ce qui est immédiatement rentable, c’est-à-dire les agrocarburants.

Les produits chimiques utilisés comme carburants, (ethanol, esters..) détruisant la biodiversité et polluant les sols et l’eau. Avec un massif de produits chimiques comme fertilisants et pesticides, autres revers de chimie. Ainsi, pour obtenir un litre d’éthanol à partir du maïs on utilise entre 1200 et 3400 litres d’eau et la canne à sucre en exige énormément aussi. L’impact des agrocarburants sur la crise alimentaire a été prouvé. Non seulement, leur production entra en conflit avec la production d’aliments dans un monde où, selon la FAO, plus d’un milliard de personnes souffrent de la faim, mais de plus, leur impact en termes de carburant est marginal. Manger ou conduire il nous faut choisir ! En conclusion, comme toute science, la chimie peut servir l’humanité par une utilisation raisonnée et éthique. Elle peut aussi la détruire avec tous les Frankeinstein pour qui seule compte la finalité dans un monde où le profit est régi en dogme.

Le feu sacré

Ces VIIes Journées nous ont conforté dans la certitude que rien de pérenne ne se fera sans la jeunesse capable de belles choses comme elle l’a montré par son engagement pour un simple match de foot. A Constantine, j’ai trouvé auprès des jeunes chercheuses et chercheurs le même feu sacré. A nous de les diriger, de les instruire pour donner une perspective à ce pays. Seul petit bémol, j’ai remarqué que la majorité des communications portaient sur des thèmes qui n’ont pas de retombées immédiates pour le pays. A quand un cap avec des Etats généraux par discipline pour poser les fondations dans le calme et la sérénité des vrais priorités du pays ? Il nous faut copier, adapter avant de créer. On l’aura compris, il n’est plus question de faire « sans l’université » qui se doit d’être le moteur de la création de richesses. Le temps nous est compté. Cette jeunesse débordante de questions et d’étonnement est une chance pour le pays si on sait y faire et qu’on sorte des sentiers battus actuels.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Polytechnique enp-edu.dz