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Pour en finir avec l’identité nationale

Publie le samedi 12 décembre 2009 par Open-Publishing
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Lorsque l’écrivain anglais Samuel Johnson a qualifié le patriotisme de dernier refuge de la canaille, il n’imaginait certainement pas que Nicolas Sarkozy et son ministre Besson lui en offriraient deux siècles plus tard, avec leur débat sur l’identité nationale, une illustration aussi éclatante. Cette caricature de débat ne mérite certainement pas qu’on participe, d’autant plus qu’on sait déjà ce qui va en sortir. En fait la seule chose intéressante dans ce débat, c’est qu’on éprouve le besoin de l’organiser. Lorsqu’un peuple se penche sur son identité, c’est qu’il n’en est plus très sûr et derrière les manoeuvres de l’hyper-président et de son traitre favori comme derrière les rodomontades des islamophobes et des nationaux-républicains se cache un phénomène à la fois plus lent et plus décisif : l’effritement progressif des trois mythes sur lesquels se fonde la fameuse identité nationale française.

Le premier de ces mythe c’est l’inévitabilité, l’idée selon laquelle le territoire français constituerait une unité naturelle qui aurait de tout temps vocation à s’incarner dans une entité politique unique. C’est un argument puissant en faveur du statu-quo, et surtout il cadre bien avec l’idéologie dominante de notre époque : l’historicisme. L’historicisme, qu’on aurait tort d’assimiler au seul marxisme, affirme que l’histoire a une direction et qu’elle aboutit nécessairement, sinon à l’utopie, du moins à un monde infiniment plus plaisant que celui où nous habitons. C’est cette idéologie qui sous-tend la notion de progrès, partagée, avec il est vrai des contenus très différents, par presque toutes les familles de pensée, des néo-conservateurs américains aux décroissants français en passant par les marxistes, la plupart des écologistes et les alter-mondialistes. Dans le domaine politique, cela signifie que les seigneuries guerrières puis les principautés féodales qui se sont installées sur les ruines de l’Empire Romain devaient nécessairement donner naissance à la France telle qu’elle existe aujourd’hui et dans les frontières qui sont aujourd’hui les siennes.

C’est évidemment une absurdité. La France est, comme tous les états et territoires de la planète, née du hasard des batailles et des héritages. Elle aurait fort bien pu avoir sa frontière sur la Somme ou le Rhône. Elle aurait surtout pu ne jamais exister. Elle aurait pu être divisée en de multiples états ou absorbée par l’un ou l’autre de ses voisin ou encore être victime de son succès et se fondre dans un empire ouest-européen qu’elle aurait elle-même crée – cela a d’ailleurs été une réelle possibilité pendant la Guerre de Succession d’Espagne. Le discours sur les frontière naturelles n’est qu’une légitimation a posteriori, quant à celui sur la prétendue unité des populations de l’espace français – généralement brandie pour fermer la porte aux nouveaux arrivants – elle est totalement factice. Le mythe gaulois n’est qu’un mythe. Si les populations de l’ouest européen sont stables depuis le néolithique, elles sont aussi très diverses, avec une très nette séparation entre les populations de la façade atlantique, issue du vieux fond paléolithiques et celles de l’est et du sud, venues d’Anatolie via la vallée du Danube ou les côtes de la Méditerranées.

Ces distinctions n’ont, bien entendu, plus aucune signification identitaire et ceux qui souhaiteraient les utiliser feraient bien de se souvenir que cette stabilité des populations ne vaut pas que pour l’Europe. Les Anatoliens, aussi sont resté en place. Par ailleurs, elles ne valent qu’au niveau statistique. Nous avons tous des ancêtres venus d’ailleurs et des cousins qui ont fait souche aux antipodes. La tombe du père probable de Jésus – un nommé Tiberius Iulius Abdes Pantera – se trouve à Bingerbrück en Allemagne, et son cas est loin d’être isolé.

Le second mythe est ce qu’on pourrait appeler l’éternité française, laquelle a d’ailleurs un équivalent breton, russe ou danois. Il s’agit de l’idée, pas forcément contradictoire avec la précédente, selon laquelle la France n’est pas un objet historique avec un commencement et surtout une fin, mais une sorte d’objet incréé dont l’origine est renvoyé à un mythe gaulois ou franc. Vercingetorix et Clovis – pardon, Hlodovech – sont dans cette logique moins des personnage historiques pris dans leur complexité, que des symboles destinés à légitimer un état français moderne avec lequel ils ont peu à voir. Leur principal utilité est de fournir un contrepoint, mythique et intemporel, à l’avenir sans fin que la France se promet à elle-même.

Il va sans dire que tout cela n’a qu’un rapport lointain avec la réalité. Vercingetorix était le chef militaire d’une confédération tribale partiellement celtophone dont la culture s’est entièrement dissoute dans la romanité. Hlodovech, lui, n’était qu’un seigneur de guerre, guère différent de ceux qui se partagent aujourd’hui la Somalie. Il parlait une langue germanique, comme d’ailleurs la totalité de ses successeurs pendant les trois siècles qui ont suivi. A sa mort, il a, par ailleurs, divisé ses possessions entre ses fils Hlother, Hildeberht, Hlodomer et Theuderik comme s’il s’agissait d’une vulgaire ferme. Ce n’est qu’au cours du Moyen-Age que la notion de France s’est affranchie de la logique tribal puis patrimoniale qui prévalait jusqu’alors.

Le problème c’est que si la France a eu un début elle aura aussi une fin, et que cela n’a strictement rien de scandaleux ou d’anormal. Si l’état français est tout à fait légitime, même dans les zones qui, comme la Bretagne ou la Corse, auraient de bonnes raisons de vouloir le bannir, il faut pas voir cette légitimité comme autre chose qu’un compromis temporaire, qui doit être renouvelé à chaque génération et qui peut fort bien s’évaporer un jour comme s’est évaporé celui qui faisait tenir le Royaume d’Est-Anglie ou la Tchecoslovaquie. Cela pourrait d’ailleurs se produire plus tôt que la plupart des gens le pensent. Si John Michael Greer et Richard Heinberg ont raison sur les conséquences de la crise générale des ressources, la France pourrait ne pas survivre au XXIème siècle.

Même si elle y arrivait, se serait sous une forme très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, ce qui nous amène au troisième mythe, celui de l’immutabilité française, c’est à dire l’idée selon laquelle la francité est définie par une série de traits culturels qui ne peuvent en aucun cas changer. Le problème, naturellement, c’est que ces traits ne sont pas les mêmes pour tous les français, ouvrant la voie à des culture wars à la française qui n’ont rien à envier à celle d’outre-atlantique. Si les fidèles de la Fille Ainée de l’Eglise ont pour l’essentiel perdu face à ceux de la Patrie des Droits de l’Homme, la lutte est féroce entre les thuriféraires de la France monoculturelle – comme par exemple le très xénophobe et islamophobe Riposte Laïque – et ceux qui pensent que la tolérance ne s’applique pas qu’à eux-même.

Cette dispute aussi est absurde. Il suffit de se plonger dans un livre d’histoire pour se rendre compte que les cultures sont mutables et qu’en associant une identité à un moment culturel particulier – lequel, en général, ne concerne d’ailleurs qu’une partie de la population – on la fossilise et on la condamne à la sclérose. Les cultures réelles sont un mélange de traditions constamment réinterprétées, d’innovation qui ne tarderont pas à devenir des traditions et d’influences venues d’ailleurs. C’est ainsi que le thé, qui à l’origine ne poussait qu’en Chine, est devenue une boisson nationale, suivant d’ailleurs des modalités très différentes, au Japon, en Grande-Bretagne, en Russie et au Maroc.

Lier l’essence de la France ou de la Bretagne à une religion, puisque c’est, semble-t-il l’essentiel du débat aux yeux de certains, c’est nier à nos concitoyens toute liberté de choix et enfermer nos enfants dans une définition d’eux-même de plus en plus restrictive et anachronique. La Perse n’a pas cessé d’être la Perse quand elle est devenue musulmane et les scandinaves sont restés des scandinaves quand ils ont abandonné Thor et Odhin. De la même façon si, une fois effacés les derniers vestiges de l’emprise catholique, la Bretagne se convertissait à l’Islam ou à la Wicca, elle n’en continuerait pas moins à être la Bretagne, même si c’est d’une manière différente.

Les équivalents locaux de Riposte Laïque et du Front National ne manqueront d’ailleurs pas de vociférer contre les bouddhistes et les orthodoxes qui auront l’impudence de ne pas se cacher pour pratiquer leur religion.

Cela ne signifie pas que la notion d’identité nationale est illégitime ou que l’Etat Français doit rejoindre l’Autriche-Hongrie dans les poubelles de l’histoire. Il est légitime parce que les populations qu’il représente s’y reconnaissent, même celles qui, en Bretagne où en Corse, auraient de bonnes raisons de le rejeter. Il n’a d’ailleurs pas besoin d’autres raisons d’être.

Ce que nous devons admettre, cependant, c’est que la nation – n’importe quelle nation – et les valeurs qui la définissent, n’ont rien de sacré ou d’intangibles. L’arrangement géopolitique et culturel qu’on nomme la France n’est, comme l’Empire Sassanide ou la Principauté de Theodoro, qu’une construction périssable, née de la conjonction d’influences souvent contradictoires et toujours éphémère. Elle mérite certainement le respect, mais pas cette vénération que trop d’entre nous mettent derrière la notion d’identité nationale. Tôt ou tard elle disparaitra et le monde continuera à tourner et l’histoire à s’écrire.

Et si Greer et Heinberg ont raison, nous ferions bien de préparer la voie pour ses successeurs.

http://www.damienperrotin.com

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