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L’expérience du contrôle ouvrier à l’usine Philips de Dreux montre la voie à tous les travailleurs

Publie le vendredi 22 janvier 2010 par Open-Publishing
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Les patrons du groupe Philips EGP ont annoncé le 22 octobre la fermeture de l’usine de Dreux (Eure-et-Loir), dans le cadre d’un plan de suppression de 6 000 emplois dans le monde. La colère des 213 travailleurs est grande. Ils cherchent les moyens de lutter efficacement contre la fermeture de l’usine. Or ils ont mis en œuvre, pendant quelques jours, un contrôle ouvrier sur la production : ce fait sans précédent depuis des années en France pourrait être le tout premier signe d’une nouvelle méthode de lutte contre les licenciements. Il doit donc intéresser tous les militants, tous les travailleurs combatifs. Nous avons rencontré les travailleurs de Philips le 13 janvier en interviewant des non syndiqués, des militants de FO (le syndicat majoritaire) et des syndicalistes de la CGT, dont le secrétaire Manuel Georget, qui est par ailleurs un camarade du NPA.

Un plan de fermeture justifié par un montage financier artificiel visant à cacher les profits de Philips

Le plan de fermeture de l’usine intervient un an et demi seulement après le précédent « plan social », alors que la direction avait justifié alors les licenciements par le prétexte de sauver le site. Après une grève de huit semaines, le syndicat FO, majoritaire, avait fini par céder en donnant un avis favorable, comme l’Inspection et le Ministère du travail, alors même que le plan incluait le licenciement illégal de délégués CGT. Aujourd’hui, les trois délégués CGT licenciés, après avoir gagné leur procès, ont été réintégrés, mais beaucoup des autres travailleurs n’ont pas retrouvé de travail dans un bassin qui compte 28% de chômeurs officiellement. Certains doivent maintenant se nourrir à la soupe populaire.

Pour justifier leur nouveau plan, les patron ont recours à un pur artifice comptable : alors que le groupe Philips EGP est divisé juridiquement en trois unités (éclairage, matériel médical et électronique grand public), et que toutes trois sont largement bénéficiaires, le patron prétend isoler la production des téléviseurs qui seule est déficitaire en France (le site de Dreux a perdu 19 millions en 2009, mais cela s’explique par la décision de se retirer du marché américain et par le choix financier de maintenir les dividendes des actionnaires plutôt que de se donner les moyens de développer le marché malgré la hausse de la demande de téléviseurs dans le monde en 2009). Les travailleurs expliquent donc que cette situation est largement compensée par celle des autres secteurs : l’unité de l’électronique grand public (Consumer Lifestyle) annonce 176 millions de bénéfices au deuxième trimestre 2009 et 230 millions au troisième, soit une hausse de 15% en un an ! Et le « plan social » est probablement illégal, car il est interdit de redéfinir les périmètres d’activité d’une entreprise pour prétexter des licenciements économiques. C’est pourquoi l’Inspection du travail a émis cette fois un avis défavorable.

Cet avis a contribué à relancer la lutte en la légitimant. Les syndicats exigent le maintien de l’usine et des emplois, même s’ils négocient en même temps pour obtenir une augmentation des indemnités de licenciements au cas où le plan passerait. Cependant, la production ayant été ramenée au plus bas depuis l’automne (avec à peine quelques dizaines de téléviseurs par jour), l’arme de la grève semble inefficace aux travailleurs et ils veulent d’autant moins y recourir que leur grève de huit semaines en 2008 n’avait pas suffi à mettre en échec le précédent plan de licenciements. Dans cette situation, deux propositions ont été faites aux travailleurs début janvier. La première a été d’interpeller le préfet pour qu’il signale à Philips l’illégalité de son plan. La seconde, proposée par la CGT (syndicat oppositionnel, exclu de l’UL et de l’UD en 2000, quoique toujours rattaché à la fédération de la métallurgie), a été de mettre en place un contrôle ouvrier sur la production. L’Assemblée générale des travailleurs a adopté les deux propositions, avec dans un premier temps le soutien des trois syndicats (CGT, FO et CGC).

Mise en place du contrôle ouvrier

Le 6 janvier, 147 travailleurs ont donc voté (avec seulement 5 voix contre), pour la première fois en France depuis des années, pour un contrôle ouvrier qui a été effectivement réalisé plusieurs jours. En apparence, il s’agit d’une décision limitée : les travailleurs ont eux-mêmes commandé et acheminé les pièces et matériaux nécessaires à la fabrication des téléviseurs, qui étaient dispersés dans différents entrepôts des alentours ; ils ont entreposé ces pièces, ont augmenté la production sous leur propre contrôle (la faisant passer à 300 téléviseurs par jour) et stocké les téléviseurs dans un local réquisitionné à cet effet. En réalité, cette action est d’une importance considérable : s’il ne s’agissait certes pas d’autogestion ouvrière, puisque le patron restait propriétaire, les travailleurs n’en ont pas moins montré qu’ils sont capables de gérer eux-mêmes l’approvisionnement, la production et le stockage, sans avoir besoin des ordres patronaux et du contrôle des cadres.

C’est d’autant plus important que cette décision a été prise en Assemblée générale après un débat sur les moyens de lutte possibles et qu’elle a été expressément estimée supérieure à l’acte de séquestrer le patron ou d’installer des bombonnes de gaz. Dès lors, il est clair que les travailleurs étaient prêts à continuer à produire de cette façon, de bloquer les stocks pour frapper le patron au portefeuille, voire de les vendre directement au bénéfice des travailleurs (selon les calculs de Manuel Georget, secrétaire de la CGT et par ailleurs membre du NPA, avec qui nous avons pu nous entretenir, c’était possible de produire et vendre sans pertes, voire de baisser les prix, à partir du moment où l’on supprimait les dividendes aux actionnaires et autres bénéfices capitalistes).

Répression patronale et trahison de FO au nom de la loi

Cette étape n’a malheureusement pas été franchie car les patrons ont bien sûr compris rapidement qu’une brèche s’ouvrait dans leur sacro-saint droit à la propriété privée. Dès le lundi 11 janvier, la direction a donc fait venir un huissier et celui-ci a constaté des gestes productifs de deux délégués syndicaux (l’un CGT, l’autre FO) qui n’entraient pas dans leur fiche de travail normale. La direction a immédiatement rédigé une mise en demeure en accusant les délégués de détourner les produits appartenant à Philips. Les travailleurs ne se sont pas laissé faire en montant collectivement chez la direction pour exiger le retrait des menaces. Ils ont eu gain de cause, mais n’en ont pas moins été déstabilisés par l’intimidation et l’inquiétude s’est installée, alors que les travailleurs n’avaient pas eu jusque-là la conscience d’agir illégalement, dans la mesure où ils s’étaient contentés de travailler. C’est pourquoi certains observateurs ont pu s’étonner du décalage entre l’expérience du contrôle ouvrier et une certaine inconscience de sa signification profonde pour une partie des travailleurs, qui l’ont mis en place spontanément, sans avoir le sentiment de mettre en cause la logique du capital…

Mardi 12, la direction a profité de la situation d’inquiétude créée la veille pour intimer à quatre caristes l’ordre de sortir les téléviseurs de l’entrepôt réquisitionné, sous peine de licenciement pour faute lourde. La CGT est immédiatement intervenue en faisant valoir que l’obéissance à cet ordre mettrait en danger les quatre salariés, car cela revenait à leur faire prendre en charge seuls la fin d’une décision collective, avec un risque de pression psychologique, voire de représailles. Mais la direction a refusé de convoquer le Comité d’hygiène et de sécurité ou d’attendre l’avis du médecin du travail. C’est alors que, au lieu de développer le rapport de forces, le syndicat FO est intervenu à son tour pour dire aux caristes d’obtempérer, sous prétexte de ne pas risquer le licenciement. Pourtant, il était possible d’organiser un débrayage collectif et de mettre les salariés en grève afin de sauver le contrôle ouvrier. Mais FO estimait qu’il fallait au contraire y mettre fin, craignant que les travailleurs n’avancent dans l’illégalité. En se pliant ainsi aux exigences de la propriété privée et de la loi bourgeoise, FO a trahi la lutte des travailleurs en aidant le patron à mettre fin à l’expérience de contrôle ouvrier pourtant décidé quelques jours plus tôt en Assemblée générale (sans que FO ose alors s’y opposer).

FO organise la démobilisation des travailleurs en s’en remettant au préfet

FO a alors repris la main en appelant les travailleurs à respecter la loi et à se rassembler jeudi 14 devant la préfecture de Chartres. Une centaine de travailleurs y sont allés et une délégation intersyndicale a été reçue. Celle-ci avait été décidée en AG et ce n’est pas en soi illégitime de multiplier les initiatives visant à mettre la pression sur le patron, en l’occurrence en faisant valoir l’illégalité du plan social. C’est pourquoi la CGT a participé à cette délégation. Pour autant, l’orientation de FO s’est confirmée être celle d’une trahison légaliste : ce syndicat a non seulement refusé la poursuite du contrôle ouvrier, mais est allé jusqu’à expliquer systématiquement aux travailleurs qu’ils s’étaient fait manipuler par la CGT et les « gauchistes », comme nous avons pu le constater en interviewant les travailleurs rassemblés devant la préfecture. Et il leur a fait croire, dans le compte-rendu de la délégation, qu’ils pouvaient compter sur le préfet sous prétexte que celui-ci s’est engagé à écrire au patron de Philips en attirant son attention sur l’illégalité supposée du plan !

Autrement dit, plutôt que d’appeler les travailleurs à poursuivre la lutte de toutes leurs forces, FO a remis leur sort entre les mains de l’État bourgeois en leur demandant d’attendre, avant toute autre action, que le préfet envoie la lettre promise au patron de Philips ! Cette orientation revient à briser la dynamique de la lutte et est d’autant plus déplorable qu’elle a été mise en œuvre par les lambertistes du POI qui sont peu présents dans l’usine elle-même, mais dirigent l’Union locale FO de Dreux dont le secrétaire général, Dominique Maillot, a conduit la délégation : voilà où conduisent l’intégration dans la bureaucratie syndicale réformiste et l’idéologie « républicaniste » du lambertisme pourrisant !

Le résultat de cette politique est que les travailleurs de Dreux, qui nous ont dit majoritairement leur confiance envers FO, sont maintenant nombreux à craindre la répression patronale en cas de reprise du contrôle ouvrier et à mettre leurs espoirs dans l’intervention du préfet. Mais, en même temps, ils ont parfaitement conscience que, même en cas d’illégalité du plan de fermeture (que seul un tribunal, non le préfet, pourrait décréter), Philips EGP en ferait un autre, cette fois légal. Les travailleurs veulent évidemment gagner du temps, mais ils voient d’autant moins d’issue que la moitié d’entre eux ont plus de 50 ans et ont vécu plusieurs plans de suppressions d’emploi depuis des années. Quant aux plus jeunes que nous avons pu interroger, leur colère contre les « patrons pourris » est vive, mais ils se sont d’ores et déjà inscrits pour suivre des plans de formation, en espérant pouvoir ainsi mieux préparer leur reclassement.

Dans cette situation, l’Assemblée générale du 15 janvier, dans une atmosphère morose, a entériné la fin du contrôle ouvrier et décidé d’attendre la lettre du préfet à Philips. Seule l’intervention de militants du syndicat SUD-Étudiant de l’université Paris-VIII, venus apporter leur soutien en lisant une motion (que nous reproduisons ci-dessous) a soulevé une réaction de joie et un tonnerre d’applaudissements. Puis de nombreux travailleurs sont partis sans même attendre la fin des interventions syndicales.

Pour surmonter la démoralisation, il faut approfondir les leçons de l’expérience du contrôle ouvrier, préparer sa réédition… et sa généralisation !

Contre la politique démobilisatrice et démoralisante de FO, il n’y a pas d’autre solution que d’approfondir les discussions avec les travailleurs en revenant sur le sens de leur expérience du contrôle ouvrier, moyen de lutte le plus efficace, voire le seul capable d’imposer le retrait du plan de licenciements (ou du prochain). Seule une discussion politique sur le sens réel de la légalité bourgeoise, sur la nécessité pour la lutte de classe de la braver et de s’en prendre à la propriété privée, permettra aux travailleurs de Philips de s’approprier les leçons de leur propre expérience et de reprendre le chemin de la lutte.

Il ne s’agit d’ailleurs nullement de semer des illusions en faisant croire qu’une usine sous contrôle ouvrier ou même autogérée puisse résister indéfiniment aux impératifs du marché capitalise, mais il est nécessaire de mener en même temps le combat politique pour la nationalisation de toute entreprise placée sous contrôle ouvrier, tout en se battant pour l’extension de ce combat aux autres entreprises. De ce point de vue, l’expérience de l’usine de Zanon en Argentine, gérée par les travailleurs eux-mêmes depuis plus de huit ans en relation avec un combat politique pour l’expropriation (acquise en août) et pour la nationalisation (qui reste à imposer), pourra être utile (nous avons donné aux travailleurs de Philips un stock de notre bulletin Au CLAIR de la lutte n° 3 paru en septembre 2009, qui contenait un dossier sur cette expérience, ainsi qu’un DVD qui lui est consacré).

Mais, dans la situation actuelle, il est clair que l’émergence du contrôle ouvrier à l’usine Philips de Dreux, quelles que soient ses limites, est un événement majeur, le premier signe d’une possible alternative au combat pour augmenter les indemnités de licenciement qui domine aujourd’hui. En ce sens, il pourra être médité par tous les militants et travailleurs en lutte contre les licenciements, en relation nécessaire avec le combat politique pour un affrontement d’ensemble avec le patronat et le gouvernement.

Ludovic Wolfgang

Motion de solidarité du syndicat SUD-Étudiant Paris-8

aux travailleurs de l’usine Philips de Dreux

Les militants de SUD-Étudiant de l’université Paris 8 en Seine-St-Denis font part de toute leur solidarité avec les travailleurs en lutte de l’usine Philips Dreux.

Cela fait maintenant dix jours que vous occupez votre usine et que vous avez décidé collectivement de prendre le contrôle de la production vous-mêmes.

Face à la crise du capitalisme, aux licenciements et aux pressions patronales qui rendent insupportables les conditions de travail et qui poussent des salariés jusqu’au suicide, l’appropriation des lieux de travail et des moyens de production offre une perspective conséquente pour les travailleurs, et constitue en ce sens un exemple.

Cette initiative offensive n’est pas sans nous rappeler le mouvement des entreprises récupérées en Argentine, notamment l’exemple de l’usine Zanon sous contrôle ouvrier depuis 8 ans maintenant et qui a obtenu l’expropriation depuis cet été.

Vous êtes en train de montrer qu’une usine peut fonctionner sans patron mais pas sans ouvriers !

Nous restons à votre disposition pour toute action de soutien et souhaitons diffuser votre exemple le plus largement possible.

Le 14/01/2010

SUD-Étudiant Paris 8

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