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Haïti / Honduras : parallèle plus que symbolique entre putsch et tremblement de terre

Publie le vendredi 22 janvier 2010 par Open-Publishing
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Petit comparatif du traitement médiatique de la crise hondurienne et de la crise haïtienne,... instructif.

Par Karen Bähr Caballero

En lisant quelque part qu’en taïno Haïti signifie “la plus haute montagne”, je me suis dit qu’en plus de ce beau contresens, il existe aussi un parallèle entre la terrible catastrophe qu’a subit Haïti et la crise politique qui agite le Honduras depuis le coup d’État de juin de l’an dernier.

Le parallèle est fait sur la manière dont quelques médias européens et américains ont couvert médiatiquement ces crises, que ce soit à propos du coup d’État ou du tremblement de terre. Et plus précisément, dans les représentations, de manière camouflée plus ou moins directe, qu’ils offrent des Haïtiens et des Honduriens.

Des Honduriens nous avons vu comment les médias internationaux reprenaient d’une manière un peu plus sophistiquée les qualificatifs “fange antisociale” ou “populace ignorante” avec lesquels les médias putschistes locaux nous bombardaient quotidiennement. Aux États-Unis et en Europe, en plus de se moquer du Honduras pour avoir été un des principaux protagonistes d’une guerre du football, beaucoup de médias importants continuent de réduire le mouvement de résistance à un groupe “d’adeptes de Zelaya”. De cette façon, on indique que ce groupe exige la restitution de celui qui apparaît comme un apprenti populiste autoritaire viré du pouvoir, d’une manière illégale, c’est certain, mais finalement justifiée. Dans leurs dépêches, les médias ont minimisé jusqu’à la caricature la vraie demande d’un mouvement qui, articulé autour du rejet de coup d’État et une patiente défense de la démocratie hondurienne, exige la refondation de son pays sur des bases, et non des façades, vraiment démocratiques et socialement justes et inclusives.

Des Haïtiens nous avons vu comment l’industrie médiatique satisfait l’envie morbide de ses consommateurs de souffrance, en les représentant comme des victimes pathétiques, et depuis quelques jours, comme des bandits, des pillards de magasins et des violeurs du sacro-saint droit à la propriété privée. Mais le pire, c’est que sournoisement, nous avons vu comment ils apparaissent comme responsables de ce qu’il leur arrive. Déjà parce que, on nous rappelle inlassablement, depuis qu’Haïti a commencé à exister comme pays son histoire a été celle de la corruption, de l’incontrôlabilité et de la violence. Ou parce que, à l’heure que la solidarité de la communauté internationale, les Haïtiens se battent entre-eux pour s’approprier l’aide (Par exemple le commentaire d’une photo publiée dans le New York Times où l’on voit un homme menaçant d’un couteau un groupe de femmes qui essaie de défendre les aliments qu’elles ont reçus...).

En plus du camouflage de ces idées, les silences sont également cachés.

En effet, les projecteurs qui dictent l’actualité médiatique se sont déjà éloignés du Honduras, bien que les assassinats des figures de la résistance et de paysans ; les menaces de mort envers les femmes des quartiers urbains ; les tortures auxquelles ont été soumis plusieurs journalistes indépendants et les attentats répétés contre médias indépendants, nous rappellent qu’au Honduras la crise ne peut pas être déclinée au passé, ni même à l’imparfait.

En Haïti, les plaintes que des organisations humanitaires et des activistes font à l’égard de “misplaced priorities” [priorités mal placées] des officiels américains et des militaires brésiliens de la MINUSTAH, qui se consacrent avant tout à assister et sortir du pays leurs collèges et concitoyens, apparaissent en second plan dans les articles qui en premier plan titre et illustrent amplement les pillages et la violence, non de quelques individus, mais des Haïtiens en général. Dans une ville en ruines, où la police se consacre à protéger des supermarchés pour que les survivants affamés ne récupèrent dans les décombres des produits qui finiront par pourrir de toute façon ; le désespoir se transformant en violence est plus une nouvelle que la violation de la déontologie fondamentale des missions internationales qui devraient être en Haïti pour aider les Haïtiens. C’est peut-être pourquoi que, bien que l’aide afflue avec rapidité et dans des dimensions sans précédents, le sentiment des Haïtiens est d’être, encore une fois, abandonnés.

Aussi comme le Honduras les médias internationaux les plus importants taisent l’importance du surgissement d’un mouvement démocratique, hétérogène et immensément engagé avec la démocratie ; d’Haïti, les médias taisent la dignité de la première république noire du continent américain, de ce peuple de peintres et de musiciens, de la patrie d’une diaspora éduquée et cosmopolite comme il y en a peu.

La représentation du Honduras et d’Haïti qui est ainsi construite est celle de deux peuples arriéré, traditionnels, incapables de vivre en paix puisque finalement : “qu’est-ce que les Honduriens et les Haïtiens savent de la démocratie ?”. La question non-formulée est : pourquoi veulent-ils l’indépendance ou l’autonomie s’ils ne savent par quoi faire avec ? Et la conclusion inavouable est qu’Haïti aurait mieux affronté les catastrophes naturelles s’il le pays n’avait pas joué le rôle principal dans la seule rébellion d’esclaves réussie sur le continent américain, quand au 19e siècle les Haïtiens ont eu l’audace de sortir les troupes de Napoleon la queue entre les jambes. Le Honduras serait pour sa part meilleur s’il se contentait de la démocratie des usines [maquiladoras] et des fast-food et s’il n’essayait pas de sortir de la zone d’influence des États-Unis.

C’est comme si, avec leurs demandes historiques de démocratisation et d’autonomie, les Honduriens et les Haïtiens avaient envahi le territoire symbolique dans lequel les élites, locales et globales, exercent leur pouvoir. Peu importe qu’il s’agisse de l’entrepreneur américain, du banquier hondurien ou du consul haïtien au Brésil, tous se sont senti délégitimés de leur exercice du pouvoir et de leur capacité pour imposer un projet qui prétend définir les pratiques et les modes de vie possibles, quel que soit son impact sur la majorité.

Il s’ensuit que, une fois handicapés, nos peuples miséreux peuvent nourrir de nouveau la pitié et la condescendance de ceux qui, au nord et aussi dans nos pays respectifs, se sentent supérieurs à la "fange", qu’elle soit hondurienne ou haïtienne. Et pouvoir de nouveau mériter la charité de ceux qui (supposément) savent ce que c’est que la démocratie et la modernité, surtout s’ils ont un marché.

Au moment où les Haïtiens et les Haïtiennes affrontent l’un des plus difficiles moments de leur histoire récente, nous sommes inconditionnellement solidaire d’eux. Bien que nous ne soyons pas géographiquement voisins, honduriens et haïtiens nous avons une expérience commune, intime, de l’impuissance devant l’injustice. Mais nous partageons aussi la conviction que, bien que cela nous coûte, nous continuerons de lutter pour conserver notre dignité.

Karen Bähr Caballero (heureuse parce qu’Yves et Fito sont vivants)

http://www.primitivi.org/spip.php?article201

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