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QUAND TOURNE LA ROUE DE L’HISTOIRE

Publie le lundi 25 janvier 2010 par Open-Publishing

Les forces politiques réactionnaires jubilent : « 80 % de non ! C’en est fini des patriotes et de question institutionnelle ! » Certains défenseurs du oui ne décolèrent pas : « C’est quoi ce peuple qui braille dans la rue et refuse le pouvoir de défendre ses intérêts propres ! » Et puis, le gouvernement a lancé sa campagne de propagande au plan international : « Voilà la preuve que ce sont bien des terres françaises et que la population d’outre-mer nous est définitivement attachée ! » Est-ce ainsi que tournerait la roue de l’histoire ?

Nous ne le croyons vraiment pas ! Qui a étudié la marche de l’humanité sait qu’aussi généralisées et profondes que puissent être de telles déclarations, de telles certitudes, celles-ci n’ont jamais été en mesure d’entraver l’avancée des peuples vers l’émancipation.

32.954 martiniquais et martiniquaises de plus de 18 ans ont dit le 10 janvier « Oui ! Nous voulons une nouvelle collectivité dans laquelle nous pourrons défendre nos intérêts propres » et ce dans un contexte où sévissaient les armes de désinformation massive. Personne n’oserait contester que toutes les couches de notre peuple figurent parmi ceux qui ont fait un tel choix. Comment, dans ces conditions, traiter indistinctement les Martiniquais de larbins et autres qualificatifs dégradants ? Comment un militant peut-il penser un seul instant qu’il y a lieu de baisser les bras au prétexte qu’une consultation, organisée dans le cadre du système colonial, s’est soldée par un échec ?
Quelle légitime fierté revendiquions nous quand 3O.OOO Martiniquais (notez le nombre !) défilaient contre la vie chère. Pourtant, chacun l’admet : des niveaux de conviction idéologique et des motivations très diverses, animaient les manifestants.

On a raison d’être amer en voyant les dégâts qu’ont pu causer, sur une importante partie de la population, les mensonges, les manipulations venant des profiteurs du système, la désinformation semée par des partis politiques prétendument progressistes qui ont sciemment sacrifié l’intérêt général à de bas calculs électoralistes et politiciens.

Mais ceux qui raisonnent sur des bases scientifiques savent qu’à plus ou moins long terme les opportunistes seront sanctionnés par l’histoire ; On ne peut se permettre de lancer des explications simplistes pour interpréter le vote majoritairement négatif de la population. En tout cas, il ne saurait être question de se laisser abuser par la campagne massive menée par les réactionnaires avec l’objectif de dénaturer le sens de ce vote et démoraliser les partisans du progrès.

Qui peut nier que, en période de crise, quand les difficultés sont criantes, et ce dans tous les pays du monde, les couches en situation de précarité s’accrochent solidement aux maigres sources de revenus dont elles disposent. Cela n’est dû ni à une peur irrationnelle, ni à de l’imbécillité : c’est tout simplement un réflexe de survie et cela même quand, dans ces couches, existe la conscience de leur l’exploitation ou du caractère insuffisant et aléatoire des « avantages » dont elles bénéficient. Evidemment, la désinformation venant des partisans du « non » a amplifié la tendance ! Mais pensez-vous sérieusement que les progrès dans la reconquête de notre identité, la perception des contradictions d’intérêts avec la puissance coloniale se soient évaporés de la conscience des Martiniquais ?

Les questions que devraient se poser ceux qui vilipendent le peuple devraient être celles-ci :

« Hors campagne électorale, qu’avons-nous fait pour donner à ceux qui sont privés d’instruction, à ceux qui sont soumis quotidiennement à la manipulation, les moyens de comprendre le système pour le combattre ? »

« Qu’avons-nous-fait pour aider ceux qui sont écrasés par le système au point de voir dans les acquis sociaux leur seule planche de salut ? Qu’avons-nous fait pour contribuer à leur organisation sur des bases politiques lucides. » (A ce propos ceux qui luttent pour transformer véritablement le système, ne devraient pas sous-estimer le travail dévastateurs que mènent, certains syndicalistes qui organisent les travailleurs sur la base de revendications corporatistes et en profitent pour les détourner systématiquement des combats politiques, sauf, bien sûr, quand eux-mêmes sont candidats aux élections ; ces opportunistes ont été, eux aussi, de précieux alliés pour les réactionnaires dans leur combat pour empêcher l’avancée politique)
Oui, il est légitime de s’inquiéter du temps perdu pour notre émancipation politique ; mais doit-on oublier que la roue de l’histoire ne saurait être mue par nos seules volontés et notre seul combat, ceux-ci fussent-ils irréprochables ? Le rôle des militants conséquents, justement, doit être de rester aux postes de combat, pour préparer les nouvelles batailles ! Et, d’abord, il convient de faire un bilan lucide de celle qui vient d’être menée.

Ceux qui se désespèrent aujourd’hui, n’avaient ils pas sous-estimé les ennemis ? Les colonialistes auraient-ils laissé notre peuple avancer vers la responsabilité sans tout faire pour saboter l’avancée ? Les profiteurs auraient-ils pu faire autre chose que désinformer, faire des affiches illégales, etc.

Il faut admettre également que, comme cela avait été le cas lors de la consultation de 2003 avec leur campagne réussie du « chat en sac », les ennemis de l’évolution ont su fort habilement organiser des provocations et en tirer profit. Exploitant les réactions de ceux qu’ils ont cherché à piéger, par exemple à propos de l’affaire du Lycée Schœlcher, ils sont parvenus, il faut le reconnaitre, à diaboliser les patriotes et à travers eux l’autonomie : Ils sont parvenus à persuader une partie de l’opinion que la démocratie pourrait être remise en cause et que l’on voulait chasser les blancs du pays !

Ne pas prendre en compte tous ces éléments et jeter l’opprobre sur notre peuple, ne me paraît pas très responsable. Les généralisations abusives traduisent souvent l’ignorance, la paresse d’analyse, elles sont aussi le meilleur espoir des puissants pour diviser et décourager les peuples. Il n’est qu’à constater le formidable élan de solidarité manifesté à l’égard de nos frères et sœurs d’Haïti, pour confirmer que notre peuple est digne de respect. En tout cas, nous avons confiance en sa capacité à déjouer tous les pronostics quant à son avenir.

L’acuité de la crise économique et sociale, la montée en puissance politique des patriotes avaient poussé le gouvernement colonialiste français à envisager une évolution politique. Mais il était évident qu’il mettrait tout en œuvre pour reprendre le contrôle de la situation avec l’aide des forces politiques réactionnaires et opportunistes. Le résultat est celui que nous connaissons. Quant à nous, nous restons inflexibles dans notre combat pour l’émancipation véritable du peuple Martiniquais. Car l’ère moderne ne saurait tolérer la persistance du système colonial ; car, reste encore l’exigence d’une consultation sous contrôle international, du seul peuple martiniquais sur son destin (Les Français de passage ont massivement voté lors de ces consultations alors que l’importante fraction expatriée de notre peuple n’avait pas le droit de se prononcer). Nous ajouterons en toute lucidité que, même dans le cas d’un vrai référendum d’autodétermination, les résultats seront le reflet de notre capacité, d’une part, à vulgariser les éléments nécessaires à la compréhension du système et à contribuer , d’autre part, à organiser notre peuple dans tous les aspects de sa vie. Ces taches sont d’autant plus des exigences que le capitalisme agressif développé par le gouvernement français et l’Union Européenne en général, continuera à laminer toutes les conquêtes sociales, donc, que les réactionnaires seront à terme privés de leur objet de chantage. Viendra inéluctablement le moment où ils devront subir les assauts de ceux qu’ils continuent de tromper.

A ce propos, je voudrais rassurer les amis des autres peuples sous domination française qui fondaient beaucoup d’espoir sur cette expérience de consultation référendaire et qui m’ont fait part de leur étonnement quant aux résultats de ces consultations.

Il n’y a ni recul, ni stagnation, ni raison de perdre confiance. Nous avons là une piqûre qui nous rappelle qu’au plan institutionnel le système est organisé et rodé pour maintenir les peuples sous domination. Et si cela ne remet pas en cause la nécessité d’utiliser ses contradictions ou de l’affronter sur ce terrain institutionnel, la lucidité doit toujours être de mise. Chercher à exploiter les failles du système ne doit pas conduire à NEGLIGER LES TACHES PRINCIPALES pour semer des illusions social démocrates ou électoralistes. La responsabilité des « retards » incombent surtout à ceux qui délaissent le travail fondamental d’organisation des masses populaires. Notre stratégie doit être offensive et ne jamais s’en tenir, seulement, au cadre tracé par le pouvoir colonial.

En faisant abstraction de la fracture exprimée par les résultats, on observe dans notre réalité, cette puissante volonté sans cesse exprimée par les Martiniquais de « se mettre ensemble pour s’attaquer aux vrais problèmes ». La marche vers notre émancipation reprendra avec force dès lors que nous organiserons le travail collectif pour répondre aux questions de l’EDUCATION (scolaire et globale), de la LUTTE CONTRE LES TOXICOMANIES, de la PREVENTION DES RISQUES MAJEURS (tirerons-nous les leçons d’Haïti ?), du DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ENDOGENE. Et, bien sur, les efforts doivent être redoublés pour expliquer l’impérieuse nécessité de la libération nationale.

Nul doute qu’à travers une telle dynamique, notre peuple saura choisir la voie de la responsabilité politique et que les ennemis de l’émancipation seront démasqués.

L’histoire de la longue lutte que mènent les classes dominées et plus généralement les peuples, nous l’a suffisamment enseigné : la roue de l’histoire ne tourne pas à l’envers. Défaites, stagnations, déconvenues se succèdent et au bout du compte les plus grands empires s’effondrent ; les pouvoirs les plus puissants, les plus répressifs, ceux dont la domination idéologique semble la mieux assurée s’écroulent comme des châteaux de cartes quand arrive l’heure où la raison et l’exigence d’émancipation humaine frappent à la porte du présent.

Robert SAE