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« Les services marocains m’ont fait miroiter une vie à l’abri du besoin »

Publie le jeudi 11 février 2010 par Open-Publishing

ENTRETIEN

Nous avons rencontré Malika Es-saïdi, 42 ans, journaliste et réalisatrice. Un parcours édifiant qui illustre parfaitement notre propos.

Quel est votre parcours en tant que « Belgo-Marocaine » ?

Ma famille vit en Belgique depuis 1971. Après des études en philologie et histoire orientales à l’ULB, le Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française (CGRI) m’a octroyé une bourse pour l’Université de Rabat. Pour découvrir le Maroc, j’y ai écrit dans la presse francophone locale puis pour un hebdo français. De retour en Belgique, après une parenthèse très instructive comme attachée de presse à l’ambassade du Maroc à Bruxelles, j’ai repris la plume comme indépendante (Le Soir, TelQuel, Journal du Mardi), avant de me lancer dans l’audiovisuel (primée au Festival Filmer à tout prix en 2000). J’ai ensuite travaillé pour des magazines de la RTBF comme l’Hebdo ou Actuel à côté de mes projets documentaires.

Avez-vous personnellement eu affaire à des agents marocains ? Vous ont-ils fait des propositions, des menaces ?

Ma première rencontre avec les services de sécurité marocains date de 1996. J’étais correspondante de Jeune Afrique qui reparaissait après une interdiction. A la suite de ma demande d’accréditation, j’ai été convoquée dans un commissariat où j’ai eu droit à des questions du style : « Avez-vous déjà participé à des manifestations contre votre pays en Belgique ? » Bien sûr, le but de cet interrogatoire n’était pas d’obtenir des informations qu’ils possédaient déjà mais de me faire comprendre que comme je m’adresserais à l’étranger, je serais surveillée.

Mais avez-vous été approchée afin de travailler pour les « services » marocains en Belgique ?

Oui. Mais c’était plus tard en 2000 après mon expérience à l’ambassade du Maroc, où j’avais pourtant, non sans difficultés, organisé, par exemple, un voyage pour la presse belge qui a pu rencontrer d’anciens opposants. C’était dans le cadre d’une politique d’ouverture liée à l’accession du parti socialiste marocain, l’USFP, au gouvernement. J’ai dû quand même aller trop loin car on m’a finalement montré la porte. De retour à la presse écrite, j’avais proposé au Soir un papier sur la situation socio-politique au Maroc. Arrivée à Rabat, j’ai rencontré, pour une interview, Nadia Yassine, la fille du leader islamiste d’Al Adl Wal Ihsane assigné à résidence. Sortant d’un taxi dans le quartier populaire où je logeais chez une amie est apparu un homme en costume trois pièces. Il me tendit son GSM en disant que « quelqu’un » voulait me parler. C’était Hamidou Laânigri, patron de la DST (Direction de la surveillance du territoire). Il me convoqua poliment mais fermement en ses bureaux. J’ai pris le parti de l’humour en exigeant un hélicoptère. Je suggérais un rendez-vous dans l’après-midi pour me laisser le temps de prévenir mon amie. Malgré ses inquiétudes, la curiosité chez moi l’a emporté. J’eus droit à une voiture banalisée et à un chauffeur silencieux jusque dans le bureau somptueux du colonel Laânigri. L’accueil chaleureux et le thé à la menthe devaient me faire oublier le « détournement » dont je faisais l’objet. Droit au but, il m’a proposé de travailler comme agent de renseignement et d’infiltrer les milieux islamistes en Belgique.

Vous a-t-il proposé une rémunération ?

Il m’a tout simplement dit que si j’acceptais, je serais à l’abri du besoin. J’ai répondu que je tenais trop à ma liberté pour ça. Il m’a laissé partir en se disant peut-être que je pourrais revenir sur ce refus. Ça n’a évidemment pas été le cas, et ce sans conséquences apparentes. Ce qui prouve que le Maroc commençait à changer à l’époque.

Le Soir.be