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Ils ont lancé la Journée sans immigrés sur le coin d’une table

Publie le samedi 27 février 2010 par Open-Publishing
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de Chloé Leprince

Ne pas travailler, ne pas consommer le 1er mars : l’idée vient d’eux trois. Depuis, le mouvement a pris de l’ampleur. Portraits.

Peggy Derder, Nadir Dendoune et Nadia Lamarkbi, Paris, février 2010 (Audrey Cerdan/Rue89)

Difficile de trouver collectif moins étiqueté. D’emblée, Peggy Derder, Nadir Dendoune et Nadia Lamarkbi, les trois fondateurs de la Journée sans immigrés, ont voulu brasser large, ne pas se donner de revendications mais plutôt un objectif : se faire entendre.

C’était en août 2009, les trois se rencontraient via des amis communs. Prof d’histoire-géographie (Peggy Derder, 32 ans) et journalistes (Nadir Dendoune et Nadia Lamarkbi, 37 et 35 ans), ils avaient en commun d’être énervés par le climat ambiant. Plutôt délétère, tendance xénophobe à leurs yeux.

A cette période, Brice Hortefeux s’illustrait sur les Arabes (et les Auvergnats). (Voir la scène intégrale filmée par Public Sénat)

Ils en ont parlé sur un coin de table. Quelques semaines plus tard, Nadia Lamarkbi a lancé sur Facebook l’idée d’un boycott à l’américaine. Le 1er mai 2006, toute personne se sentant une histoire commune avec l’histoire migratoire du pays avait été invitée à cesser de travailler et de consommer. Le but était de paralyser le pays pendant 24 heures.

« Faire quelque chose », sans avoir d’appartenance politique

Sur Facebook, le succès est immédiat. Les trois décident de « faire quelque chose », sans appartenance politique particulière. Le groupe concerné compte aujourd’hui plus de 66 000 membres.

Pourtant, Nadia, Nadir et Peggy ne sont encartés nulle part.

Seule Nadia avait milité avant ses 20 ans au syndicat étudiant Unef et au PCF. Avant de quitter les rangs communistes, parce qu’elle jugeait la ligne « trop nationaliste, très ancrée sur les traditions françaises ».

Nadir Dendoune (Audrey Cerdan/Rue89)Nadir Dendoune, lui, dit qu’il « aime faire les choses tout seul » -il a d’ailleurs un tour du monde à vélo au compteur. Méfiant envers les politiques, il dit quand même trouver « de bonnes choses dans pas mal de partis ».

Lesquels ? Il commence à énumérer, se ravise. Ensemble, ils parlent du « secret du vote », on comprend que le but est de tenir un discours le plus fédérateur possible.

On devine aussi la crainte d’être récupérés. « Etre l’Arabe du PS ou de PC… », siffle Nadir Dendoune. SOS Racisme a laissé des traces, l’évocation suffit à le « faire vomir » -« à titre personnel, pas au nom du comité ». Nadia Lamarkbi parle carrément de « symptôme SOS ».

Le vote des immigrés, la régularisation des sans-papiers ? Presque hors sujet. Nadir Dendoune dit que « d’autres assos portent cela », qu’« ils ne voulaient pas “être un truc bis” ». Peggy Derder développe :

« On a voulu se placer en amont des discriminations et de ces questions qui résultent d’un discours stigmatisant. S’attaquer à la racine et pas aux symptômes. »

A leurs yeux, cette stigmatisation enfle. Ils énumèrent : Frêche, Valls, Hortefeux, Clément, Morano, Chirac… :

« Ce n’est pas l’Italie, ce n’est souvent pas directement xénophobe. Mais c’est plus sournois, plus malsain. »

Huit à dix contrôles d’identité par an

C’est concret aussi, souvent. Peggy Derder, fille d’un père algérien et d’une mère française, est blonde. Elle n’a jamais été contrôlée.

Nadir Dendoune estime, lui, que c’est « huit à dix fois par an ». Depuis le début 2010, ça fait déjà quatre. Le dernier contrôle d’identité s’est soldé par trois heures au poste : plutôt du genre tonique dans la vie, Nadir a refusé de présenter ses papiers.

Lui qui a la triple nationalité (française, algérienne et australienne, souvenir d’un séjour de huit ans là-bas, parce qu’il ne se sentait « pas à l’aise chez [lui] ») dit qu’il est « un Français qui a trop pris le soleil ».

Nadia Lamarkbi (Audrey Cerdan/Rue89)Nadia Lamarkbi, née en France de parents Marocains, a grandi en Bourgogne et ne se souvient pas avoir essuyé de xénophobie :

« A la limite, j’ai plutôt bénéficié de la discrimination positive. »

Pour eux, le boycott et la Journée sans immigrés, c’est une façon de « taper là où ça fait mal ». En l’occurrence du côté du levier économique. « Par notre absence on marque la nécessité de notre présence. »

C’est aussi une façon d’endosser le raisonnement de Sartre dans « Réflexions sur la question juive ». Peggy Derder, qui juge « la terminologie si difficile pour définir quelqu’un comme moi » explique :

« L’immigré, c’est celui qui est perçu comme tel. On cherche à réhabiliter la figure de l’immigré en France. Mais pas seulement par rapport à l’histoire coloniale, plutôt par rapport aux stéréotypes. Les Italiens, les Polonais, en ont souffert avant nous de la même manière. »

Nadir Dendoune, premier Algérien à avoir gravi l’Everest

La page Wikipedia de Nadir indique qu’il est « le premier Maghrébin (et Algérien) à atteindre le Toit du monde » après son ascension de l’Everest en 2008.

Lui qui n’a jamais voulu quitter l’Ile-Saint-Denis maintenant qu’il travaille pour France 3 ou l’Humanité refuse avec force le terme « arabe ». Préfère « maghrébin », et se sent « surtout banlieusard » :

« C’est l’identité la plus structurante, celle dont je suis le plus fier. On m’a ramené toute ma vie à ces putain de clichés, alors d’accord, allons-y.

J’ai fermé ma gueule pendant tellement longtemps, j’ai vu mon père et ma mère se faire traiter comme de la merde et ne rien dire. Je voudrais bien être dans la paix. Mais comment tu fais ? »

Peggy Derder (Audrey Cerdan/Rue89)L’engagement de Peggy Derder, qui n’a « jamais vécu le racisme dans la chair », procède aussi d’une désillusion :

« J’ai été élevée dans la valorisation de l’école, de la réussite au mérite. Un père autodidacte, une mère assistante de direction, et la foi dans l’égalité des chances. Or, tout m’indique que ça n’existe pas. Continuer à entretenir cette illusion, c’est une manière de ne pas remettre les choses en cause. »

Alors qu’un appel donne rendez-vous devant toutes les grandes mairies de France entre midi et deux le 1er mars, d’autres collectifs feront de même en Italie ou en Grèce. Ils se sont formés sur le tas après avoir entendu parler de Nadir Dendoune, Nadia Lamarkbi et Peggy Derder.

Ils ne savent pas encore ce qu’ils pourront bien faire de toute la dynamique enclenchée. Car, au fond, la Journée sans immigrés ne parle pas tellement d’immigration. Mais plutôt de ceci : dans quelle société veut-on vivre ?

Photo : Peggy Derder, Nadir Dendoune et Nadia Lamarkbi, Paris, février 2010 (Audrey Cerdan/Rue89)

http://www.rue89.com/2010/02/24/ils-ont-lance-la-journee-sans-immigres-sur-le-coin-dune-table-140296

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