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HAÏTI, UN TEST POUR L’HUMANITÉ

Publie le mardi 9 mars 2010 par Open-Publishing

de Leonardo Boff

Le désastre qui s’est abattu sur Haïti, détruisant Port-au-Prince, tuant des milliers de personnes et privant le peuple des structures minimales pour la survie, est une épreuve pour l’humanité. Selon les pronostics de ceux qui suivent systématiquement l’état de la Terre, il ne passera pas beaucoup de temps avant que nous soyons confrontés à d’autres Haïti, avec des millions et des millions de réfugiés climatiques provoqués par des événements extrêmes qui pourront occasionner une véritable destruction écologique et détruire d’innombrables vies humaines.


Dans ce contexte, deux vertus, liées à l’essence même de l’être humain, doivent revêtir une importance spéciale : l’hospitalité et la solidarité. 

L’hospitalité, comme l’a dit le philosophe Kant, est un droit et un devoir de tous, car nous sommes tous des habitants, ou plutôt des fils et des filles de la même Terre. Nous avons le droit d’y circuler, de recevoir et d’offrir l’hospitalité. Les nations seront-elles prêtes à satisfaire à ce droit fondamental de la multitude de personnes qui ne peuvent déjà plus vivre dans leurs régions surchauffées, sans eau et sans récoltes ? L’instinct de survie ne respecte pas les limites des États-nations. Les barbares d’autrefois ont renversé des empires, et les nouveaux « barbares » d’aujourd’hui ne feront pas autre chose -s’il ne sont pas exterminés par ceux qui ont usurperont la Terre pour eux-mêmes. J’arrête là, parce que les scénarios probables et non impossibles sont dantesques.

La seconde vertu est la solidarité. Elle est inhérente à l’essence sociale de l’être humain. Les classiques de l’étude de la solidarité -comme Renouvier, Durkheim, Bourgeois et Sorel- ont déjà souligné le fait qu’une société ne peut exister sans la solidarité des uns envers les autres. Elle suppose une conscience collective et le sentiment d’appartenance de tous. Tout le monde accepte naturellement de vivre ensemble pour exercer ensemble la politique -qui est la recherche conjointe du bien commun.

Nous devons soumettre à la critique le concept de modernité qui part de l’autonomie absolue du sujet dans la solitude de sa liberté. On dit que chacun doit s’occuper de ses affaires sans avoir besoin des autres. Pour que les êtres humains ainsi solitaires puissent vivre ensemble, ils ont besoin de fait d’un contrat social, comme celui élaboré par Rousseau, Locke et Kant. Mais cet individualisme est faux et illusoire. Il faut reconnaître le fait réel, auquel on ne peut renoncer, que l’être humain est toujours un être de relation, un-être-avec-les-autres, toujours entremêlé dans une chaîne de toutes sortes de connexions. Il n’est jamais seul. Le contrat social ne fonde pas la société, il l’ordonne simplement au niveau juridique.

De plus, la solidarité repose sur une base cosmologique. Tous les êtres, depuis les quark top [1] mais spécialement les organismes vivants, sont des êtres de relation, et personne ne vit en-dehors du réseau d’inter-rétro-connexions
[2]. C’est pour cela que tous les êtres sont réciproquement solidaires. Chacun aide l’autre à survivre -c’est le sens de la biodiversité-, et ils ne sont pas nécessairement victimes de la sélection naturelle. À la place de celle-ci, nous introduisons au niveau humain, pour cause de solidarité, le souci de l’autre -spécialement envers les plus vulnérables. Ils ne succombent pas ainsi aux intérêts exclusifs de groupes ou d’un type de culture féroce qui place l’ambition au-dessus de la vie et de la dignité.

Nous sommes arrivés à un point de l’histoire où nous nous découvrons tous entremêlés dans une unique « géosociété ». Sans la solidarité de tous avec tous -et avec la Terre-Mère-, il n’y aura de futur pour personne. Les malheurs d’un peuple sont nos malheurs, ses larmes sont nos larmes, ses avancées, nos avancées.

Che Guevara l’a bien dit : « La solidarité est la tendresse des peuples ». C’est cette tendresse que nous devons donner à nos frères et sœurs dans la souffrance, en Haïti.

Leonardo Boff

[1]. Le quark top (souvent abrégé en quark t) est un quark, une particule élémentaire de la physique des particules. (Wikipedia)

[2]. Par cette notion d’inter-rétro-connexions, l’auteur désigne les relations de connexion et d’information qui s’établissent entre tous les êtres -ce qui fait dire à la physique quantique que « tout est lié à tout, en tous points et en toutes circonstances ». ( http://www.servicioskoinonia.org/logos/articulo.php?num=117 )


Traduction : Armando García

Sources en français : Tlaxcala, Amérique Latine des peuples
Sources en portugais : Triplov, Tlaxcala
Sources en espagnol : Nuestro País, Tlaxcala

Article original publié le 15/2/2010

Sur l’auteur

Armando García et Fausto Giudice sont membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner l’auteur, le traducteur, le réviseur et la source.

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