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PLAIDOYER POUR UNE RECHERCHE UTILE Les vraies questions et les fausses réponses

Publie le jeudi 18 mars 2010 par Open-Publishing
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« Il n’y a pas de chef-d’oeuvre prédestiné, mais une lutte patiente, décevante, tenace, un débordement de détails mis au point, une multitude d’hésitations, une suite de colères contre l’inertie, une alternance d’obscurité et de lumière. D’appel en appel, la pauvre chose méritante accède à la gloire...elle devient surhumaine en toute simplicité. »

André Arnoux

Cette belle citation empruntée à un texte du Dr Nahed Dokhane de l’université de Boumerdès mesure assez bien le travail besogneux de l’enseignant et du chercheur loin des feux de la rampe. Cette semaine, en effet, les chercheurs sont visibles le temps d’une semaine : qu’en est il des 51 autres semaines ? Depuis samedi, c’est portes ouvertes sur la vulgarisation de la recherche dans tous les établissements. Cela nous donne l’opportunité de faire un rapport d’étape sur les heurs et malheurs de la Recherche en Algérie. Pendant les dix premières années de l’Indépendance, la priorité était à l’enseignement. Cela ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de préparation de thèses. Plusieurs thèses, en effet, ont été soutenues dans les années 60.

Il a fallu attendre le ministère Benyahia pour voir apparaître le premier Conseil national de la recherche au début des années 70. 14 axes prioritaires ont été définis et l’Organisme national de la recherche scientifique a été créé. Parallèlement, l’industrie mettait en place des structures de recherche. C’est notamment le cas du Centre de la SNS (Sidérurgie et de l’Enie (électronique). Dans ces années, le CNI a été créé et à l’époque, l’Algérie faisait figure de pionnier en Afrique pour l’informatique. Une Centrale instruments qui permettait de mutualiser les gros appareils entre différents laboratoires est créée. Début 80, sans explication aucune, l’Onrs est dissoute. Création du CEN. Le Commissariat aux énergies nouvelles (c’était la mode par mimétisme avec l’efflorescence du renouvelable dans les pays développés pour éviter d’être dépendant des pays arabes pétroliers). « Nous n’avons pas de pétrole mais nous avons des idées », tel était le slogan en France. Errance dans la continuité, ce fut ensuite le Crst (Conseil national de la recherche scientifique et technique) (seule approche cohérente à l’époque puisque pour la première fois, c’est un capitaine d’industrie qui était commissaire. Arrive 88, dissolution du Crst, création du HCR (Haut Commissariat à la recherche, qui sera lui aussi dissout quelques années après.

Dans les années 90 et 2000, années difficiles, on crée des agences (Andru, Agence de la sante, Andravet) et même un ministère délégué à la Recherche et aussi parallèlement, le Comité intersectoriel de la recherche dont les activités sont réduites à leur plus simples expression du fait que le tissu industriel a disparu en Algérie au profit de l’importation. Une loi sur la recherche est promulguée et l’Etat décide d’octroyer 1% du PIB à la Recherche.. En 2008, il y eut la création de la Dgrst qui s’attela laborieusement à faire un inventaire et à mettre en place les Etats généraux de la recherche qui déboucha sur des recommandations pour 34 axes de recherche. Nous constatons une pléthore de laboratoires qui travaillent sur les mêmes thèmes, avec des duplications inconsidérées d’achat d’équipement. Il y a quelques années, il y avait à Belfort, Bab Ezzouar, 5 microscopes électroniques de 5 marques différentes et qui étaient pratiquement en panne ! La gabegie était telle que des laboratoires n’avaient pas d’existence physique se contentant d’avoir des directeurs orchestres avec des équipes virtuelles...

Signe de la cacophonie dans laquelle se débat le chercheur ballotté entre différentes structures (Andru, Dgrst, ministère délégué à la Recherche, direction de la PG et de la recherche du Mers), on lui propose en plus des cadres de recherche tels que Tempus, Tassili, CMEP...axes algéro-espagnols, italiens.. gérées par une autre direction du ministère et chaque structure revendique les mêmes chercheurs qui, à force de se démultiplier, ne font rien de tangible. Mieux encore, on apprend que Sonatrach a organisé le 11 et le 12 décembre 2007 à Oran, une 2e Conférence internationale sur la recherche et développement Aval, sous le thème « Quels partenariat pour une R & D performante ? ». Avec comme objectif le rassemblement des différents acteurs du monde académique et de l’industrie pétrolière et gazière pour débattre des expériences, des stratégies et des perspectives du partenariat dans le domaine de la R&D. La Sonatrach développe d’ailleurs, à Oran, un centre de recherche construit selon les dernières technologies avec même l’achat de matériel. Il n’attend que les axes de recherche et les hommes qui vont avec...

En juillet 2004, le document UK Science and Innovation Framework fixait des objectifs à atteindre, parmi lesquels des dépenses de R&D équivalant à 2,5% du PIB d’ici 2014, Au Japon, le premier plan-cadre de 5 ans pour la science et la technologie a été lancé en 1995 et couvrait la période 1996-2000 : l’accent était mis sur la recherche fondamentale et la recherche universitaire. Le deuxième plan-cadre couvrant la période 2001-2005. Un budget de 173 milliards d’euros avait été débloqué sur 5 ans avec comme objectif d’atteindre en 2005 le seuil des 3,4% du PIB pour les dépenses de recherche. Le Department of Energy (DoE) est l’Agence fédérale américaine en charge de la mise en oeuvre de la stratégie de recherche pour la politique énergétique. Existant depuis 24 ans, le DoE emploie 15.000 agents fédéraux et presque 100.000 contractuels. Son budget annuel de l’ordre de 23 milliards de dollars en fait une des principales agences. D’autres pays ne sont pas en reste. La Russie a une forte tradition scientifique et dispose d’un ratio très élevé d’employés dans le secteur de la R&D (813.000 personnes employées dans le secteur de la R&D en 2005, 57 pour 10.000 habitants).

Pourquoi la recherche ne décolle pas en Algérie ?

Pour pouvoir y répondre, il est fondamental de s’intéresser aux gardiens du temple que sont les enseignants-chercheurs. Les luttes larvées entre l’enseignant et le chercheur sont contre-productives, il nous faut d’abord, et avant tout, bien former. On le voit actuellement avec les chercheurs en magistère et en thèse, qui ont des difficultés à utiliser des concepts, en un mot à réfléchir et pire encore, à s’exprimer ou à pouvoir écrire d’une façon cohérente. La scholastique fait des ravages dans l’Université algérienne. Par-dessus tout, il est nécessaire pour le salut de ce pays que l’enseignant soit reconnu comme un acteur qui a un rôle majeur dans la formation de l’élite du pays. Un exemple ? Il me vient à l’esprit une petite histoire vraie qui m’a été racontée par deux collègues professeurs algériens qui ont blanchi sous le harnais et qui peut nous faire percevoir plus que mille discours, la condition des professeurs algériens par rapport à leurs collègues marocains. Lors d’une soutenance d’une thèse de doctorat à Tlemcen, les deux professeurs ont demandé à aller à Oujda visiter l’université. Premier constat à la frontière côté algérien, une chaîne importante du côté algérien. Les professeurs firent la chaîne et prirent leur mal en patience. Changement de décor du côté marocain, un fonctionnaire des services de contrôle passe et contrôle rapidement les passeports. Remarquant qu’il avait affaire à deux professeurs, il leur prend leurs passeports. Inquiétude vite démentie. Le fonctionnaire revient, leur demande de le suivre dans le bureau du responsable du poste frontière qui les accueille chaleureusement, leur souhaite la bienvenue au Maroc et leur offre le thé et ira jusqu’à leur donner ses coordonnées au cas où ils auraient besoin de ses services. L’un des collègues n’en tenant plus devant cette considération lui demanda : « Monsieur pourquoi faites-vous tout cela ? », joignant le geste à la parole, il dit : « Notre Roi nous a demandé de placer nos professeurs au-dessus de nos têtes. »

La surprise ne s’arrête pas là, reçus par le recteur, alors qu’ils n’étaient pas attendus, il leur fit visiter l’université qui n’avait rien à envier à une université étrangère en terme de décor, de moyens. Même les habitations du corps enseignant respectaient la hiérarchie scientifique. Les professeurs avaient des petits cottages, les autres corps, des appartements d’un bon standing.

Pour Lahouari Addi : « Le combat pour une université digne de ce nom, productrice de savoirs, animée par des enseignants-chercheurs respectés, est un combat qui engage l’avenir. Vous luttez pour que les compétences restent au pays, parce que, dans l’ère de la mondialisation, payer un professeur 400 euros par mois, c’est inciter l’élite intellectuelle à quitter le pays. L’enseignant universitaire est devenu, en quelques années, un employé paupérisé, alors qu’ailleurs, aux USA, en Europe, au Japon, il est une autorité sociale. En Algérie, c’est à peine un petit fonctionnaire luttant pour survivre dans une société où il n’est plus un modèle pour les jeunes, dans une société où l’échelle des valeurs a été bouleversée. Si l’Université est dans la léthargie, cela voudrait dire que la société civile n’en est pas une... »

Ces propos appellent à une réflexion sur la place de l’université dans la société. Quand le roi signe un dahir pour la nomination de professeur il fait une cérémonie et le parcours du professeur est rappelé. Le roi, en lui remettant le dahir, envoie un signe fort à la société. De ce fait, la place du professeur étant reconnue, ce dernier se sent une responsabilité particulière. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant d’apprendre que les laboratoires marocains soient attractifs. Lors d’un entretien que nous avons eu avec le Dr Zerhouni envoyé spécial du président Barack Obama pour les sciences et la technologie, nous avons appris que par rapport aux Marocains et aux Tunisiens nous étions classés troisième. Nous avons appris aussi que les laboratoires de recherche marocains pouvaient recevoir dans de bonnes conditions des chercheurs étrangers pour des durées variables, notamment dans les domaines de pointe, le Dr Zerhouni cite le cas d’un laboratoire où la moitié des chercheurs étaient étrangers. Chez nous, il y a bien longtemps que tout ceci a disparu, décennie rouge aidant.

On trouve, dit-on, beaucoup de chercheurs mais pas de trouveurs. Pendant longtemps les chercheurs voire les enseignants étaient cloués au pilori, traités de parasites improductifs et tacitement, les autorités ne se faisaient pas d’illusion sur les retombées de la recherche qui n’intéressent pas la vie économique. Ceci nous amène naturellement à nous poser la question : pourquoi les pouvoirs publics ne reconnaissant pas aux enseignants une responsabilité majeure dans la formation de l’élite ? Pourquoi tout ce qui vient des universitaires est vu avec suspicion ? A-t-on vu des professeurs honorés par le plus haut magistrat du pays ? Quand les piliers fondateurs de l’université meurent, l’Algérie officielle les ignore ? Il me vient à l’esprit la perte cruelle des professeurs Aoudjhane et Ouabdesselam morts d’une façon anonyme après un sacerdoce de 60 ans d’enseignement et d’abnégation loin du m’as-tu-vu et des compromissions suspectes. Dans l’Algérie actuelle, la visibilité sociale n’est pas indexée sur la vraie valeur ajoutée à ce pays mais sur la capacité de nuisance.

Pendant ce temps, l’Université sombre inexorablement sans stratégie pour le futur, écrasée par la massification. Tout le monde voulait être ingénieur, docteur. Cependant, depuis quelque temps, il y a un désamour pour la diplomite. Les parents rêvent de faire de leurs enfants des seconds Zidane, Beckam voire des Bougherra. Peut-être parce qu’un footballeur de l’Equipe nationale peut gagner en une fois ce qu’amasse laborieusement un enseignant en 200 ans, si naturellement il peut se réincarner plusieurs fois !!

Commencer par...le commencement

La tâche pour réhabiliter une recherche de qualité ne consiste pas à faire de la comptabilité de laboratoires de chercheurs, nous savons que c’est un leurre. Que nous options pour le système anglo-saxon est-ce de une bonne chose mais il faut avant tout fabriquer nos outils. C’est gratifiant à titre personnel de travailler sur le magnétisme du noyau mais est-ce cela dont l’Algérie a besoin ? Je crois qu’il nous faut d’abord, commencer à fabriquer nos outils scientifiques, commencer à intégrer des équipements de laboratoire qui créeront de la richesse dans le cadre de start-ups. Il nous faut faire chaque année un salon pour exposer les prototypes qui doivent passer à l’échelle industrielle et créer de l’emploi en tarissant les importations actuelles et débridées qui font que l’Algérien consomme ce que produit le Français, le Chinois, le Turc tant qu’il a encore du pétrole et après ? Je me souviens avoir montré aux gouvernants de l’époque, un microscope conçu par des élèves ingénieurs de Sétif et intégré à plus de 90% pensant tarir l’achat de microscopes à l’étranger. Peine perdue, nous importons pour des centaines de milliers de dinars de microscopes chaque année. Les autres priorités sont connues, la sécurité alimentaire, l’énergie, l’eau, l’environnement. Rien ne peut se faire sans un cap clair où tous les départements ministériels sont concernés.

On ne peut qu’être favorable à l’autonomie des universités. Cette autonomie doit privilégier la dimension de la collégialité et récuser l’individualité. Les réformes nécessaires sont celles qui libèrent les énergies. Etre autonome signifie rendre compte. Il faut se libérer de l’uniformité, notamment celle qui consiste à récompenser les rentiers à vie et les chercheurs pétillants de la même façon. A chacun son dû, un enseignant ou un chercheur improductif est une charge. L’Université peut et doit s’en passer. Louis de Broglie a bien raison d’écrire que « l’histoire des sciences montre que dans leur domaine, les plus grands progrès ont été effectués par des penseurs audacieux qui ont aperçu des voies nouvelles et fécondes que d’autres n’apercevaient pas. Si les idées des savants de génie, qui ont été les promoteurs de la science moderne, avaient été soumises à des commissions de spécialistes, elles leur auraient sans nul doute parues extravagantes et auraient été écartées en raison même de leurs originalités et de leur profondeur. »(1)

En un mot comme en mille, il faut réhabiliter l’effort autrement que par la distribution de la rente. Les nouvelles légitimités sont celles du neurone. Le nouveau langage n’est plus celui des armes mais celui de la technologie du Web2.0, des nanotechnologies, du génome, de la lutte contre le réchauffement climatique et des nouvelles sources d’énergie du futur. Toutes ambitions à notre portée si on arrive à mobiliser par l’intelligence, tous les Algériennes et les Algériens. La réussite (ou l’échec) de notre pays à construire la modernité sera évaluée sur le critère d’élaboration de la société civile. Pour cela, seul le parler-vrai permettra à l’Algérie de renouer avec ce nationalisme qui, contrairement à ce que pensent les nihilistes, n’est pas passé de mode, c’est un puissant stimulant et qui peut se décliner avec les outils du XXIe siècle.

1.Louis De Broglie : « La nécessité de la liberté dans la recherche scientifique », Revue Science & Vie, hors série, bicentenaire de la science 1789-1989, mars 1989.

Pr Chems Eddine CHITOUR

Ecole Nationale Polytechnique enp-edu.dz

Messages

  • Le problème est le même en France où la recherche s’oriente de plus en plus en direction du besoin des entreprises productivistes, par conséquence au service du consumérisme capitaliste, les nanotechnologies en sont la parfaite illustration. Donc, si l’on doit aider la recherche, même la recherche fondamentale qui est, quoi qu’en disent les accros de la rentabilité, incontournable, on doit sortir les entreprises du monde la recherche et rendre aux chercheurs leur indépendance...

    On ira alors vers la recherche favorisant l’usage et non plus au service d’un consumérisme incontrolé et souvent dévastateur pour l’équilibre planétaire.