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"Paysanne", c’est une insulte, M. Mélenchon ?

2 mai 2010, 08:05

Portrait 27/04/2000 à 23h45

Jean-Luc Mélenchon, 48 ans, ex-grande gueule du PS, rentre dans le rang avec celui de ministre délégué.

L’importuniste.

SCHNEIDER Vanessa

Il s’excuserait presque d’avoir un beau bureau, un fauteuil de

ministre et des dorures aux murs. Jean-Luc Mélenchon, tout nouveau ministre délégué à l’Enseignement professionnel, aimerait penser que rien ne cloche, qu’il est à sa place dans cet hôtel particulier de la rue de Grenelle. « Ce n’est pas mieux qu’au Sénat », se persuade-t-il. Interrogé sur ses impressions, à la sortie de son premier Conseil des ministres, il jette aux micros tendus : « Je suis de gauche, je viens de banlieue, mais je suis bien élevé ! » Vexé qu’on ait pu le prendre pour un plouc. Il n’ira guère plus loin dans ses commentaires : « Je connaissais l’endroit et je connaissais tout le monde autour de la table. » Et jure avoir « trouvé ça drôle » lorsque Jack Lang s’emmêle les pinceaux et l’appelle « Jean-Pierre », à deux reprises, lors de leur première conférence de presse commune. L’animateur de la Gauche socialiste, la grande gueule de l’opposition à Lionel Jospin au sein du PS, est entré dans le rang gouvernemental. Il veut croire qu’il est taillé pour le rôle : « Il n’y a pas une minute où j’aie l’impression de faire quelque chose que je n’ai jamais fait avant », assure-t-il. Avant de balayer d’avance les difficultés qui le guettent : « Ce n’est pas plus dur d’être dans un gouvernement en étant en désaccord avec certaines choses que d’être dans un groupe parlementaire et de voter pour un texte alors que l’on est contre. » Mélenchon promet qu’il continuera à l’ouvrir. Il a d’ailleurs commencé. La semaine dernière, il traite le Premier ministre britannique Tony Blair de « lamentable » et de « traître au socialisme ». Lionel Jospin n’a pas apprécié. « Mon libre commentaire politique n’a pas de signification gouvernementale », s’est expliqué, mardi devant les députés à l’Assemblée nationale, celui qui rêve de conjuguer « radicalité et inscription dans le réel », liberté de parole et participation au gouvernement.

Déjà sous haute surveillance, l’ancien trotskiste savoure sa nouvelle fonction. Il s’était déjà approché de l’entrée au gouvernement, sans parvenir à s’y glisser. En 1997, Lionel Jospin lui propose un secrétariat d’Etat au Logement. Le sénateur de l’Essonne estime que la Gauche socialiste et son représentant valent mieux. Il exige d’être à la table du Conseil des ministres et monte sur ses grands chevaux. Jospin préfère faire sans lui. Cette occasion manquée lui pèsera. Petite traversée du désert. Sentiment d’être « dans le ressac, de faire du surplace, de ne plus peser sur les événements. La pire des angoisses ». A 48 ans, il a enfin décroché la récompense d’une vie entièrement consacrée à la politique. Et estime y avoir droit.

Jean-Luc Mélenchon se souvient d’avoir « toujours été à part ». Parce que pied-noir, fils de parents divorcés. Un père télégraphiste, « élevé à la force du poignet », une mère institutrice à Tanger. Puis « l’acte fondateur », 1962, le retour en métropole. Cassure d’enfance. « J’ai vécu ça très durement, nous avons été déportés dans le pays de Caux, c’était l’hiver le plus froid depuis longtemps, on vivait dans un grenier, on nous appelait les "bicots. » Sa mère est mutée, la famille découvre le Jura « avec enchantement ». Le fils cadet y fait ses études de philosophie, se marie, a une fille, attrape le virus de la politique. Dès le lycée, il s’engage dans le mouvement soixante-huitard. Il devient militant. A gauche, toute. « Par cette expérience radicale, charnelle, de l’arrachement du Maroc, j’ai appris que la politique peut tout remettre en cause. Le monde le plus stable peut tout d’un coup disparaître. J’ai voulu me dire : "Les choses vont cesser de m’échapper, on peut tout contrôler. » Il explique : « Le militantisme c’est l’engagement pour des idées mais aussi un acte de construction de soi. » La politique ne l’a pas grignoté. Elle l’a avalé d’un coup, et il s’est laissé manger avec délectation. « Je me remplis avec la politique. C’est toute ma vie, confie-t-il, je me souviens de toutes les dates de congrès, des discours importants, mais je suis incapable de me rappeler les anniversaires de ma famille ou de ma compagne. Tout s’est articulé autour de la politique. Tous mes goûts s’y trouvent : le contact, la fraternité, les changements de situation, la lecture, l’écriture, les discussions interminables. » Il dit n’avoir « aucun hobby ». Jean-Luc Mélenchon n’est pas un gai luron. « Comment voulez-vous que je sois drôle avec les modèles que j’ai : Saint-Just, Mitterrand ? » L’un de ses proches le décrit comme « un croyant de la politique qui aime le pouvoir ». Mélenchon précise : « La politique m’habite. Cela n’a rien à voir avec le crapahutage pour les sommets qui m’a été donné de surcroît. » Voir. Ce qu’il a eu, il l’a voulu, farouchement : plus jeune sénateur de France à 35 ans, patron de la fédération de l’Essonne, ministre. Contradictoire, complexe, il oscille sans cesse entre le doute ­ « Pourquoi moi ? » ­ et une surprenante assurance ­ « Et si j’étais un artiste ? ». Entre la tentation marginale et le goût de la majorité. Avec Julien Dray et Marie-Noëlle Lienemann, ses compagnons de la Gauche socialiste, il s’élève en censeur moral, garant de la pureté des idées de gauche. Dans la pratique, il trouve sa place dans toutes les directions successives du parti. « J’aime les mouvements de masse », reconnaît-il. Mélenchon s’est fait connaître sous l’étiquette minoritaire mais le statut le gêne aux entournures. Il aimerait être un fils prodige de la famille socialiste.

Mitterrandien sous Mitterrand, rocardien sous Rocard, emmanuelliste sous Emmanuelli, jospinien sous Jospin, le raccourci le fait bondir de rage. Comme l’accusation d’opportuniste. « C’est une analyse superficielle des choses, se défend-il, chaque décision stratégique représente des heures de réflexion ; à chaque fois, il y a un sens politique. Moi, je n’ai jamais changé, ni de cap ni de discours. Je suis la mauvaise conscience de tous ceux qui changent de camp, de ceux qui se sont laissé séduire par les sirènes du capitalisme. » Mais les faits sont têtus. Entre 1988 et 1991, il ne cesse de taper sur Michel Rocard, alors Premier ministre. Il fustige l’« ouverture » et les centristes, qu’il qualifie de « prototypes de l’étouffe-chrétien » et d’« ectoplasmes politiques ». Après la défaite de la gauche en 1993, il aide pourtant Rocard à prendre la tête du PS et participe à l’exécutif du parti. « On pensait alors que les socialistes avaient décidé de sauter l’élection présidentielle et on s’est dit que Rocard au moins allait se battre. » Lorsque ce dernier échoue aux européennes de 1994, Mélenchon change son fusil d’épaule et sert d’intermédiaire entre Henri Emmanuelli et Laurent Fabius. Il se moule ensuite dans l’opposition au gouvernement Jospin, se moque du « Schtroumpf hilare » François Hollande. Ses ennemis le surnomment « Méchant-Con ». A chaque fois, le ministre découvre des qualités à ceux qu’il éreintait la veille. Fasciné par les puissants : « Tous ces gens ont quelque chose à m’apprendre. » Un soir de 1972, il est envoyé par ses amis trotskistes porter la contradiction lors d’un meeting de François Mitterrand. Subjugué, « empaqueté » par la rhétorique du « Vieux », il renonce à sa diatribe.Aujourd’hui, il reconnaît « écarquiller les yeux devant Jospin, car c’est un maître ». Jean-Luc Mélenchon est, finalement, un grand sentimental.

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