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NOTRE LANGAGE N’EST PLUS UN INSTRUMENT DE LIBERATION

13 décembre 2010, 06:56, par yapadaxan

Il se peut que je me trompe fort, mais il me semble que la préoccupation d’Himalove est une démystification du langage comme forme trompeuse de "mieux-disant" à seule fin d’enrober l’idéologie droitière qui met en oeuvre tout un nouveau lexique de l’exploitation sociale et de l’oppression politique, dans ses formes les plus élaborées de représentation du Réel.

Il va même plus loin puisqu’il tient à démystifier le rôle joué par la gauche gouvernementale dans la mise en place d’expressions, de notions et de concepts. Ce en quoi il a entièrement raison.

L’air de rien, la gauche socialo-communiste, de 1981 à 1995, a accompli un véritable travail de travestissement de la langue. C’est ainsi que l’on a parlé de techniciens des surfaces, d’agents d’ambiance, qu’on a débaptisé les Collèges d’enseignement technique pour les dénommer Lycées d’enseignement professionnel, puis Lycées professionnels.

La casse industrielle et le chômage massif qui s’en est suivi a "donné" l’idée, à cette gauche au pouvoir, de maintenir plus longtemps les élèves des CET devenus LP. On a pompeusement nommé des filières par des noms ronflants, on a augmenté la durée scolaire : 3 ans pour un CAP + 2 ans pour un BEP, avec, cerise sur le gâteau, la possibilité de passer un Bac pro en 2 ou 3 ans supplémentaires.

Dans le même temps, on a défini un nouvel objectif : 80% d’une classe d’âge au niveau du Bac. Ne nous y trompons pas : le chômage des jeunes a crû alors qu’on allongeait la durée scolaire et que l’on dévalorisait le Bac. L’inflation langagière a permis de transformer artificiellement des collégiens et des lycéens en "étudiants". La jeunesse n’y gagnait rien, y perdait même, mais pouvait s’enorgueillir de se payer de mots.

Cette propension à déguiser lexicalement, langagièrement, les situations scolaires puis professionnelles s’est élargie à l’intérieur du langage lui-même. Et a servi à désigner d’autres réalités. Le consensus, le politiquement correct, la pédagogie du débat digne et "citoyen" ont exercé cette dictature du mou et du centrisme. Point d’excès, de la mesure !

A maints égards, on a réhabilité les comportements de l’âge classique en réempruntant (sans le savoir) à Aristote et à sa médiocrité, à la haine civilisée des excès de "l’honnête homme".

Le PCF, par exemple, a renoncé à la terminologie marxiste et s’est approprié le jargon économique de la pensée bourgeoise. On ne dit plus : "plus-value" mais : "valeur ajoutée"...

On est entré, ainsi, dans l’ère artificielle de la "mort" des idéologies et de la pensée unique. L’emprunter, c’est renoncer à être soi : communiste révolutionnaire. Fini le temps des tribunes, des discours passionnés et emportés. On est "populiste" si l’on cède à la conviction bouillante. Il faut être froid et lisse, maître de soi, digne, "civilisé". Plus d’indignation, plus d’imprécations. Cette façon de parler induit une façon d’être, de se comporter. Il faut se donner l’air du spécialiste, de l’expert. Ne pas faire amateur, mais professionnel. Etre en chaire et exposer. Il faut être pédagogue mais aussi didactique. N’être pas naturel, mais apprêté. Donner à penser qu’on domine tellement son sujet qu’on se domine soi-même. Se maîtrise. Il y a donc toute une théâtralisation de la parole, toute une mise en scène. Un jeu d’acteur qui est celui de l’homme ou de la femme politique.

Et c’est tout cela que l’on enseigne, que l’on transmet. Non plus seulement des connaissances, mais des codes. Des codes de paraître, de dire, d’agir. Sans le moins de personnalité possible. Sans subjectivité.

Il va de soi que l’on emprunte beaucoup à la faconde universitaire, savante, voire érudite. On est dans l’art d’agréer, de persuader. Dans la séduction standardisée. Etant bien entendu que ce faisant on s’éloigne du "peuple", du vulgus. La représentation est faite pour édifier, impressionner, s’installer dans l’autorité du savoir, n’étant pas dit mais visible que le public auquel on s’adresse (de plus en plus téléspectateur) ne possède pas ces codes pour "soi", qu’il en est, dans son naturel, étranger. Et qu’on intervient du haut d’une chaire imaginée, non présente, absente mais fort active le temps du discours.

Mélenchon possède ces codes. Il passe du langage provisoirement relâché (histoire de faire peuple, copain-copain, camarade) au langage standard, voire soutenu (histoire de rappeler à ses pairs ou interviewers "éduqués" et cultivés qu’il est AUSSI de leur monde, lui-même cultivé).

Non seulement le langage n’est pas neutre mais il suppose et contient les codes de communication qui lui sont annexés : l’apparence vestimentaire (voir la coiffure de Borloo 1er ministrable, une vraie caricature !), l’élocution, la diction, les manières et les tics, les gestes, la voix, son ton, son débit, etc.... Car tout cela fait "sens" et est une communication non verbale, pas vraiment oralisée.

J’ai lu, ci-dessus, les contributions qui font assaut de citations d’auteurs. Et il y a beaucoup à dire. Sur la pédagogie, d’abord, et ses différents âges. De Platon et Aristote aux théoriciens les plus récents, en passant par Erasme, la Sorbonne médiévale de Saint Benoît, de Rousseau et bien d’autres. Sur le rapport connaissances du monde et leur contenu démocratique ensuite.

Au jour d’aujourd’hui on nous interdit de fumer, on contrôle notre taux d’alcoolémie, le port de la ceinture, etc.... autant de situations où le citoyen adulte est surpris à commettre des fautes. Infantilisé, celui-ci se heurte à l’autorité et à sa morale. Il y a une instance supérieure. Et ça, c’est sacrément une pédagogie ! Celle de l’obéissance, du citoyen tenu pour mineur. Et la téloche nous répète à satiété ses conseils de santé, au comportement idoine en fonction des caprices météorologiques, des accidents domestiques. L’adulte citoyen est toujours plus décrit comme un individu mineur qu’il faut contamment chaperonner.

Exactement comme au XVIIème siècle lorsque les dévots s’étaient attachés à sauver tout le monde en l’enfermant : jeune mère célibataire, adolescent révolté, libertin notoire, etc....

Car le langage et les codes communicationnels sont cette vaste prison que la redondance morale et pratique renforce.

Et pour finir, je dirai que l’école devient toujours plus un espace étroit de non-liberté où l’on apprend aux plus jeunes non seulement à accepter leur malchance mais surtout à se la fabriquer...