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C. CASTORIADIS : "Se reposer ou être libre" ("stopper la montée de l’insignifiance")

15 avril 2011, 09:07, par yapadaxan

Justement ! Il est nullement question de hiérarchiser. Il y a, au cours de l’Histoire contemporaine, 2 régimes qui se sont combattus : le nazisme et le socialisme.

Le second totalise 21 millions de morts, le premier 7. Mais, nous dit-on, c’est le 3ème qui l’a emporté (quelque 300000 morts). Suite à quoi, on propage à grand renfort de bruit la gémellité nazisme/stalinisme (l’autre nom de propagande du socialisme). Gémellité signifie identité. Si on fait l’un, on fait l’autre. C’est égal, interchangeable. Ce n’est qu’une question de crimes et d’horreurs. Le but ? Décourager la classe ouvrière et le peuple à "vouloir" (au sens de pensée et d’acte volontaires car conscients) le socialisme, dont l’avatar "historique" est le stalinisme.

Or nazisme et stalinisme ne s’égalent pas. Pas du tout. Parce qu’en tant que matérialiste historique, "je" (le je de la science de Descartes) ne suis ni le lieu ni le siège d’une instance morale ; ensuite parce que ma conscience critique relève une différence du point de vue de classe.

Et je résume :

La révolution russe éclate en pleine guerre mondiale, laquelle aura duré 4 ans. La guerre mondiale consiste à envoyer s’entretuer les jeunes des pays belligérants. Ces jeunes sont, pour l’essentiel, issus des classes modestes (ouvriers et paysans) à qui l’on interdit tout sens critique et toute liberté d’expression : chaque pays belligérant envoie les troufions récalcitrants au peloton d’exécution s’ils refusent de servir de chair à canon dans les tranchées.

Telle est la situation historique et objective au moment de la révolution. Mais ça ne s’arrête pas là. Le monde entier est colonisé par 2 puissances européennes : la France et la GB. Cette colonisation a engendré des génocides et des ethnocides en Amérique et en Australie. Elle a provoqué, du Maroc jusqu’à l’Inde, des sécheresses et des famines. Le rapport colonial est un rapport de domination et de spoliation qui s’étend du XVIème siècle au XXème siècle (et même il continue, cf. : Libye et Côte d’Ivoire) et qui se traduit par l’écrasement total des régions colonisées. Sentiment de supériorité des puissances coloniales, mépris et racisme, traite des Noirs et esclavagisme. On doit prendre en compte l’aspect intentionnel et volontaire, parfaitement et totalement conscient, du fait colonial qui, je le répète, s’étend sur 4/5 siècles et 4 continents. Les conséquences sont terribles : millions de morts, éradication complète de cultures, de langues, de mémoires millénaires, d’identités.

La colonisation est un projet délibéré, voulu, préparé. Il se réalise selon un plan, une pensée construite et organisée. La 1ère guerre mondiale procède de la même démarche : c’est une décision froide, calculant les rapports de force, envoyant des millions de jeunes au combat et à la mort.
Le nazisme "théorise" la supériorité d’une race sur les autres, développe consciencieusement la théorie de l’espace vital et de son expansion. La 2nde guerre est donc le "résultat" d’une pensée et d’une intention délibérées. Hitler développe à bon escient son industrie de guerre. Il ne le fait que dans un seul but : la guerre mondiale. L’envoi des juifs dans les camps d’extermination est d’autant plus criminel qu’il est théorisé, moralisé, philosophé, justifié. Il s’accomplit dans des conditions délibérément industrielles. L’extermination systématique des juifs situe le projet criminel presque au-dessus du génocide amérindien ou aborigène.

Le stalinisme répond aussi, avec un temps apparent de retard, à la 1ère et 2ème guerres mondiales, au communisme de guerre. Si la violence révolutionnaire est théorisée par Marx et Lénine, elle se justifie politiquement (et non moralement) par la dénonciation réelle et objective d’un Etat d’oppression et d’exploitation d’une classe minoritaire sur une autre majoritaire.

Le stalinisme est un excès (et donc une déviation) de pouvoir non démocratique, une course en avant incontrôlée, criminelle, certes. Mais sans intention, sans caractère intentionnel de viser telle race ou classe, indépendamment, bien sûr, de l’ancienne classe au pouvoir.

On ne peut ni doit faire l’apologie du stalinisme. Néanmoins, il est plus que nécessaire d’en faire l’étude et l’analyse dans les dimensions de ce qu’il fut : un exercice brutal du pouvoir dans un contexte mondial des plus violent et des plus meurtrier. Et c’est le moins qu’on puisse dire.

On doit dépasser cet aplatissement idéaliste et bourgeois qui rend les choses "formellement" égales et identiques pour élever le degré d’approche et de sens au sens marxiste de l’Histoire qui pense les processus engagés dans des interactions dialectiques forcément complexes.

Or le mouvement révolutionnaire répugne à théoriser le recours à la violence, et donc d’y recourir dans la pratique, parce qu’il a intériorisé la culpabilité de la période stalinienne. Considérons enfin que cette culpabilité inhibe et paralyse l’horizon révolutionnaire en l’empêchant d’agir. Concluons que l’idéologie dominante et sa fameuse morale (qu’elle n’applique pas à ses crimes bien plus nombreux et toujours en cours) a provisoirement gagné.

Le mouvement révolutionnaire mondial se doit de dépasser son propre regard sur l’Histoire contemporaine qu’il tient emprisonnée par son sentiment fautif du stalinisme.