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LA VISEE COMMUNISTE SELON ARNAUD SPIRE

7 janvier 2012, 13:18

Je ne sais pas qui est Arnaud Spire dans le PCF. Donc je ne sais pas s’il est "huiste" ou "thorézien" ou "marchaisien". Apparatchik ou pas. Je connais un peu plus l’intellectuel. Mais sans plus.

Quand j’en saurai plus je verrai. Mais à la limite j’aime mieux juger d’un texte sans savoir qui l’a écrit. C’est d’abord un exercice intéressant et plus formateur et cela permet parfois de belles découvertes. Ensuite évidemment on peut s’interroger sur la valeur de ce qu’un éventuel "fossoyeur" (si j’ai bien compris l’enjeu du débat sous jacent et secondaire) y compris fossoyeur à son corps défendant, a à dire du communisme aujourd’hui. Mais encore une fois je ne sais pas si l’auteur est ou pas ce genre de "fossoyeur". On verra plus tard.

Restons-en au texte.

Ce texte comporte je trouve, de belles fulgurances sur le sujet de l’Etat, de l’émancipation, du processus etc. Je me trouve même certains sujets, non pas tant d’accord, que d’intérêt positif, avec certains passages de ce texte. J’y reviendrai une autre fois, parce que je veux d’abord utiliser mon peu de temps au questionnement et à la critique (ce ne sont pas les louanges ou les redites qui font progresser. tout le monde en sera d’accord).

CAR.

De lourdes erreurs aussi de mon point de vue. Erreurs de conclusions , principalement. Ou à tout le moins, des passages qui ne sont pas finis, justement ,qui ne sont pas conclus. Et qui donnent à l’ensemble un caractère fortement contradictoire, mais qui ouvrent in fine sur une discussion qui peut être tout à fait passionnante.

Et aussi, non pas des erreurs, mais des choix idéologiques, qui se dessinent sur tout à la fin du texte , et qui sont "saignants"... Commençons.

Par exemple ceci, qui m’interroge beaucoup :

On peut donc affirmer, sans grand risque, que les capitalistes creusent leur propre tombe dans la mesure où ils ne prennent pas les décisions nécessaires pour réinvestir dans des domaines productifs la valeur qu’ils ont confisquée.

et

C’est pourquoi, on dit couramment depuis Marx, que les capitalistes, au fur et à mesure qu’ils se développent creusent leur propre tombe

Je pose la question à Arnaud Spire : "Donc ?" quelle conclusion tire-t-il de ce que Marx aurait selon lui, dit (et dont je sais qu’en effet c’est très en vogue notamment au PCF un sujet qui nous vient, hélas, de la pensée d’un Toni Negri, que pour le coup, oui, je connais bien et qui est, de mon point de vue, comme un loup dans une bergerie pour le mouvement communiste, pour lequel je n’ai aucun respect ni aucune pitié, et que cela fonde toute une partie de la renonciation sur la modalité de la lutte de classe, voire, sur la lutte de classe elle-même) ?

Car Marx et Engels ont aussi dit ceci (totalement oublié en l’espèce) :

Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande [4] et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte.

Donc ?

Attention, ce n’est pas du tout un sujet anodin, ce n’est pas une question pour couper les cheveux en quatre ou pour le plaisir de critiquer. Non non on a un sujet fondamental là.

Surtout quand on lit sous la plume du même Marx un texte tel que son "Discours sur le libre échange". Qui sert de base implicite à certains idéologues pour avancer leur interprétation de Marx.

Donc je ne sais pas si Arnaud Spire daignera entamer avec nous tous un débat avec le texte qu’il a posté ici mais je l’espère. Et s’il ne répond pas, nous pouvons naturellement en débattre sans lui.

...

On ne saurait réduire l’appartenance de classe au mode de vie qu’est la prolétarisation croissante des couches salariées, sous peine de ne pas comprendre le caractère universel des représentations idéologiques.

Là aussi, je m’interroge. J’aimerais des précisions. Pour moi là l y a une zone d’ombre. Ou Arnaud Spire en a trop dit ou il n’en a pas assez dit...Et comme je ne veux pas faire de procès d’intention...

En tant que visée identitaire, le communisme aliène ce qu’il porte d’universel dans la nation (l’Etat-souverain).

Ceci également (avec quoi je suis en partie d’accord, mais seulement en partie), demande développement, éclaircissement...

C’est pourquoi le communisme ne saurait avoir pour seul caractère distinctif l’abolition des rapports de propriété et la généralisation de la propriété sociale des grands moyens de production et d’échange. Croire à la vertu décisive d’un pur transfert de propriété économique – autour de quoi s’est construit, très en-dessous de Marx, le concept traditionnel du socialisme - est « indigent ».

Cela, qui est, de mon point de vue une évidence. Le communisme économiste n’a aucune chance de nous être utile. CEPENDANT, faudrait il déduire de cette juste critique de l’économise que nous devons abandonner cette partie de la lutte pour l’appropriation collective et la propriété sociale ?? Question, là encore, et pas des moindres...

Il faut donc combler ce que d’aucuns appellent le « trou noir du pouvoir » chez Marx.

Très juste. Je suis absolument d’accord.

Mais "la suite" me laisse beaucoup plus perplexe.

Ainsi :

La lutte de classe doit être orientée vers la construction d’institutions pour le peuple tout entier. Il est d’ailleurs significatif que tous les Etats socialistes et les partis communistes se soient sentis mal à l’aise avec la notion de dictature du prolétariat et y ait substitué, ce qui est moins connu, l’Etat du peuple tout entier.

Là, là, on touche le point critique, le lieu où, je pense, nous allons avoir de sérieuses contradictions. Et là où je suis également d’accord avec Arnaud Spire c’est que l’époque que nous traversons, nous, communistes, ne se prête ni aux demie- mesures ni aux compromis théoriques entre les chèvres et les choux... On sait ce que cela signifie, j’espère. En tout cas moi, quand je dis cela, je sais ce que cela implique ;-) Je ne doute pas qu’Arnaud Spire également.

il faut non seulement étendre au maximum le champ de la gratuité par l’instauration d’un revenu d’existence universel non lié au temps de travail

Ahhhhh ! Je suis contente :-D J’ai gagné le pari que je me suis fait en début de lecture de ce texte (c’est pour ça que c’est bien de ne pas "connaître" l’auteur, cela permet des exercices intellectuels sympathiques et ainsi, d’avancer un peu plus clairement ;-))

Nous y voilà.

Le Revenu d’Existence Universel :-D et, "non lié au temps de travail" en plus :-D
"LE" cadeau empoisonnée que Toni Negri a fait au mouvement communiste issu de la transformation des années 70.

C’est marrant, moi, si j’étais la personne qui écrit d’abord cela dans le texte :

La socialisation des grands moyens de production et d’échange ne saurait s’effectuer dans le cadre des institutions et idéologies, des superstructures qui confortent la base capitaliste de la société.

et puis plus loin, ceci :

La démocratie représentative ignore la toxicité du pouvoir, la démocratie participative fait participer à des décisions déjà prises au sommet. La démocratie directe n’est envisageable qu’une fois la hiérarchie renversée. Enfin, l’autogestion ne saurait se mettre en place dans le cadre de la concurrence de chacun contre tous

je ne pourrai pas soutenir ensuite la création du REU sans avoir l’impression d’être au cœur de ma propre contradiction (pour le dire gentiment) :-D

C’est vrai quoi. Alors on ne peut pas socialiser ni autogérer dans le cadre de la société capitaliste (ce en quoi je ne suis pas forcément en désaccord, raison pour laquelle je suis (r)évolutionnaire) , MAIS on peut instaurer un REU ? J’avoue que ça me la coupe venant d’un esprit aussi brillant...

Ma conclusion à ce stade, c’est que malheureusement, et comme toujours, l’enfer est pavé de bonnes intentions.

Entendons-nous bien, je n’ai pas de prévention ad hominem contre Toni Negri dans ce cadre (j’en ai politiquement certes et humainement, en général mais je mets cela de côté pour le moment car pour moi se laisser subjuguer par la pensée de Toni Negri c’est à peu près équivalent à se laisser subjuguer par la pensée de Staline...)

Le négrisme (je vais résumer comme ça l’intoxication dont Arnaud spire me semble victime) a comme présupposé et/ou conséquence un Etat-Moloch. Le pire cauchemar hobbesien. Toni Negri, c’est la sacralisation du pouvoir du Leviathan.

Bref, le négrisme, c’est la voie "moderne" du totalitarisme le plus terrifiant.

En tant que communiste et DONC, anarchiste, je ne pourrai jamais souscrire aux conclusions qu’impose, sans jamais le dire clairement, le marxisme de Toni Négri, repris ici, très brillamment, par Arnaud Spire.

Son Etat-Titan, et le Revenu d’Existence Universel qui va avec, il peut se le garder. Je préfère crever de faim, je le dis très tranquillement, plutôt que de devenir cet "homme" que les meilleurs auteurs de science fiction nous offrent à voir dans leurs projections les plus pessimistes, comme on peut en voir par exemple dans le film "Equilibrium"

(le pitch de ce film est le suivant, vous comprendrez pourquoi j’y pense en lisant Negri ou ce texte : Libria, 2070. Le monde a vécu un terrible holocauste nucléaire. Les survivants, atterrés par leur propre déchéance, ont cherché à trouver un remède à l’inhumanité de l’Homme envers l’Homme. D’aucuns pensèrent alors que ce qui conduit l’Homme à ces extrémités est sa faculté émotionnelle, sa capacité à ressentir, à désirer, à haïr. Ils proposèrent alors un remède simple mais efficace contre ce mal : le Prozium. Le Prozium est une substance puissante qui a pour effet de neutraliser les sentiments, de ne plus permettre à la haine, à la violence et à la colère d’exister ... tout comme les nobles sentiments qui ne peuvent plus s’exprimer. Ainsi, amour, passion, joie, tristesse et toutes les autres formes de sentiments existants ont été « sacrifiés » pour permettre à la société de vivre en harmonie, en paix.
Ce Prozium, que tous prennent désormais sans réfléchir, dans un automatisme extrême, a permis à une société pseudo-religieuse de s’installer. Ainsi, il existe une vraie société hiérarchisée autour de l’ordre des Tetra-Grammatons dont la tête est le Père et dont la main exécutive, les soldats de l’ordre, sont les Recteurs Grammatons ou Ecclésiastes. Ces Ecclésiastes sont formés à la détection et l’éradication des déviants émotionnels (des rebelles qui refusent de prendre leur Prozium ou qui osent avoir des sentiments et protègent des œuvres d’art - tableaux, des livres proscrits par les Tetra-Grammatons)
.)

Ou tel que l’excellent ouvrage du non-moins excellent Damasio a peint (je veux bien-sûr parler de "la zone du Dehors" (mais il y a bien d’autres très bons exemples de ce type).

Tout le courant de pensée de Negri, c’est une théologie du renoncement au service du totalitarisme "moderne".

Je reviendrai d’ailleurs peut être aussi sur la parenthèse relative à la religion (je précise immédiatement que je ne suis pas de ces gens qui font dire à Marx ce qu’il n’a pas dit sur le sujet et que je connais parfaitement le passage et l’ouvrage qui fondent la "mauvaise interprétation" de "l’opium du peuple") mais je le ferai plus tard... On ne va pas tout mélanger, un plaisir à la fois :-D

Bref en conclusion à ce stade : Ce n’est pas le tout de poser des constats, il faut, pour être un communiste conséquent (et comme y invite d’ailleurs Arnaud Spire, ce en quoi je suis d’accord avec lui) essayer de faire des projections, et de tirer des hypothèses , des conclusions d’étape. Et c’est là que ça coince sérieusement dans ce texte dirai-je.

Affaire à suivre.

LL