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LE SALAIRE DIFFERE (suite)

21 janvier 2012, 16:16

De façon générale, en fait, le salaire différé c’est un salaire "versé plus tard". D’une certaine manière le salaire net perçu mensuellement EST du salaire différé, car son paiement s’effectue après l’accomplissement de la tâche de travail et même un mois ou un mois et demi après (voire 12, 13 ou 14 mois après) si on se place au 1er janvier de l’année ;-). Seul un salaire payé d’avance échapperait à la définition du salaire dit "différé".

En blaguant un peu, on pourrait pousser et dire que le salaire "différé", c’est aussi toutes les augmentations qu’on n’a pas encore obtenues (voire, pas encore revendiquées pour la majorité des travailleurs), ou toute la part de plus-value qu’on n’a pas réussie à arracher au capital, plutôt ;-).

Bon, à part cette semi-boutade, le fond du problème il me semble, dans le débat en cours c’est bien de savoir si on peut , s’il est juste de parler de "salaire socialisé", c’est cela ? Et donc que pour "combattre" le "non-sens" que semble (je dis bien semble) être la notion de "salaire socialisé", on lui opposerait la notion de "salaire différé".

Toute la question ici en réalité c’est donc bien principalement "qu’est-ce que le salaire" (et in fine ,de façon subséquente, salaire absolu/ salaire relatif, et qu’est ce que la valeur) ?

Je me demande s’il ne faudrait pas commencer à recadrer le débat par là (et je crois que c’est un peu ce à quoi Jean-Louis incitait comme voie de réflexion).

Sachant que le salaire c’est vraiment une construction complexe. Une sorte de millefeuille, à différents étages. Direct et indirect. Absolu et relatif. Socialisé et individualisé.

Je pense qu’une des clefs de ce débat est notamment, évidemment dans "Le Capital", mais aussi surtout dans "Salaires prix et profits" de Karl Marx (qui montre bien qu’on ne peut pas parler du "salaire" de façon détachée de toute l’exploitation et du système capitalistes, en résumé, c’est à dire que non content d’être une question individuelle - ça c’est facile à voir- c’est une question collective que celle du salaire...)

mais également dans "l’Economie politique" de Rosa Luxemburg dont je cite ici un passage sur la distinction salaire absolu/salaire relatif :

"La lutte contre la baisse du salaire relatif est la lutte contre le caractère de marchandise de la force de travail, contre la production capitaliste tout entière. La lutte contre la chute du salaire relatif n’est plus une lutte sur le terrain de l’économie marchande, mais un assaut révolutionnaire contre cette économie, c’est le mouvement socialiste du prolétariat."

Tenant compte de cet aspect (selon la façon dont on se positionne sur "qu’est ce que le salaire"), mon point de vue, ce serait plutôt le suivant -

Sur le strict sujet de la part patronale des cotisations sociales (c’était bien ça le sujet à l’origine non ?), après lecture des uns des autres etc, je crois qu’en réalité le problème porte autant sur la nature du salaire (socialisé ou pas ?) et sur la question du caractère indirect (qui est la qualification essentielle dans le débat des cotisations sur laquelle je crois nous nous retrouverons tous).

Si nous sommes d’accord sur la qualification de "salaire indirect" - dans la mesure où cela ne va pas directement dans notre poche, où on ne le retrouve pas en "argent dépensable", on verra que cette part patronale, ce salaire indirect, ne peut être autrement que également "socialisé", de notre point de vue de prolétaires (sinon on abonde dans le sens des capitalistes, parce que souscrire à une thèse du salaire indirect non-socialisé, et donc individualisé, ce serait accepter le discours des capitalos qui disent que "les cotisations sociales c’est injuste parce que vous ne vous y retrouvez pas dans "votre " retraite, "votre chômage" et cela ampute le pouvoir d’achat individuel").

Donc, moi je dirais bien plutôt que la part patronale des cotisations sociales c’est du salaire indirect ET socialisé, collectivisé (pour les retraites, par répartition - pas par capitalisation), mais ce n’est pas du salaire "différé", car "différé" induit une notion de temps, de "plus tard", or on "n’épargne pas" pour payer "notre" retraite plus tard.

Les indemnités maladies ne sont pas plus du salaire "différé" que le salaire lui-même.

C’est encore là du salaire indirect et socialisé (de moins en moins).

On cotise maintenant pour payer "la" retraite (collectivisée, répartie) maintenant.

Dans ce débat, il me semble, mais je peux me tromper, qu’il y a une variable qui manque c’est la variable capitalisation/répartition, qui éclaire beaucoup de choses.

Notre système est un système de retraite par répartition où le financement des pensions de retraite consiste à les alimenter directement par les cotisations prélevées au même moment dans ce but sur la population active.

Le montant global de ces cotisations (« assurance vieillesse ») est alors réparti entre tous les pensionnés.

C’est du financement " flux tendu" en somme.

Les cotisations des actifs prélevées en "M" servent à financer les cotisations des retraités au moment "M", pas prélevées en "M" et financées "M+1".

Idem pour le chômage.

Il me semble qu’un des faux-problèmes idéologiques qu’essaie d’imposer le patronat dans ce débat c’est justement que la retraite serait du salaire "différé" (pour plus tard) et donc en quelque sorte "épargné" (et donc "capitalisable", car la capitalisation si elle a besoin d’une forme d’épargne c’est encore autre chose que l’épargne quand même) et donc, qu’il serait tout à fait juste de l’individualiser, et que pour "gagner plus" (c’est à dire, en réalité, pour soi-disant "compenser" le manque à gagner que créerait inévitablement cette semi-individualisation et cette "capitalisation" pour la majorité d’entre nous) ce serait simple, on n’aurait qu’à la faire "fructifier" en la confiant à des sociétés privées qui spéculent sur les marchés (sociétés dont tout le monde sait très bien aujourd’hui à quel point on peut leur faire confiance.... ;).

Je crois que la bataille (pour nous) elle porte donc surtout impérativement sur le maintien de la collectivisation, la socialisation et de la répartition la plus globale possible, (et donc aussi, évidemment sur l’assiette "brute" ET sur l’augmentation du salaire indirect, du taux de la part patronale des cotisations, qui ne doivent pas se réduire mais impérativement augmenter, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui).

Il est évident à ce titre que toute proposition de "maintenir" notre régime en contrepartie d’une augmentation du TAUX de cotisation salariale pour "compenser" l’augmentation du taux de cotisation patronale, c’est une immonde saloperie et surtout une connerie monumentale. Or, force est de constater que même à la CGT on est dans cette logique.

C’est une lutte de classe à double titre. D’abord parce qu’elle envisage de prendre collectivement et solidairement sur les profits et ensuite parce que si l’exploitation prend un visage individuel elle est en réalité collective, sauf à nier complètement le concept de classe et la réalité du capitalisme.

On le voit bien avec l’exemple du chômage.

Le chômage est à la fois une réalité individuelle et collective. Individuelle car le travailleur qui perd son emploi est évidemment touché immédiatement et individuellement. Collective parce que l’augmentation du taux de chômage sert à faire pression non seulement directement sur les salaires des actifs mais conditionne toute une possibilité de mesures anti-sociales, contre la classe dans son ensemble, actifs et non actifs.

Et évidemment donc, s’en tenir à l’augmentation faciale du salaire direct et "net" réel, c’est pas une très bonne idée...

Au passage, on peut également s’interroger sur l’invention de la "pré-retraite".

On pourrait également s’interroger aujourd’hui sur la légitimité et la justification de la part salariale des cotisations, dans la perspective de la lutte de classe. De mon point de vue, elles devraient toutes être intégralement reportées sur la part patronale ;-) Je ne vois pas pourquoi nous, prolétaires, nous devons payer, dans un système capitaliste, pour nous maintenir en vie en bonne santé etc c’est à dire, "exploitables", puisque cette exploitation-là ce n’est pas nous qui l’avons voulue , ce n’est pas nous qui en bénéficions, et elle nous est imposée par notre condition de prolétaires !

Pour conclure, je dirais donc bien : part patronale des cotisations = salaire SOCIALISE ET INDIRECT mais pas "salaire différé", qui est bien du salaire que tu touches plus tard - et qui implique donc que tu aies travaillé SANS être payé, cf comme dans les professions agricoles pour les descendants d’exploitants).

Humble avis probablement truffé d’erreurs ou de contre- sens (ce sujet est tellement compliqué), je l’admets volontiers et suis on ne peut plus ouverte à la discussion sur le sujet n’étant pas du tout une spécialiste, mais ce que j’identifie bien c’est que c’est un sujet fondamental que celui du salaire (et qui ne va pas se régler en deux coups de cuiller à pot ;-))

LL