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> Multitudes, l’Europe, la lutte de classes, les polémiques... de quoi s’agit-il ?

7 mai 2005, 15:02

Toute campagne électorale, et plus encore celle-ci, tend à déplacer des enjeux sur des critères qui ne sont pas des critères de classe. Les réponses, surtout à travers "les prolongements à donner au NON", les discours sur l’alternative, le "rassemblement", sont des réponses politiques (certaines politiciennes), et non des réponses de classe : mais l’Etat, c’est toujours l’Etat du Capital, même si un siècle de "conquêtes" ouvrières peuvent donner l’impression du contraire. L’héritage français, au-delà de la représentation qui désaisit le "citoyen", c’est le politicisme, une conception pré-marxienne de la lutte de classe. Le démocratisme radical, c’est l’actualisation de ce politicisme. Paradoxalement, c’est une idéologie libérale : société civile etc.

Je partage l’idée que le OUi est un vote "bourgeois". Les Multitudes, et particulièrement Moulier-Boutang, se la jouent "philosophes des Lumières" éclairant le 22 ème siècle, avec ce ton insupportable de la posture "je sais, je vois loin...". Les négristes ont une analyse du capitalisme qui brouille les rapports de classe que définit l’exploitation (ils ne sont pas les seuls) : pour un peu, le communisme percerait sous le "capitalisme cognitif", et sur le plan théorique, tout cela justifiait leur filiation à Marx, par Negri, avec une sollicitation de quelques lignes des Grundrisse.

La question de l’abolition du capital ne se pose guère à gauche, car tout le mouvement actuel est historiquement orienté vers une adaptation. Sans doute y sommes-nous embarqués, mais il est préférable de le savoir plutôt que de se raconter des histoires, surtout dans la surenchère verbale, un rupturisme qui pense que de la quantité (revendicative) sortira la qualité (le "dépassement"). En d’autres termes, un réveil de la lutte de classe -j’entends une reprise de l’initiative du côté du prolétariat- ne signifie pas qu’elle est en soi révolutionnaire, et c’est précisément la question actuelle, le fondement de l’idéologie démocratiste que de faire en sorte qu’elle ne le soit pas.

Quelques remarques

1) l’Europe, c’est-à-dire un Etat de plus, donc de la liberté en moins, du rapport immédiat en moins, de l’aliénation en plus. Avec la Constitution, il est clair que c’est moins de démocratie, plus d’autocratie, un niveau supplémentaire et renforcé d’une forme de monarchisme (voir les premières phrases du Préambule du traité : "Sa Majesté le Roi des Belges, le Président de la République Tchèque, sa Majesté la Reine de Danemark, le Président de la République Fédérale d’Allemagne, le Président de la République d’Estonie, le Président de la République Héllénique, sa Majesté le Roi d’Espagne..." qui ne peut-être ni aujourd’hui ni demain porteur de davantage de démocratie politique que le niveau national.

Mais la démocratie, comme régime politique de la modernité, c’est une invention libérale -voir Wallerstein- adéquate au capitalisme, c’est l’invention de l’Etat moderne. C’est à historiser, pas à congeler.

On pourrait qualifier le OUI de "bourgeois", et constater que cela colle assez bien à la subjectivité de ceux qui s’y reconnaissent, plus ou moins ouvertement : ceux qui ont tiré l’échelle l’échelle après avoir accéder à l’étage.

2) Le NON au référundum, s’il est un choix contre cette alliance "bourgeoise", de classe, de castes, traduit une opposition négative au capitalisme dans ses modalités de domination et de financiarisation, mais nulle part dans sa dimension fondamentale d’exploitation, pour la simple raison qu’il n’agit que dans la sphère politique institutonnelle. Voilà aussi qui est le B.A.BA de la rupture apportée par Marx ans la philosophie politique, et qu’efface un siècle de mélanges du communisme avec le républicanisme bourgeois et ses concepts tant prisés chez nous.

3) Dans le NON, il n’y aura jamais rien de révolutionnaire dans le souverainisme national, qu’il soit de gauche ou de droite, et d’ailleurs son terreau est commun : voir les traverses de la Nouvelle droite aux tentations Rouge-brune, les nouveaux populismes des Communismes nationaux (une vieille histoire, du point de vue idéologique) : Alain de Benoist possède son Marx et son Debord sur le bout des doigts.

Enfin une critique de forme : est-ce faire "clairement" avancer quelque chose que de le dénommer d’un mot "schmilblik révolutionnaire" qui dénote qu’on ne sait pas de quoi exactement on parle ? Cet énoncé reviendrait à dire "je ne crois pas que le oui et le non dessine une frontière pertinente pour faire avancer quelque chose dont je n’ai aucune idée et que j’appelle "stroumpf".

Je suis bien d’accord, c’était un simple raccourci pour ne pas sortir du sujet. Je ne crois pas utile de faire tout un développement tendant à y projeter autre chose que l’affirmation, justement, d’un concept, celui de révolution, et derrière, ceux que tu évoques : "lutte de classe, masse, prolétariat, insurrection, capital, exploitation...". Ce concept n’est pas pour moi un fourre-tout, mais renvoie explicitement à une position théorique, puisque je ne fais pas mystère ici d’où je parle, sinon, voir les pages "communisme" de mon site. Avec le mot "révolutionnaire", j’entends que la question du communisme, et celle du communisme, sont posées à nouveaux frais depuis quelques années. Force est de constater que ce n’est pas le chemin de l’idéologie qui monte à gauche de la gauche, qualifiée de démocratisme radical (c’est aussi un concept critique :)) La plupart des interventions sur ce site en relèvent, en traduisent le large éventail : je ne souhaite pas en rajouter dans ce qui n’aboutirait qu’à savonner la planche de polémiques stériles dénuées d’intérêts dans ce contexte.

Ce qui fait précisément défaut ce serait une vraie sociologie critique de ces milieux et de ces institutions. Mais la sociologie étant précisément "monopolisée" par les universités (autrement dit les systèmes de production de savoirs de l’Etat et des grandes entreprises) et les universitaires, une telle tâche ne peut s’accomplir. Cette question et cette aporie s’étaient déjà manifestés dans les années 60 dans la pratique et la théorie de l’internationale situationniste

Je me suis longtemps insurgé, et j’ai tenté d’agir pour combler ce fossé entre militants ("d’en bas") et théoriciens, sans doute sur des bases fausses praxis : des séparations à dépasser entre théories et pratiques. Il n’y a rien que je déteste plus que l’alliance des manipulateurs et des manipulés, de ceux qui tirent les ficelles et des "idiots utiles", et rien ne dit que ce soit le privilège des stalino-mao-trotskystes. Ce qui est en cause est plus profond, et cela passe par la critique de l’objectivisme militant.

Cela dit, je ne crois pas, j’entends du point de vue révolutionnaire, à la pertinence de la pensée séparée, de la théorie séparée, de toute sociologie séparée. Tout cela relève d’une croyance rationnaliste et scientiste, l’observateur et son objet... En quoi, pour boucler la boucle, le bourgeoisisme traverse les "camps", quand les camps sont en parti définis sur des leurres qui ne font pas avancer le schmilblick révolutionnaire :)))

Cela nous éloigne du sujet ouvert. Je m’étonne même que personne n’ait répondu de façon systématique aux arguments du OUI multitudineux. Après tout, s’ils ne sont pas sans marquer quelques points dans les associations, ce n’est peut-être pas plus inutile que de souligner "la trahison" de tel ou tel leader.