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Distinguer peuple-nation et peuple-classe.

5 décembre 2017, 16:01, par Christian DELARUE

A propos de l’Entreprise France

La Nation comme vulgaire entreprise ou la mise à mort d’un grand projet historique.

Le regain des populismes, tant de droite (référence à une communauté ethno-culturelle relativement homogène) que de gauche (référence au peuple, avec ou sans Laclau et Mouffe), vient de cette perte de légitimité de la Nation comme idéal partagé entre les élites dominantes et le peuple, que ce soit le peuple démocratico-citoyen ou le peuple-classe (les 99% d’en-bas) voulant la justice sociale et la redistribution des richesses.

Pierre Fougeyrollas (1) a très longuement expliqué jadis, en 1987, dans son ouvrage « La Nation » le mouvement historique et collectif qui aboutissait aux déclins relatif des Nations (cf note de lecture) sans toutefois que puisse émerger une communauté mondiale qui « fasse société » et remplace les nations. Le job d’explication a été fait il y a trente ans. Je vais donc me contenter très modestement ici d’une brève liée au double contexte qui confirme cette dégénérescence depuis 1987 : 1 ) celui des 40 ans de néolibéralisme et 2) celui de la mort symbolique via cette vulgarité ou ce « blasphème » (qui possède sa vérité du moment cependant) que constitue l’idée de « nation-entreprise ». C’est là de la « sous-culture » politique.

La Nation renvoie à une culture dont j’ai pu dire dans un billet précédent (2) que le sécularisme était sa marque largement dominante outre sa langue dominante (contre d’autres langues historiques minorées). Elle est aussi une construction historique avec son Etat, ses élites et son peuple . En France elle a eu historiquement sur deux siècles mais surtout après-guerre un contenu républicain spécifique fait de droits sociaux, de laïcité et de droits démocratiques.

La République française (avec son Etat ainsi que sa Nation comme construction politique), qui diffère de la Nation plus ancrée encore dans l’histoire, s’est chargée au fil des deux derniers siècles et des luttes de classe d’un triple contenu : social , laïque et démocratique. Elle est même devenue plus féministe et plus antiraciste. Et ce contre une conception conservatrice et colonialiste. La distinction ne fut pas toujours aisée tant il pu y avoir des ambiguïtés.Retour ligne automatique

Aujourd’hui on ne saurait plus parler de « crise » (euphémisme) de la Nation car elle vivote ! Elle a perdu sa transcendance politique ! La Nation liée à l’Etat républicain a connu une forte perte de contenu ou plus exactement a connu un changement de contenu (et de paradigme quand au principe d’égalisation des conditions). Cet Etat national est de moins en moins républicain et sur deux points : l’aspect social et l’aspect démocratique. La laïcité semble mieux survivre face à l’emprise des religions et surtout des intégrismes religieux à fort contenu réactionnaire .

I - L’Etat social surtout soucieux des droits et intérêts du peuple-classe donc des classes laborieuses, tant des classes moyennes que des classes modestes (dites populaires) est devenu l’Etat des très riches et du 1% d’en-haut.

Evolution longue et acceptation symbolique sont ici à relever :

1) Société inégalitaire avec des élites plus riches et un peuple-classe plus fragilisé, c’est là tout l’effet de 40 ans de politiques néolibérales qui a cassé peu à peu les garanties et les appuis de la période antérieure avec ses nationalisations, ses codes du travail, ses statuts du fonctionnaire, sa RTT, son SMIC revalorisé, ses services publics , ses péréquations tarifaires, etc etc.... Les inégalités sont depuis longtemps montantes, la précarité aussi, le chômage reste important depuis des années. Dans l’affaire, les 10% d’en-haut s’en sortent bien (à lire Thomas Picketti) mais c’est surtout dans le 1% qu’il y a eu enrichissement important, notamment les fractions supérieures du 1% qui sont dans une logique d’appropriation privée contre les biens collectifs, les biens communs, les services publics.

La Nation a bien perdu sa cohésion sociale et sa belle majuscule « N » dans ces 40 années . Il y a désormais achèvement. Mise à mort symbolique avec la « nation-entreprise » . La majuscule passe à Entreprise capitaliste !

2) Achèvement vulgaire avec une nation sans majuscule : Il vient d’y avoir une fonction à ce processus de destruction de la Nation à contenu républicain spécifique avec la promotion de l’assimilation de la France, donc la Nation et surtout l’Etat-Nation à une Entreprise capitaliste - (une communauté restreinte très hiérarchisée avec des privilèges pour les propriétaires le tout orienté vers le profit - cf note) .

Cette réduction vient achever ce processus de démolition. Il y a désormais une très forte désubstantialisation de la Nation, comme de la République, comme de l’Etat comme d’ailleurs du peuple, moindrement pour ce dernier encore perçu comme concret et populaire. Ces grands mots ne sont plus lourds de conquêtes sociales et ouvrières car ce ne sont plus que des abstractions ayant perdu leur sens pour les couches populaires . Sans le triple contenu, ces catégories politiques sont devenues des fétiches. Vivre ensemble, pour l’humanité, n’est pas un projet entrepreneurial à vocation lucrative (F Bardou).

Au moins les choses sont désormais claires pour les couches sociales populaires qui le sentaient : la nation n’est plus qu’une vulgaire entreprise et chacun sait concrètement qu’une entreprise appartient surtout à ses grands chefs d’entreprises, à la toute petite minorité des très grands patrons. Autour d’eux les riches : le fameux 1% d’en-haut ! Les autres au sein du peuple-classe sont les soutiers, les ouvriers, employés cadres et techniciens. Episodiquement, ils sont citoyens égaux en droits !

II - L’Etat démocratico-citoyen est devenu sous l’effet d’une "trahison des élites" (titre livre de Raoul Marc Jennar) un Etat oligarchique ou les élites monopolisent le pouvoir vers plus d’inégalités sociales et moins de cohésion sociale.

Le 29 mai 2005 avec le fameux « Non au TCE » tant méprisé par les élites constitue la première grande « trahison des élites » (RMJ précité), trahison face au peuple démocratique (et au peuple-classe aussi). Il y en a eu d’autres. La « démocratie réellement existante » est critiquée. Il importe de redonner du souffle démocratique par en-bas et avec un contenu social ( RTT, services publics, etc dans un programme précis) pour refaire société et non pas pour simplement installer un leader au poste de commande de la nation-entreprise !

L’Union européenne est un outil puissant de l’oligarchie pour vider les nations européennes de tout contenu démocratique et de tout contenu social et fiscal . Il ne reste que le concurrentialisme et une « guerre de classe » entre les riches et les peuples-classe de ces pays.

A ce stade, et si on trouve quelques vérités à ce propos, alors il convient de « re-substantialiser » c’est à dire redonner du contenu partout : double contenu en terme social et en terme démocratique. Les deux processus vont ensemble avec la laïcité. Il importe qu’il y ait un fort mouvement populaire d’en-bas pour que ces catégories politiques prennent un autre sens et une autre portée que l’on dira de transformation sociale, tant de la société civile que de l’Etat. Les acteurs locaux qui militent à ces changements au plan pratique doivent y contribuer aussi au plan idéologique, surtout quand les partis politiques de gauche sont en crise.

Or la loi travail et la loi sécurité intérieure ne sont en rien des réponses à ces deux objectifs, bien au contraire. Thanatos y est au principe destructeur : on continu donc la fuite en avant. C’est folie !

Christian DELARUE

membre du CA de Convergence des Services publicsRetour ligne automatique
(expression individuelle)

50 patrons qui font rayonner l’entreprise France, Actualité des marchés - Investir-Les Echos Bourse

https://investir.lesechos.fr/marches/actualites/50-patrons-qui-font-rayonner-l-entreprise-france-1693239.php

https://blogs.mediapart.fr/christian-delarue/blog/051117/la-nation-vulgaire-entreprise-un-achevement