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> la vraie misère, ce sont les insultes méprisantes et l’interdiction de penser qui nous est intimée

13 juin 2005, 00:05

"Tout le monde connaît le cliché selon lequel les théories du complot sont l’idéologie du pauvre : quand un individu ne possède pas les ressources et capacités élémentaires de cartographie cognitive, ressources et capacités qui lui permettent de repérer sa place au sein d’une totalité sociale, il invente des théories du complot lui fournissant un ersatz de carte, analysant toutes les complexités de la vie sociale comme résultats d’un complot caché. Toutefois comme Fredric Jameson aime à le faire observer, ce rejet ideologico-critique n’est pas suffisant : dans le capitalisme global actuel nous sommes trop souvent confrontés à des "complots" réels". écrivait récemment le philosophe slovène Slavoj Ziezek (Irak Le chaudron cassé , Paris 2005, ed.climats.
Pour ma part, j’ai constaté (message de 21h10 62.230) l’ambiance d’"Union sacrée" et de ramdam médiatique qui entourent depuis maintenant bientôt un an les histoires de journalistes otages en Irak, non seulement en France, mais dans tous les pays occidentaux. je ne vois aucun complot ni dans le fait que les journalistes soient pris en otage par des "résistants" ou des "terroristes" en Irak, ni dans le fait que cela provoque ce ramdam (c’était déjà vrai dans les années 80 avec les otages français au Liban). Je me contentai d’observer "subjectivement" quel type de phénéomènes idéologiques pouvait éventuellement être sous-tendu dans le traitement de ce genre de phénomène. Je ne vois pas bien à quel titre je me fais insulter grossièrement !? Mais ce genre d’insultes méprisantes est symptomatique, préciséement, de l’ambiance d’ "union sacrée", d’unanimisme obligatoire et quasi hystérique que la propagande peut parvenir à créer. Qui ne se rallie pas, non seulement à cet élan de compassion généreuse et au "devoir de solidarité" (dans le sens le plus fort du mot "devoir") est immédiatement injurié comme un "déchet humain" qui ne mérite pas de participer à la civilisation.

D’autant qu’on pourrait aussi se poser des questions, non pas en imaginant je ne sais quel complot, à partir de je ne sais quel ragot travaillé par la logique du soupçon paranoïaque, mais simplement en observant ce qui se dit "dans le poste".
J’ai entendu Florence Aubenas ce soir déclarer que ses ravisseurs, à un moment, l’avait laissé regarder un peu la télévision (la chaine TV 5 en l’occurence), et que de voir les bandeaux parlant de "Florence et Hussein" défilés, cela lui avait remonter le moral. Ce qui se comprend bien et est parfaitement humain (en gros, qu’elle n’a pas été oublié, que les autorités françaises s’occupent activement d’elle etc. et donc qu’une lueur d’espoir concernant leur libération brille encore). Peu après elle indiquait que régulièrement ses ravisseurs les informait qu’on parlait beaucoup d’eux en Europe dans les médias et que c’était bon signe - selon leurs ravisseurs - pour eux les otages ( et aussi pour eux aussi semble-t-il dans une sorte de "syndrome de stockholm" à l’envers ?!). Alors on peut se poser légitimement une question : en quoi l’omniprésence médiatique de leurs cas était un bon signe pour leur libération ? et plus généralement, en quoi le militantisme médiatique tous azimuts étaitil utile, voire nécessaire à leur libération ?
Dans certains cas on peut le comprendre : pour des preneurs d’otage qui veulent populariser une cause (à l’instar des "terroristes gauchistes dans l’europe des anénes 70, ou de causes diverses et variés - arméniens, ETA...), le fait que les médias relaient leurs revendications satisfait en partie les motifs de leur action, et favorise la libération des otages. Mais ici, l’on n’a entendu aucune de leurs revendications, et - si elles existaient - elle n’ont aucunement été relayées par les médias. On sait aussi, que pour éviter la multiplication de ce type d’action, les médias ont pris le parti, et qui a toujours été respecté depuis lors, de ne pas relayer ces messages. Donc le fait que les médias parlent sans arrêts des otages en Irak, n’apportait pas "en soi" un motif pour les ravisseurs les libèrent.
Dans notre cas, le motif des ravisseurs pouvaient être de plusieurs ordres : obtenir une rançon et/ou des avantages diverses de la part des autorités françaises. Or d’après l’opinion de divers "spécialistes" qui se sont succédés dans le poste, plus un "otage" a du poids (politique, médiatique, financier), plus le montant de la rançon exigé est élevé, et compromet ainsi les chances de libération. Autrement dit, selon eux, la "discrétion médiatique" est plus efficace que la publicité (d’autant que les "djihadistes" se moquent de la "mauvaise image" qu’entraine ces prises d’otage - certaines se terminant par de spectaculaires décapitations - dans les opinions occidentales, à la différence de lutte comme celle du Viet-Nam, par exemple qui elle, à l’inverse, misait et pariait sur la sympathie de ces opinions - ce que le général Beauffre appelait la "stratégie de guerre psychologique indirecte du faible au fort" - Les "djihadistes", au contraire, déploient une stratégie directe d’intimidation et de terreur du faible au fort. leur cruauté et leur détermination impitoyable devant frapper de stupeur les opinions occidentales, et à terme les décourager de soutenir leurs gouvernements.). Alors au-delà du réconfort moral que cela a pu apporter à Florence Aubenas, on pourrait légitimement se demander, si l’énorme publicité sur leur cas n’était pas tout bonnement contreproductive 1/ risquait de faire monter les enchères si haut que les autorités françaises ne veuillent pas suivre 2/ si elles le faisait, évidemment d’encourager ce type de pratique, non seulement en Irak, mais ailleurs.
On peut donc se demander - sans crise paranoïaque aigüe et théorie du complot du médiocre frustré, mais tout simplement en réfléchissant un tout petit peu, sans gober tout crû et sans esprit critique - si cette intense publicité relevait seulement sinon du motif, du moins de la logique de faire libérer les otages ?! Si ils n’y avaient pas d’autres motifs - conscients ou inconscients - qui présidaient aussi , non seulement au fait qu’on en parlât tant, mais aussi qu’on en parlât de cette façon, par exemple en cherchant absolument à associer le populaire à la chose (du squattage de la manif du 1er mai, à ces innombrables évènements populaires orchestrés où les "bons citoyens" étaient conviés à se mobiliser, non pas pour la fin de la guerre en Irak et son cortège d’atrocités, non pour la "libération de Florence et hannoun", victimes idéales, démocrates, pluriculturelles et tolérantes ? Bref à se mobiliser pour l’occident contre les barbares, en oubliant au passant l’occident qui occupe les barbares ? Mais j’ai bien le sentiment, que déjà en disant cela, je me met en dehors du cercle de la raison et de la liberté, du côté des immondes djihadistes, de la barbarie et du totalitarisme qui justifieront une bordée d’injures. Et qui peut-être, demain, légitimeront une loi rendant illégal ce genre de propos !
Enfin, il y a une dernière hypothèse, qui se disait ça et là, et que j’ai entendu dans la bouche d’une active militante "pour Florence et Hussein" à la manif du 1er mai : Il fallait cette mobilisation pour forcer le gouvernement français à agir. Parce que Chirac et consorts ne voulaient pas agir suffisamment (rançon trop chère, autres préoccupations etc. ?)
Il y a plusieurs choses qui clochent dans ce raisonnement. Outre que finalement, paradoxalement il rendrait les médias et les braves citoyens qui se sont mobilisés objectivement "complices" des preneurs d’otage (mettant la "pression" sur les autorités françaises par nature seule interlocutrices possibles des ravisseurs, cela renforcerait la position de ces derniers, et leur permettrait de "faire monter les enchères", on voit mal TF1, France télévisions, radio-France etc... malgré toute la solidarité corporatiste du monde, mettrent sciemmment en difficulté à ce point l’Etat français ! Ou alors là encore, on voudrait nous faire accroire un beau roman, sur l’indépendance souveraine des médias et tutti quanti, leur désintéressement humanitaire et leur passion pour la liberté et les droits de l’homme. J’aimerai qu’on nous permette au moins d’en douter ! Ensuite, certes on peut sans doute absolument nous raconter n’importe quoi, mais dans le même temps on nous raconte qu’il y avait 100 agents de la DGSE sur le coup, que le ministre des AF et des dizaines de collaborateurs, toute l’ambassade de France en Irak... s’occupaient de l’affaire ? Enfin les autorités françaises nous ont plutôt semblé fortement encourager la "mobilisation pour Florence et Hussein" que l’inverse.
En conclusion on pourrait s’interroger sur ce fait simple : pourquoi y-a-il eu eu une mobilisation médiatico-politique déclenché "par le haut" si intense, alors que cette dernière ne servait strictement à rien, et pouvait même être plutôt nuisible, du point de vue de la stricte logique de la recherche de la libération des otages ?
Si il est désormais interdit de poser ce genre de question, oi qu’elle vous range directement dans la catégorie des ordures, alors cela signifie tout simplement qu’il n’y a plus tellement de différence entre l’américaine de bush et du patriot act, la Chine capitalo-communiste, et la France d’aujourd’hui.
L’affaire "Florence et Hussein", c’est aussi un unanimisme médiatiquement contrôlé, qui pose des "Denkverbot", des interdits de penser, et auxquels chacun est sommé de se conformer. C’est aussi une façon de se poser d’autres questions : que fait aujourd’hui réellement l’Etat français en Irak ? Qu’en est-il, au vrai, de l’opposition franco-américaine sur la question ? La France n’a-telle pas finalement rallié "les forces de la coalition" ?