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> Des avants-gardes, pas des états-majors !

27 novembre 2006, 14:23

Employer l’expression "avant-garde" au présent suppose qu’on connait la direction que l’histoire va prendre, voire qu’on connait sa fin dernière. Pouvons-nous nous vanter d’une telle connaissance ? Savons-nous dans quelle direction s’orientent nos sociétés à court, moyen et long terme ? Ou avons-nous la préscience de là où nous emmène l’histoire, là où se terminera - ce moment où s’arrête l’histoire en atteignant son point d’accomplissement est-il possible ?

La question n’est pas futile, et nous héritons d’une tradition de gauche intimement liée à l’idée de progrès (héritage des lumières), voire de l’instauration brusque ou de l’élaboration progressive d’une société idéale (socialisme utopiste), voire nous désignant cette société idéale comme l’aboutissement inéluctable de l’histoire conçue scientifiquement (marxisme).

Il est de bon ton d’en rire aujourd’hui, mais ces représentations marquent sans doute encore nos représentations, nos discours, nos pratiques.

En tout cas, la notion d’avant-garde suppose une science permettant de prévoir l’avenir de nos société, au moins dans ses grandes orientations, et ceux qui se disent avant-garde dans le présent, prétendent aussi détenir cette science. Le rapport avec le mouvement social (le reste du mouvement social) est un rapport entre ceux qui savent et ceux qui ignorent. On ne suarait pas qualifier d’avant-garde un groupe qui analyserait le mouvement social pour comprendre les orientations à venir de la société, et qui serait dans un rapport au fait social de théorisation / vérification des hypothèses, et qui pourrait accompagner le mouvement social en lui proposant des perspectives possibles, que l’avenir validera ou non.

On pourrait plus facilement parler d’avant-gare au passé. L’évolution des choses étant connue, nous pouvons plus facilement identifier quels sont les groupes qui se sont trouvés dans une position avancée par rapport à cette évolution. Encore faut-il savoir dans quelle temporalité nous nous situons. Ce qui est présenté comme un progrès, comme tourné vers l’avenir, comme allant dans le sens de l’évolution des choses, dans une temporalité d’une vingtaine d’année, la libéralisation de l’économie, est réactionnaire sur une échelle de temps de 150 ans. Et seul l’avenir validera laquelle de ces deux conceptions est pertinente : ce mouvement auquel nous assistons est-il un accident de parcours, une tendance provisoire au retour en arrière ; ou au contraire ce rôle régulateur de l’économie qu’a pris l’Etat dans un sens de protection et de réduction des inégalités n’aura-t-il été qu’une parenthèse qui se termine actuellement, ou qu’un phénomène provisoire aujourd’hui en cours de dépassement ?

L’analyse des faits sociaux peut nous donner des éléments de réponse, mais nous n’avons qu’une vison partielle de la manière dont fonctionne une société et dont elle s’élabore. La croyance en un sens de l’histoire ou en une fin dernière est tout-à-fait valide dans son domaine, dont nous devons bien être conscient qu’il est celui de la croyance. Hors de cette croyance, nous somme dans le domaine de l’incertitude et des hypothèses.

Cela invalide-t-il tout engagement ? Non, mais ça amène à en revoir les modalités. L’existence d’un sens de l’histoire permet d’identifier des groupes qui sont à l’avant-garde de cette orientation, et qui auront tout intérêt à se purifier pour être plus à l’avant - mais pas trop s’ils veulent entrainer le reste de la société, et il y a là un élément de dialectique qui a joué un grand rôle dans les mouvements marxistes. Mais si le sens de l’hisoire n’est pas écrit à l’avance, s’il se fait et se défait au fur et à mesure que la société se construit, nous sommes dans un mouvement permanent d’analyse et de théorisation, d’interrogation du fait social pour valider des hypothèses, le débat et la confrontation des conceptions devient un outil nécessaire, l’expérimentation sociale acquiert une pertinence toute particulière.

On peut peut-être alors parler d’intellectuel organique, mais sûrement plus d’avant-garde.

Philippe Wannesson.