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> LA CROISSANCE, RÊVE OU CALAMITÉ ?

25 août 2006, 20:29

Vous avez dit « développement » ! QUEL DEVELOPPEMENT ?

La civilisation occidentale s’est construite sur la notion d’universalisme, tant dans le domaine des sciences exactes que dans celui de la définition de l’homme : toute découverte scientifique constitue un bien universel accessible à tous les hommes : tout être humain est doté de la même raison. Tout être humain en vaut un autre : « tous les hommes naissent libres et égaux en droit. » La pensée rationnelle universelle semblait avoir remporté la victoire sur l’archaïque pensée mythique et religieuse !…

Au regard de ces grands et beaux principes dont le Occidentaux se disent les promoteurs et les garants, seule aujourd’hui une minorité d’hommes (environ 20%), précisément ces mêmes Occidentaux, bénéficie des fruits du Progrès. Or, c’est au prix de l’exploitation et du gaspillage de 80% des richesses de la planète et au détriment de milliards d’individus (dits du « Tiers-Monde ») qui, dans le même temps, s’enfoncent dans la misère. La civilisation occidentale technico-industrielle, née de la rationalité scientifique, n’en continue pas moins de se présenter au reste du monde comme un modèle de « développement » universel. Les pays riches font ainsi croire à ceux qu’ils appellent « sous-développés » ou « en voie de développement » qu’ils peuvent accéder au même « développement » qu’eux. … A condition toutefois de consentir à bien des sacrifices et de se plier à un certain nombre de « lois » économiques, (qu’ils ont eux-mêmes édicté), en particulier à la sacro-sainte « loi du Marché » qui n’est autre en réalité que la loi de la jungle, celle par laquelle les forts exploitent puis évincent et éliminent les faibles.

Ce qu’on appelle la « mondialisation » est la mise en œuvre internationale d’une telle loi. Elle est présentée aux pays pauvres qui s’y soumettent comme le passage obligé vers la sortie de la pauvreté et l’accès au bien-être de leurs peuples, vers le « développement ». Mais qui ne voit la duperie d’un tel raisonnement ? Comment serait-il en effet possible à ces pays d’atteindre le « niveau de vie » occidental alors que ce dernier est précisément fondé sur l’exploitation du reste du monde, les anciennes colonies occidentales étant réduites en esclavage économique. « Développement » ? Ne nous trompons pas ! Dans la pensée des puissances économico-financières qui mènent le monde, il ne s’agit nullement de satisfaire les besoins primaires de plusieurs centaines de millions d’individus, (éducation, santé, alimentation.) Investir en ces domaines ne constituant aucune perspective de profit à court terme, ils sont donc considérés comme marginaux, dévolus en priorité aux ONG. Il s’agit pour les vrais maîtres du monde de renforcer leurs pouvoirs sur le commerce mondial.

Mais le développement ne se réduit pas à la croissance économique. Celle-ci n’est pas en elle-même la solution aux problèmes des peuples. En tout état de cause, sous peine de cataclysme humanitaire mondial, la finalité de la croissance ne peut pas être l’enrichissement de quelques millions d’êtres humains au détriment du développement humain de milliards d’individus. Le capitalisme libéral vise à produire de plus en plus de richesses économiques dans le seul but d’en tirer un profit maximum. Une économie au service de l’homme se demande d’abord quelles richesses produire et comment les répartir pour répondre aux besoins et aux aspirations des hommes. La production des richesses économiques, dès lors qu’elle est contrainte par le seul profit ou inadaptée aux besoins, se fait au détriment d’autres richesses, spécifiquement « humaines » celles-là, que sont, entre autres, la liberté de penser et d’agir, la rencontre enrichissante de l’autre ou la solidarité entre les individus et les groupes humains. Et la question se pose pour le Nord comme pour le Sud.
Le moteur de la production de richesses n’est pas d’ordre économique. Elle est d’ordre subjectif. Si, pour quelques prédateurs, ce moteur est la volonté de puissance et la passion du pouvoir, pour le plus grand nombre, la dynamique du travail productif est l’accès au bien-être, pour soi et pour ses proches. Peu d’individus seraient prêt à mourir pour un taux de croissance… ! Mais des milliers de personnes peuvent être prêtes à travailler dur et à produire plus pour vivre mieux ; car l’homme ne vit pas pour produire mais il produit pour vivre et pour vivre mieux, lui et les siens.

Les vraies « richesses » d’une société ne sont pas d’abord d’ordre économique ; elles sont culturelles, sociales, politiques. L’héritage, la conservation et le développement de telles richesses conditionne d’ailleurs souvent la manière même de produire les richesses économiques. Là où ces dernières prennent le pas sur les premières, comme c’est le cas dans les sociétés de surconsommation effrénée, le tissu social se déchire. On a fait croire aux pays dits « sous développés » qu’en développant leurs économies, selon les lois du libéralisme mondial, on développerait les autres richesses de la société. C’est le contraire qui est arrivé. On les a détruites. Le profit retiré par l’exploitation sauvage des richesses naturelles au bénéfice des firmes internationales implantées dans ces pays a entraîné la prolétarisation, le déracinement et l’exode d’importantes populations rurales, la constitution de ghettos suburbains misérables et insalubres, la destruction des liens communautaires. Seuls les roitelets locaux s’en voient attribuer les miettes !

Dans les pays occidentaux, après quelques décennies de conquêtes sociales dues aux luttes ouvrières, au keynésianisme et à l’Etat-providence, après l’échec retentissant du modèle soviétique collectiviste, le modèle néo-libéral prend aujourd’hui sa revanche. Au Sud, il a remplacé la colonisation politique par l’esclavage économique. Au Nord, il grignote les avancées d’un salariat vers une société plus humaine et fraternelle, réduit aujourd’hui à obtempérer aux diktats du grand capital international (précarisation de l’emploi, délocalisation, compétitivité, dérégulation, déréglementation, chômage endémique, remise en cause de la protection sociale etc.). La croissance économique entraîne la décroissance conviviale. Partout, la violence du système économique engendre la montée de la violence et de la peur, celle l’idéologie sécuritaire et partant celle des extrêmes-droites nationalistes.

La dernière invention d’un « développement durable » qui serait moins gaspilleur et moins pollueur inclut elle-même une contradiction des termes qui en fait un non-sens. Elle constitue la dernière imposture des technocrates internationaux, relayée par les nantis de gauche et de droite qui n’espèrent qu’une chose au monde : c’est que, le développement …, ça dure ! Pour eux, s’entend ! Or, comment faire « durer » un développement économique qu’il s’agit précisément de contester. La seule façon de vivre « durablement » pour une humanité aujourd’hui au bord du gouffre, est de sortir de ce développement-là, de réduire la sacro-sainte croissance économique, destructrice d’emploi, d’environnement et de liens sociaux !

Vive le « développement » ! Le « développement » ? Serait-ce le dernier mythe découvert par une petite minorité d’Occidentaux pour asservir tous les autres hommes ? Adieu la « rationalité scientifique » du « développement » à l’occidental ! Bonjour la nouvelle religion, avec ses grands-prêtres du FMI, la pensée unique de sa Banque Mondiale et ses dogmes ! Bonjour le nouveau monothéisme du Dieu-Argent ! Loin des ruines d’un tel « développement » qui asservit l’homme à ses propres produits, loin des reliefs avariés de l’orgie productiviste, renouons avec la pluralité des mondes, des cultures, des croyances et des modes de vie ! Vive la révolution mondiale ! Oui, « un autre monde est possible » !

André Monjardet sociologue
andre.monjardet@cegetel.net http://perso.orange.fr/monjardet/