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> Elle par procuration marche tranquille, micmac occasion historique

23 novembre 2006, 20:44

Cher Bernard Langlois,

Comme tu peux le constater, l’esprit n’est pas toujours à l’échange intelligent ici comme ailleurs. Si je ne savais pas quel vieux routier tu es, je te plaindrai. Mais il y a eu tant de pisse-froid qui t’ont poignardé dans ta vie professionnelle et militante dont certains ignorent tout ici que je préfère m’attarder sur trois passages de ton bloc-note de ce jeudi.

Ne pas s’y tromper. La désignation de Ségolène Royal ne concerne en principe que le seul parti socialiste, qu’il perturbe plus qu’on imagine : codes cassés, références envolées, clans et courants éparpillés, façon puzzle. Mais l’onde de choc va bien au-delà : c’est toute la France politique qui est secouée. Ses professionnels de gauche comme de droite […]

Je crois que nous ne mesurons pas ce qui vient de se passer. C’est la forme d’organisation politique traditionnelle qui vient d’être dépassée. La pression des sondages a été utilisée contre les courants internes du parti ; les adhésions par internet étaient clairement recherchées pour participer à la primaire ; les débats internes ont été utilisés comme un tremplin politique au-dessus des décisions des instances du parti. Cela ressemble plus au fonctionnement des machines électorales états-uniennes qu’au partis de notre tradition démocratique. Cela influera longtemps sur les deux adversaires-partenaires du bi-partisme que l’on tente de nous imposer.

Comme on a pu dire, sur un autre terrain, que les millions de salariés du privé vivaient la grève « par procuration » lors des mouvements de la Fonction publique, il semble bien que les millions d’électeurs ont vécu « par procuration » l’élection de Ségolène par les militants socialistes : dans la droite ligne de leurs rejets successifs et réitérés, à chaque occasion, d’une vieille classe politique démonétisée.

Je partage ton hypothèse. Il y a une alchimie inattendue entre le rejet des élites politiques professionnelles et un renforcement de la délégation de pouvoir. Comme si le fait de pouvoir influer sur le cours des événements au sein d’une écurie électorale compensait l’absence de démocratie sociale. De là vient le succès du discours de Royal : les « jurys de citoyens tirés au sort » en sont une bonne illustration comme son refus de se plier à la discipline de parti.

Il y a néanmoins un point que je ne partage pas : celui selon lequel cette désignation de Royal

ouvre un boulevard à une gauche radicale (qu’à l’inverse Fabius aurait gênée), pour peu qu’elle sache l’emprunter

Ce choix majoritaire de l’écurie socialiste renforce les pires sentiments des électeurs. Au rejet des politiciens professionnels, la réponse est une candidate qui a fait de la politique sa carrière. Après le non à la constitution, vient une oui-ouiste convaincue du vote « oui » avant même que le texte ne soit finalisé. Je passe sur ses déclarations de mère fouettarde vis à vis des jeunes des cités ou des enseignants. Le curseur politique est encore plus à droite qu’avant sa désignation.

Je ne peux conclure sans te féliciter ainsi que Denis et toute l’équipe d’avoir su organiser la riposte et sauver – au moins momentanément – Politis.

Bien à toi,

gib