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L’hypothèse communiste doit-elle être abandonnée ?

11 novembre 2007, 09:37

Le monde ouvrier, dans le sens historique et social de l’expression, était le pourvoyeur de voix pour les partis de gauche, diverses raisons ont oeuvré à son effritement, voire sa disparition.
Sans aborder toutes les causes profondes de ces désagrégations, il est possible toutefois d’en dégager certaines qui apparaissent comme essentielles.

L’une des premières, à priori la moins évidente, est une question de sémantique liée en partie aux tribulations de mai 68. Car, en dehors du fait que le monde ouvrier ait pris le train en marche de la révolte étudiante, puis dont ses syndicats ont voulu se l’approprier, pour finir par le saboter avec l’aide d’un parti communiste conscient d’avoir été débordé, même si des accords de Grenelle négociés en catimini ont apporté quelques avantages au sort des travailleurs, ou peut-être à cause de tout cela, à la suite de cette révolution essentiellement intellectuelle, sous prétexte de redonner un semblant de qualification soit-disant plus acceptable et plus dans l’air du temps à diverses professions, l’on a alors appelé celles-ci : Technicien de machin, Technicien de truc, Agent de truc, Agent de machin et ainsi de suite ; même le traditionnel facteur est devenu le préposé. L’honneur des travailleurs s’en sentit revigorer, oubliant de fait des avantages sociaux et des salaires mal revalorisés. Pourtant il n’y avait pas de quoi pavoisé, puisque l’on avait subitement oublié que le terme ouvrier vient d’oeuvre, donc celui qui conçoit ou exécute une oeuvre. Et que l’ouvrage ainsi effectué porte un nom simple : celui qui tourne une pièce métallique est un tourneur, celui qui fond de la fonte est un fondeur et celui qui balaie est un balayeur, sans que ces qualificatifs soit péjoratifs. Au contraire, c’est la dénomination, vrai, du travail réalisé auquel, quelque soit la tâche, on doit la même considération et respect. A la suite de quoi, sans que cela paraisse, déjà ces appellations subliminales avaient déstabilisé la cohésion du monde ouvrier.

Parallèlement à à cette prétendue embellie de la condition ouvrière, une autre mutation était en gestation : celle du patronat traditionnel. Le capitalisme à la « papa » allait disparaître, absorbé lui aussi par le monde moderne.

Certes on aura toujours du mal à encenser les grands patrons d’antan, car se fut après de dures tractations dont ils tentaient d’atténuer l’âpreté par un paternalisme bon enfant, puis devant leur intransigeance il aura fallut des grèves innombrables et longues pour permettre aux travailleurs de conquérir quelques avantages, ils ont donc le plus souvent privilégié l’enrichissement de leurs patrimoines au dépend de la qualité de vie de leurs ouvriers. Mais, pour beaucoup, ils étaient les descendants de ces nouveaux patrons qu’avaient façonné la révolution industriel de la fin du XIXéme siècle - particulièrement dans l’industrie lourde et le textile - et portaient en héritage un certain savoir faire, connaissaient leur métier, perpétuant le sens de l’oeuvre qu’avaient légué leurs ancêtres, en quelques sortes des hommes de l’art. D’ailleurs certains se complaisaient à se faire appeler, par exemple : « Maître de Forge ». Pour ces raisons, malgré une primauté en direction de leurs bas de laine, on les vit réinjecter des capitaux dans les entreprises, favoriser la technologie et la recherche, ne passant pas nécessairement au premier plan la rentabilité d’un quelconque cours boursier.

Seulement voilà, dans les années 70, la société de consommation est en pleine expansion. Pour satisfaire les besoins des populations, les industriels durent augmenter les capacités de production des entreprises, par là même, les agrandir, voire les moderniser à outrance – entre parenthèse, si la robotisation réduisit les accidents corporels, elle engendra chez les travailleurs d’autres sortes d’accidents du travail, liées en particulier au stress et autres traumatismes psychiques. Un besoin de capitaux importants se fit sentir. Pressés par l’explosion du marché, et devant une alternative alléchante permettant de s’enrichir encore davantage, ils vont oublier allégrement le traditionalisme industriel de la vieille Europe et s’inspirer des capitalistes américains en faisant appel à des investisseurs. Le pas était franchit, un siècle de savoir-faire finissait entre les mains de financiers qui n’en avaient cure, seuls les dividendes de l’argent investi allaient devenir primordiaux.
Cependant, la mutation ne se fit pas brutalement, les investisseurs ont joué, dans un premier temps, le jeux de la croissance du pays dans lequel ils avaient investi. Puis, peu à peu, la mondialisation aidant, concrétisée en 1995 par la mise en place définitive de l’OMC (une forme similaire existait depuis 1947) ils ont été chercher où il était possible d’engranger dans un temps record le maximum de profits.

Se ne sont pas là les seules raisons de l’éclatement de la classe ouvrière française – par exemple l’abandon d’énergie traditionnelle comme le charbon, etc.

Notre pays en est devenu un pays de service, avec en prime, une vocation touristique aléatoire.

L’union que constituait le monde ouvrier n’est plus, avec comme corolaire l’effritement du Parti Communisme dans lequel celui-ci puisait sa principale force et son électorat. L’individualisme est de rigueur. Avant, même si ce ne fut pas toujours facile, face à des conditions de travail difficile on regardait la valeur de l’homme avant la couleur de sa peau ou celle de son origine. On se réunissait plus fréquemment pour discuter de politique, commenter un journal : l’Huma par exemple, voire aborder un peu d’idéologie, soit à l’usine, au bistrot du coin ou dans les réunions de famille. Les médias modernes, la télé en particulier, ont donc aussi leur part dans l’absence de communication entre les individus. De plus, maintenant qu’il y a moins de travail, et plus diversifiés, les liens sociaux qui auraient pu se créer n’existe plus. Le voisin est le concurrent.

C’est en partie à travers toutes ces thématiques nouvelles que Le Pen et Sarkozy, entre autres, vont piocher, afin de récupérer des électeurs déstabilisés et qui sont prêts à concevoir qu’une solution extrême comme celle qu’il propose va régler leurs problèmes.

Par ailleurs, j’ai bien peur pour l’avenir du parti communiste qui n’a pas compris avec la disparition de la classe ouvrière que la montée de l’anti-libéralisme venait d’ailleurs, du plus profond du peuple et ceci en dehors des partis politiques traditionnels.

Michel Mengneau