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LES COMMUNISTES, LES PARTIS ET LES MOUVEMENTS

29 novembre 2007, 14:41

Les partis politiques et les mouvements sociaux

article publié le 20/01/2004

auteur-e(s) : Délégation Attac France

Mumbai 2004, Weber Jacques

A la tribune : David Choquehuanca (Bolivia), Fausto Bertinotti (Italy), Luis Ayala (Chile), Joao Vaccari Neto (Brazil), Prakash Karat (India), Aruna Roy (India), Alejandro Bendana (Nicaragua), Grazia Francescato (Italy), Suniti (India), Olivio Dutra (Brazil), Kerstin Müller (Allemagne)

Les relations entre les partis politiques et les mouvements sociaux, ou plutôt les composantes d’un mouvement social multiforme, sont un peu à l’image de celles de frères jumeaux : inséparables malgré leurs incessantes querelles.

Ces relations sont étroites : comment imaginer avancer vers un autre monde possible sans unir l’ensemble des forces qui y aspirent, comment imaginer changer le monde, acte politique, en laissant au bord du chemin des acteurs incontournables de la politique ?

Ces relations sont parfois (souvent ?)

conflictuelles : ce qui sépare les acteurs du mouvement social des partis est la participation, souhaitée ou réalisée, de ces derniers au pouvoir de gouvernement à une échelle quelconque, de la commune à l’état national ou à une organisation internationale.

Le débat est sous-jacent dans toutes les manifestations altermondialistes d’une certaine ampleur, donc présent dans les forums sociaux, celui de Mumbai n’échappe pas à la règle. Au forum de Mumbai les partis politiques sont très présents ; tout en maintenant le respect de la charte de Porto Alegre, les organisateurs du forum ont manifestement souhaité poser la question des relations des forums au politique ; le contexte régional, où la guerre est vécue comme une agression qui n’a rien d’extérieur, renforce cette présence de la question politique dans nombre de débats.

Le débat, en séance plénière, sur " les partis politiques et les mouvements sociaux " a permis de préciser comment était vécue sur le terrain, sur des terrains très divers, cette question. La diversité des contextes se traduit par la diversité des propos.

Joao Vaccari Neto vient du Brésil, syndicaliste de l’Union Centrale des Travailleurs. Il a insisté sur l’autonomie des syndicats brésiliens par rapport aux partis politiques. Les mouvements sociaux ont contribué à l’émergence des partis brésiliens, nombre de ministres du gouvernement actuel sont issus de ce mouvement, et conservent une grande indépendance vis à vis des partis et entre eux.
Forums nationaux, réforme agraire.

Pour Suniti, qui est indienne, il y a toujours conflit entre le gouvernement d’un état et le mouvement social.
Croissance de l’impérialisme états-unien soutenue par des gouvernements locaux
La question centrale est de transformer les partis, les mouvements populaires ont provoqué un début de changements entre 1977 et 1989 mais beaucoup reste à faire.
L’objectif des luttes est d’imposer une démarche " bottom -> top", alors que les gouvernements et les partis raisonnent le plus souvent en " top -> bottom ". Le mot clé est changer la politique par les luttes.

Pour Kerstin Müller, parti des verts européen, les forums sociaux de Porto Alegre ont montré la nécessité d’une réflexion sur la liaison entre partis politiques et mouvements social.
Cette réflexion suppose une définition claire des concepts : le mouvement social ou les mouvements sociaux ? les mouvements sociaux sont-ils toujours des forces progressistes ? Comment placer les mouvements religieux ?

Le débat entre les partis et les syndicats est ancien ; en Europe, avant la seconde guerre mondiale, le lien est étroit, avec un contrôle des partis sur les syndicats. En France, les grandes grèves de 1947, les conflits politiques liés à la décolonisation, la situation particulière de l’Algérie (et des travailleurs algériens) ont favorisé une autonomie des syndicats par rapport aux partis politiques. Le mouvement des années 1968 a cristallisé les différences d’approche entre les défenseurs de la réforme et les tenants de la révolution, avec l’importance des mouvements politiques activistes. La fin de cette période est marquée par la défaite de la social-démocratie, qui sera suivie, dans les années quatre vingt par la chute du parti communiste et la montée du mouvement social. L’émergence des partis " verts " met en évidence la nécessité d’une réponse globale, sociale, écologique et politique, que les organisations traditionnelles ne fournissent plus (cette perte de crédibilité des organisations traditionnelles se manifeste aux États Unis par la montée des mouvements comme " vote never ").

Les questions clés pour l’avenir portent sur les choix politiques cantagonistes comme refus et propositions ou développement et antiproductivisme.
Partis et mouvements sociaux sont les deux faces d’une même lutte, les partis ont vocation à être la voix du mouvement social, mais toute compromission sera refusée par le mouvement social. Une sorte de nouveau contrat de partenariat, en quelque sorte.

David Choquehuanca, bolivien, décrit la situation insupportable imposée à son pays, mis en coupe réglée par les firmes transnationales (destruction de la biodiversité en Amazonie, main mise sur l’eau, etc.).
La misère et la situation de colonisés ont provoqué des insurrections depuis le mois de septembre. L’ALCA construit un espace laissant libre cours aux transnationales soutenues par une oligarchie corrompue. En face les mouvements sociaux luttent pour rétablir des équilibres de justice sociale, pour se réapproprier leur vie. Les objectifs d’une nouvelle société à construire sont de retrouver l’équilibre entre l’homme et la nature, de recréer une société de liberté qui prenne en compte la femme comme complément de l’homme, l’homme comme complément de la nature. La démocratie passe par le consensus et la réhabilitation des valeurs, des droits humains, des droits cosmiques.

Prakash Karat est membre du parti communiste indien. Les partis et les mouvements sociaux sont complémentaires, les premiers assurent la représentation, au sein du pouvoir, des travailleurs, les seconds véhiculent les luttes sociales.
La justice sociale est indissociable de la démocratie, les changements politiques sont les succès des luttes. Le néolibéralisme crée la division, il est nécessaire d’arriver à une plateforme commune. Parmi les questions qui se posent, et qui divisent : quel est le rôle de la gauche ? Quel est le rôle de l’état, et de son gouvernement qui doit apporter la justice et un système de régulation, dans la lutte contre la montée de l’impérialisme appuyé par la Banque Mondiale ?
Le mouvement social est souvent opposé à l’état, privilégiant le développement des régions par elles mêmes. Les partis de gauche n’ont pas surmonté l’effondrement de l’Union Soviétique qui a créé une situation nouvelle.

Pour Luis Ayala, chilien, les partis sont au centre du processus politique, ils ont joué un rôle clé dans la transition vers la démocratie qu’ont connus des pays d’Afrique et d’Asie.
La perte de crédibilité des démocraties doit être recherchée dans leur incapacité à tenir leurs promesses dans les domaines de l’équité sociale (pauvreté, santé, éducation). Pour redonner une confiance dans la démocratie il faudra inventer des systèmes électoraux honnêtes, transparents et ouverts à la société civile. Personne ne gagnera dans une lutte fratricide entre partis et mouvements sociaux qui ne représentent que des façons différentes de faire de la politique. La victoire, le succès d’une alternative globale au capitalisme, se gagneront ensemble en construisant un système plus juste, qui respecte l’égalité entre hommes et femmes.

Grazia Francescato, italien, est un militant de refondation communiste. Le monde ne changera pas sans une transformation politique, de Porto Alegre à Paris, en passant par Florence, l’inclusion de la politique dans le mouvement altermondialiste est devenu une réalité. Mumbai représente un élargissement dans la même direction : l’inclusion des mouvements d’exclus, comme les dalits (intouchables), la mobilisation contre l’agression militaire états-unienne qui dévaste le monde et renforce le terrorisme, etc.
La mobilisation mondiale pour la paix, en 2003, a marqué une étape importante pour le mouvement, les conflits de classes s’étendent dans de nombreux pays. Au delà des manifestations contre la guerre, le mouvement altermondialiste doit construire des alternatives à la mondialisation libérale, construire une nouvelle façon de faire de la politique. Seule le politique permettra de rendre possible un autre monde, mais pour y arriver la politique doit se transformer elle-même en recréant la démocratie, en retrouvant une radicalité critique. Tel est l’objectif pour le vingtième siècle.
Un point de passage obligé pour atteindre cet objectif est d’analyser les défaites du vingtième siècle : la conception du pouvoir, le rôle des partis dans une culture de pouvoir central. Il faut compléter la critique du capitalisme par la critique du pouvoir.
Pour changer le monde il faut changer la politique, travaillons-y ensemble.

Aruna Roy décrit la situation en Inde, pays marqué par des génocides dont le parti responsable a été élu au pouvoir.
La situation politique est fortement marquée par un mélange de suspicion et de dialogues entre partis de gauche et mouvements sociaux qui éprouvent des difficultés à trouver des convergences dans le combat contre le libéralisme.
La situation électorale en Inde, avec la montée de partis d’extrême droite et la marginalisation du peuple, est d’autant plus complexe que ce pays est à l’échelle d’un continent. Les principales questions qui se posent pour l’avenir proche touchent à la dialectique micro-macro, quelle articulation trouver pour assurer une meilleure justice, une éducation pour tous, l’emploi, la nourriture ?
Aruna Roy termine son intervention par un vibrant appel au peuple, fortement relayé dans la salle.

Olivio Dutra est ministre des villes du gouvernement brésilien de Lula.
Le parti des travailleurs de l’expérience d’un parti de la gauche de la gauche dans un gouvernement. Ce parti, issu du mouvement populaire, a toujours respecté l’autonomie du mouvement, et cette autonomie est respectée par le gouvernement fédéral. Les expériences de démocratie participative ont ouvert une nouvelle voie, illustrée lors des forums sociaux de Porto Alegre.
Le gouvernement brésilien a du faire face à des défis importants : le logement, les transports, l’éducation de base. Pour affronter ces défis, la démocratie brésilienne est fondée sur la diversité, le parti des travailleurs ne gouverne pas seul, mais il fait partie d’une coalition qui va de la gauche au centre. Une nouvelle forme de démocratie se met en place, qui respecte le mouvement, les libertés : équilibre entre démocratie représentative et démocratie participative, élaboration d’un nouveau pacte social, mise en place de relations entre les municipalités et les entreprises, résolution des conflits.
Au niveau international un élément incontournable, pour le Brésil, est la renégociation de la dette. Au niveau intérieur un processus de dialogue entre l’état et les communes met en place des plans de développement social, économique, fiscal, dans un souci de dialogue avec la société civile.
Olivio Dutra conclut son intervention par une évocation qui rappelle un slogan devenu célèbre : " ce n’est qu’un début… ".