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DEUX CRITIQUES DE LA "SOCIETE DE MARCHE"

2 janvier 2008, 21:57

LES LIMITES DE L’ADAPTABILITE DU CAPITALISME ou LE MYTHE D’UNE POSSIBLE REGULATION

Les trois caractéristiques du présent capitalisme relevées par Stéphanie TREILLET sont à l’arrière plan d’une compréhension de la puissante dynamique d’emprise de marchandise sur le monde. Il n’est donc pas inutile de les avoir à l’esprit notamment s’il s’agit de donner un contenu à un programme de démarchandisation du monde.

Stéphanie TREILLET est maitre de conférence en économie et membre du Conseil scientifique d’ATTAC

Christian DELARUE

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LES TROIS CARACTERISTIQUES DU CAPITALISME MONDIALISE

Le capitalisme mondialisé tend vers l’extension maximale des RPC et de l’emprise de la marchandise. Cela confère à cette étape du capitalisme trois caractéristiques interdépendantes.

1 Un capitalisme à sa rationalité maximale.

Le capitalisme de la mondialisation libérale, avec ses caractéristiques récurrentes depuis vingt-cinq ans - instabilité de la croissance (parfois durablement faible), crises financières à répétition, chômage et sous-emploi de masse persistants, augmentation des inégalités, retour à des phénomènes d’anomie sociale et politique divers – présente-t-il une forme d’irrationalité qui le ferait dévier de la rationalité capitaliste bien comprise : maximisation des profits, stabilité du cadre institutionnel propres à garantir ceux-ci ?

Au niveau micro-économique, le fait que des entreprises, organismes centraux du mode de production, aient le comportement en apparence absurde de licencier, de sous–investir alors qu’elles dégagent des profits considérables, peut sembler aller dans le ce sens ;

Au niveau macro-économique, la coexistence, durable et inédite dans l’histoire du capitalisme, entre des taux de profits très élevés et des taux d’accumulation faibles dans les pays industrialisés, semble indiquer que la contradiction entre extraction et réalisation de la plus-value est non résolue, et que les bases d’une reproduction élargie du capital sont rien moins que garanties à terme.

La version social- libéral de cette idée étant que le capitalisme « perd la tête » ou « est en train de s’autodétruire », constat qui témoignerait d’une certaine lucidité de la part des penseurs de la bourgeoisie la moins aveuglée par les profits à court terme. Les arguments sont donc présents pour que l’irrationalité sociale débouche sur une irrationalité économique, inscrite au coeur même des conditions de la reproduction du capital, renforcée dans cet effet par une irrationalité écologique.

A l’opposé, on peut considérer au contraire que le capitalisme de l’ère de la mondialisation libérale « ressemble de plus en plus à son concept », selon l’expression de Michel Husson (2004 a) : on n’a pas affaire à une capitalisme dysfonctionnel ou irrationnel, mais au contraire à un système qui, sur la base d’un rapport de force plus favorable au capital qu’il ne l’a jamais été, tend de plus ne plus à restaurer les modes de fonctionnement que les conquêtes du mouvement ouvrier ont un temps entravé : existence d’un salaire socialisé, de services publics, d’un droit du travail, etc. pour ne laisser à l’oeuvre, plus que jamais que « la froide logique du paiement au comptant ».

2 Un capitalisme irréformable et non-régulable.

Les implications de ces deux approches, en termes d’alternatives, relèvent de deux logiques différentes : dans la première approche des mesures – institutionnelles, de politique économique, - doivent permettre de remédier aux dysfonctionnement et ramener le fonctionnement du système dans une optique de long terme où ses pires soubresauts disparaîtraient, et où accumulation et reproduction seraient réconciliées ; à noter que cette conception peut également être celle d’un certain radicalisme révolutionnaire qui considère qu’il existe une barrière étanche entre antilibéralisme et anticapitalisme, et que la plupart des ces luttes antilibérales ne font que rechercher une meilleure régulation de la mondialisation capitaliste, un compromis entre travail et capital analogue au supposé « compromis fordiste » des « Trente Glorieuses ». Dans la deuxième approche, au contraire, toutes les revendications et les luttes antilibérales sont potentiellement porteuses d’une dynamique anticapitaliste : l’espace n’existe quasiment plus pour des politiques de type réformiste, keynésien, que le capitalisme de la phase précédente (dit « fordiste ») aurait pu intégrer provisoirement dans sa rationalité. Toutes les mesures visant à entraver tant soit peu cette toute puissance du capital – et même les mesures en apparence les plus « réformistes » ou « keynésiennes » - apparaissent comme une remise en cause du système et de la domination absolue de la logique de profit : augmentation des salaires, réduction du temps de travail, limitation de la précarité ou du droit divin du patronat à licencier etc. C’est vrai aussi au niveau international : il suffit de considérer la levée de bouclier contre une mesure aussi peu révolutionnaire en apparence que la taxe Tobin, l’impossibilité avérée de la moindre amélioration du fonctionnement de l’OMC, incompatible avec ses principes mêmes, etc. La remise en cause de la loi du profit et de la généralisation de la régulation marchande peut aboutir par elle-même, sinon toujours, à la remise en cause consciente, du moins à des incursions significatives dans la propriété privée des moyens de production, à condition que certaines perspectives stratégiques soient éclaircies.

3 Un capitalisme plus que jamais contradictoire

Cet caractère totalisant du capitalisme ne veut pas dire absence de contradictions : celles-ci sont plus à l’œuvre que jamais, parce que la rationalité du capitalisme est-elle même contradictoire, et que plus le capitalisme se rapproche de son épure, plus il creuse ses contradictions. Ainsi, on peut voir se dessiner la contradiction existentielle du capitalisme à l’ère de l’impérialisme analysée par Rosa Luxemburg : saper à terme toutes les bases de sa reproduction en anéantissant et en englobant tout ce qui lui reste extérieur, aussi bien dans son extension géographique contemporaine (la Chine) que sectorielle (marchandisation du vivant, de tous les services et potentiellement de toutes les sphères de l’activité humaine).

Ainsi également il est de plus en plus difficile au capitalisme de contenir toutes les potentialités de son propre dépassement liées aux évolutions technologiques et aux processus de socialisation du travail.

Plus que jamais les lignes de fracture mais aussi les bases d’une société non capitaliste sont à l’œuvre, en germe dans la société d’aujourd’hui par différents mécanismes de remise ne cause de l’espace de la marchandise (extension de l’espace de la gratuité (Husson 2004 b) socialisation du salaire (Friot, 1998, 1999), développement des potentialités de la coopération et du travail social). Ce sont les raisons pour lesquelles, comme l’a analysé B. Friot, il est faux de parler « compromis fordiste » qui aurait été fonctionnel par rapport au capitalisme : on voit plus que jamais aujourd’hui la potentialité anticapitaliste de la socialisation du salaire attaquée de toutes parts par les politiques de contre-réforme conservatrice.