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Demain, je n’irais pas travailler…

Publie le vendredi 26 mars 2010 par Open-Publishing
7 commentaires

de Michel MENGNEAU

A quatorze ans on m’avait orienté, toi t’es plus doué en math qu’en français, alors sans hésitation on m’avait mis en technique, pourquoi pas m’étais-je dit ? Du moins je ne sais même pas si je m’étais réellement posé la question ! La mise en condition ayant déjà fait son effet il me paraissait évident que c’était dans cette direction que s’ouvrait pour moi un avenir professionnel. J’eus été un peu plus intéressé pas les langues, il est probable que l’on m’aurait conseillé fortement l’enseignement ou une carrière dans cet environnement. Connaissait-on réellement mes aptitudes profondes, ça moins que sûr, peu importe, l’obsession était : tu auras un métier, mon fils !

Pris dans les mailles du filet j’étais -pour ne pas être celui qui aurait fait de sa vie un fil ininterrompu de recherches de sensations nouvelles en faisant fi du slogan conscient ou inconscient : « Travail, famille, patrie »- celui qui ne diverge pas et qui établit son plan de carrière comme l’impondérable d’une progression sociale reconnue et admirée. Celui dont on dira : « T’as vu l’exemple… une belle bagnole, une belle baraque, une belle femme, une belle maîtresse, et de beaux enfants ! », tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Le tableau peut paraître idyllique, d’autant que ce genre de citoyen ne fait pas de vague dans une société que l’on veut uniformiser…

Pourquoi s’en ferait-il d’ailleurs ? Cette société lui a tout donné, allant du réfrigérateur à l’écran plat dont ses enfants se servent sans discernement pour s’abreuver de jeux vidéo guerriers et mortifères, allant de sa bagnole, qui est la représentation individualiste du monde dans lequel on l’a plongé pour éviter qu’il s’aperçoive qu’il en est l’esclave, allant à la super baraque appartenant à la banque machin, le bonheur quoi !

Que demander de plus ! Pourtant, on prend une maitresse parce que l’on s’ennuie un peu et que ça fait bien sur la carte de visite, ce n’est pas que la vie paraisse réellement monotone mais toutefois un tantinet routinière ; et puis il faut bien se déstresser ; le travail est tellement pénible avec des demandes rendements des plus exigeantes, avec aussi un petit chef, caricature d’adjudant de service, qui impose une sorte dictature de tous les jours pour que son service soit le meilleur ; mais au fait, quel travail fait-on ?

Eh bé oui, le nez enfoncé dans le clavier on a complètement oublié pourquoi on était là, pour quel plaisir… si on sait, c’est pour payer les traites de fin de mois que l’on fait quelques heures sup. Et oui, la bagnole, elle ne roule pas toute seule, et le crédit révolving, il faut bien l’alimenter sinon on va nous piquer la baraque ! Pas question de perdre une heure, le budget est tellement serré si on veut tout acheter, alors la grève n’en parlons pas. Et au bout de tout ça, le spectre du chômage…

La voilà la réalité du plan de carrière auquel on rêvait à vingt ans, c’est simplement avancer dans la vie pour se créer des besoins, encore plus de besoins, car c’est vrai que la maison n’a pas de encore de piscine que l’on utilisera pourtant que cinq fois et demi dans l’année, mais les voisins en ont une, eux !, c’est aussi vrai que la bagnole a déjà 38 000 kilomètres et que le nouveau modèle que la pub télé passe en continu est bien tentante, et la roue tourne, mais qu’est-ce qu’on s’emmerde, et pourtant on sert les fesses pour conserver son emploi….

Lassitude, stress et finalement dégoût sont les maladies du travail les plus courantes. Pourtant il est la centralité de la vie. Deux heures de route harassante dans les embouteillages, ou en métro, ou en TER bondé pour aller rejoindre un chefaillon qui va mettre la pression d’entrée parce que l’on a deux minutes cinquante trois de retard. Et à midi, en poussant le plateau au « self » de l’entreprise, on parle des turpitudes du garde chiourme de la rentabilité ou du futur match PSG/ OM -ce qui guère plus réjouissant quand on pense qu’on pourrait se faire casser la gueule dans les tribunes par des excités qui viennent là pour se défouler. Le boulot est tellement la centralité de l’existence que l’on on a même dragué sa maitresse parmi les collègues du bureau d’à côté. Et puis le soir, épuisé, rompu de fatigue, on vire les mômes du canapé d’où ils sont en train d’assassiner un ennemi virtuel pour cliquer sur une « staracon » que l’on absorbe sans discernement, la société moderne en somme, tout un programme en elle-même puisque l’on va même jusqu’à jouer au tennis avec le copain de bureau quand ce n’est pas en vacance que l’on part avec lui…

Et quel programme, la déshumanisation de l’individu, l’individualisme à outrance engendré par un système qui veut uniformiser et esclavager les individus autour d’une seule alternative : le travail….

Mais dans quel but ? C’est pourtant simple à comprendre… Cependant, le conditionnement, le formatage, la notion de consentement ont construit une nouvelle race d’individu qui ne peut se démarquer physiquement et moralement du système capitaliste, qui, en prime, le contraint encore plus par la consommation ; consommation à tout crin qui est la finalité du système permettant par ce principe une croissance qui créera des richesses qui feront « re-consommer » pour créer à nouveau des richesses et ainsi de suite…. jusqu’à ce que l’actionnaire s’en ai mis plein les poches ! C’est le seul gagnant.

Le travailleur a aussi des poches, mais sous les yeux trahissant son épuisement et l’angoisse des emprunts à rembourser, et la planète se désagrège de par la suractivité de celui qui a malgré lui les poches sous les yeux. Suractivité dont en réalité il n’est pas le premier responsable car elle est essentiellement voulue pour augmenter la rentabilité du capital.

Pourtant parfois il entend des voix discordantes qui crient : « Halte-là ! ». Des voix qui essaient d’expliquer que la terre est un produit fini, que ses ressources sont limitées, et qu’un jour en dépit d’avancées technologiques parfois utiles il faudra consommer moins, du moins consommer pour l’usage, certains superflus étant des mésusages dévastateurs. Et que pour cela, la première évidence serait de sortir du capitalisme pour redonner une part plus locale à l’économie, en somme un partage de proximité dans lequel le travail retrouverait par exemple la notion de monnaie d’échange et non plus la centralité incontournable de l’existence.

Moi, je sais faire ça, toi tu sais faire ça, comme j’ai besoin de ce que tu sais faire alors échangeons. Par conséquence, cela nous conduit à concevoir des banques coopératives et locales, non spéculatives et qui seraient les aides des activités particulières à la spécificité d’un secteur. On peut ainsi énumérer nombre d’autres solutions à la reconstruction d’une société basée sur plus de liens et à l’évidence moins de biens. On pourrait même imaginer que l’usage nous sortirait du mésusage et par la même occasion d’un écart beaucoup, mais beaucoup trop important dans la disparité des revenus ce qui permettrait de mettre en place -avec la répartition des richesses et la disparition des revenus spéculatifs du capital- une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (DIA*)en concomitance à une prépondérance vers la gratuité de l’usage.

C’est une autre façon de voir notre société qui pour l’instant semble à certains utopique, mais de toute façon, un jour il faudra nécessairement qu’on la conçoive autrement qu’elle n’est actuellement car, autrement, on finira par détruire totalement son naturel et robotiser l’individu…

Alors pourquoi ne commencerait-on pas demain ? Demain, je n’irais donc pas au travail…

*DIA http://actu.adoc-france.org/.../vers-la-dotation-inconditionnelle-dautonomie/

http://le-ragondin-furieux.blog4.ever.com

Messages

  • Moi non plus Michel , demain je n’irai pas travailler...
    RÉVOLUTION SOCIALE ET LIBERTAIRE

    • Non, j’irai(s) à l’école pour apprendre la différence entre le futur et le conditionnel.

    • Je ne crois, ni en dieu, ni en la syntaxe ; c’est Nietzsche qui a proclamé cela. J’aime bien Nietzsche pour son incroyance, dans tout les sens du terme ; mais dans le cas qui nous intéresse, c’est l’emploi du conditionel qui semble poser problème. Et bien oui, c’est volontaire, est-ce une interrogation, voire un fait à venir doublé d’une incertitude, est-ce la condition pour que demain soit différent... Peut-étre, j’aimerai tant que ce soit le futur, mais dans quelles conditions ? C’est la question...

      Donc, effectivement, le retour a l’école est peut-être nécessaire, nécessaire pour décoloniser l’esprit du nombre de concepts prêt à l’emploi, sortons des formalismes intellectuels, ce n’est que comme cela que ce monde avancera !

  • Dans les théories marxistes, il existe une fin, après la crise finale liée à la « baisse tendancielle de la plus-value » et qui doit déboucher sur un monde post-capitaliste, mais qui resta longtemps dominé par le productivisme….

    Une autre caractéristique de l’économie politique classique, c’est la vision globale à l’échelle d’une Nation qu’elle essaye d’introduire. La richesse n’est plus considérée du point de vue du souverain, soit qu’il aurait eu une importante population (« il n’est de richesse que d’homme » de J. Bodin au 15ème siècle) soit qu’il aurait thésaurisé beaucoup de métaux précieux.

    Est-ce que la relocalisation n’est pas une tentative d’introduire une autre façon d’analyser l’économie, en partant du local, en essayant d’interconnecter toutes les entreprises locales à partir de la satisfaction des besoins des populations locales, au lieu de partir de la loi du marché ?

    C’est un extrait des critiques sur la relocalisation, dans lesquels il y a aussi un passage sur la centralité du travail que j’ai abordé ici sommairement.

    Par contre, il n’y a pas de contre indication au marxisme si lors de la rupture avec le capitalisme il abandonne la notion de productivité, c’est la-dessus qu’il y a probablement un long travail de réflexion à faire. De toute façon, la productivité même contrôlée parait, aussi, difficilement compatible avec une écologie réflexive.

    C’est pourquoi, toute forme et recherche écologique qui ne romprait pas avec le productivisme seraient vouées à l’échec à plus ou moins long termes...

    Quant à la relocalisation, si elle peut sembler une forme économique différente, elle ne le sera plus si justement on la dirige vers des échanges qui pourraient par exemple créer une monnaie momentanée et non spéculative (comme celle d’André Gorz), ce ne serait alors qu’un concept sociétal sorti du cadre économique tel qu’étymologiquement on pourrait l’entendre.

  • Ben moi c’est aujourd’hui que je ne travaille pas !

    Pierre, webmestre de Petite annonce gratuite

  • Petite rectification "jusqu’à ce que" les actionnaires... non, sans cesse ! serait plus juste. L’actionnaire n’en a jamais assez. La grande différence entre la minorité d’hyper privilégiés et vous, enfin ceux qui bossent comme des ânes en croyant finalement servir quelque chose (de moins en moins se bercent d’ailleurs d’illusion à ce sujet....) ne servent en réalité qu’à occuper des espaces saturés pour que d’autres jouissent des espaces vides mis par la naissance, à leur disposition... Ces lieux de beauté "nous" en profitons à plein. Pendant que vous perdez votre temps à accomplir des tâches aussi ingrates qu’inutiles, "nous" sommes maîtres du nôtre. La grande différences est là finalement !! Le temps à soi, le temps pour soi. Il faut bien occuper toute cette masse servile qui ne saurait de toute manière pas quoi faire d’autre si elle disposait un jour du sien. Tout a été organisé à dessein. La grande culture (oui, j’ose le mot !) pour les nantis, la pseudo culture et le divertissement imbécile pour la masse ! Cette dernière se retrouve comme perdue dès lors qu’elle n’a pas eu sa dose de crétinerie télévisuelle quotidienne. Pour elle, la culture se résume à cela !... En-dehors, c’est l’ennui, alors vite un travail pour occuper le temps, l’espace vide du quotidien... Pendant ce temps, nous jouissons de ne pas vous croiser à longueur de temps, nos espaces ne sont pas les vôtres, notre temps non plus. "Nous" avons des siècles d’avance sur vous... Du haut de l’Olympe capitalisme, c’est un peu le discours qu’ils tiendraient... Le mépris étant finalement moins fort que l’indifférence...