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Vidéo-protection : un mythe pour pallier une triste réalité

Publie le dimanche 18 avril 2010 par Open-Publishing

La France connaît, il serait malhonnête de le contester, une dégradation notable de la qualité du « vivre ensemble ». La classe politique préfèrera réduire le problème au seul aspect « délinquance » ; faisant fi par là même de l’individualisation des rapports entre citoyens au travail comme dans la sphère privée, de la justification et l’acceptation de la privatisation de certains services publics… Ce terme délinquance, martelé par la presse, est désormais systématiquement utilisé pour désigner de manière restrictive « la délinquance de rue ». Et ce sens dérivé finit par être adopté par tous, insidieusement, comme le nouveau sens de ce vocable. Cela conduit à occulter les problèmes de couple et notamment les violences conjugales, les problèmes de voisinage, la consommation de drogues dans les soirées de la haute société, la délinquance financière en col blanc et autres abus de biens sociaux par des dirigeants politiques, les évasions fiscales, l’embauche de personnels clandestins dans les meilleurs restaurants parisiens que fréquentent nos dirigeants…

Faisons l’effort intellectuel de réduire notre pensée au cadre que nous impose la sémantique électoraliste et étudions une des solutions proposées au problème de la délinquance … de rue : la vidéo-surveillance.
Une solution humaniste, solidaire, à long terme donc courageuse serait que l’État concentre la plus grande partie de son effort à établir les conditions économiques et sociales adaptées à ce que chacun trouve sa place dans le respect de ses concitoyens. Il s’attaquerait ainsi aux causes plutôt qu’aux conséquences. Il faudrait notamment travailler plus fortement à reconnaître à chacun(e) sa place dans la République quels que soient son origine, sa couleur ou son engagement politique, limiter l’affirmation de soi par la possession ou encore créer les conditions d’une économie cherchant à conjuguer la compétitivité des entreprises avec la qualité des conditions de travail et de rémunération des employés et des artisans (permettant en même temps de revaloriser la valeur travail par des actes, enfin !, plutôt qu’uniquement par les discours).
En s’attaquant à sa rentabilité capitalistique, la délinquance … de rue perdrait l’attrait principal qui peut justifier d’en faire une carrière. Quel que soit le système, on trouvera toujours des éléments marginaux mais la présence policière ne serait alors que plus efficace et dissuasive. Le chemin emprunté ces dernières années est contre-productif et semble favoriser ce qu’il combat par « court-termisme ».

La solution présidentielle, sonnant comme un aveu d’échec de cinq ans d’exercice au ministère de l’intérieur et de traitement de la délinquance … de rue par la répression policière, passe par le développement à l’anglaise de la vidéo-surveillance (nous évaluerons le fichage génétique ultérieurement) avec la mise en place dès le 15 mai 2007 d’une « Commission nationale de la vidéo-surveillance ». Il sera intéressant d’étudier ce site et de prendre connaissance de son contenu, notamment la page d’accueil, la déclaration d’intention de M. Melchior, président du comité de pilotage stratégique de la « vidéo protection » ainsi que de la synthèse du rapport sur l’efficacité de la vidéo-protection.

Premier exercice : Décoder le « novlangue »

S’il faut en croire M. Melchior, « nous passons de la vidéo-surveillance à la vidéo-protection ». Ce glissement sémantique n’est certainement pas innocent. Même si l’auteur de ce texte est convaincu que l’application pratique d’une technique restée identique puisse gagner en efficacité au bout de dix ans sans raison apparente (les biens et les personnes ne seraient plus seulement surveillés mais protégés), il existe un autre axe d’interprétation que nous allons prendre la peine de parcourir : renommer ce qui est connoté négativement.

Car s’il devait être malhonnête de ne pas reconnaître la dégradation de la qualité du « vivre-ensemble », il le serait tout autant de contester les dérives que favoriserait la vidéo-surveillance quant aux libertés publiques de tous les honnêtes citoyens. Et ce surtout pour un parti prônant le traitement de la délinquance … de rue par la seule répression. Ainsi, plutôt que de réaliser un véritable travail de contrôle et d’encadrement législatif fort de la technique de vidéo-surveillance pour lui donner une véritable légitimité répondant à une demande citoyenne, on change le nom afin de rajouter artificiellement, par un effet de manche et de communication, une qualité indiscutable. Qui refuserait d’être protégé ? Mais surtout : qui préfèrerait être surveillé plutôt que protégé ?

La technique de vidéo-surveillance reste essentiellement passive et n’a profité récemment d’aucun développement flagrant : un vol ou une agression se déroule pour la victime de la même manière dans une zone équipée de caméra ou non. Et ce de l’aveu même durapport sur l’efficacité de la vidéo-protection de 2005, « l’effet « plumeau », c’est-à-dire un déplacement de la délinquance des zones sous vidéo-protection vers les zones non couvertes ne semble pas avéré ». En revanche le taux d’élucidation des agressions de la délinquance … de rue augmenterait, mais ce travail d’enquête n’est pas un travail de protection, puisque l’agression s’est déjà déroulée. Sauf à redéfinir un autre terme : « protection ».

Le slogan présente lui aussi un vif intérêt. « Vidéo-protection : la sécurité au service de la liberté »

On y trouve un couple « sécurité » – « vidéo-protection ». « Sécurité » est un terme cher à M. Sarkozy, le président de notre République et « vidéo-protection » est celui dont nous venons d’étudier le caractère formaté. Ce couple introduit l’élément « liberté » (du citoyen honnête qui n’a rien à se reprocher) dont on peut douter qu’il survive à un maillage dense. En effet le même rapport sur l’efficacité de la vidéo-protection, relève que « le taux d’élucidation global ne progresse significativement que dans les villes où une forte densité de caméras a été installée ».

En revenant aux sources sémantiques du terme « vidéo-protection » ( « vidéo-protection » est une construction formatée issue de « vidéo-surveillance » qui n’est elle même qu’une technique de « surveillance » ) et en retirant le terme « sécurité » qui n’apparaît ici que comme fil conducteur du discours présidentiel permanent, on aboutit à une version épurée et fort intéressante de ce slogan : « la surveillance c’est la liberté ». Et pourquoi pas « l’ignorance c’est la force » ou « la guerre c’est la paix » ?! Fais ton choix, citoyen(ne) !

Deuxième exercice : Explication de texte et contradiction

Étudier un texte c’est s’intéresser au fond comme à la forme, cependant nous ne ferons que relever la difficile maîtrise de la ponctuation dont nous sommes gratifiés dans la déclaration d’intention de M. Melchior.

M. Melchior qui, se passant d’ailleurs de titre, d’entête comme d’introduction, commence son texte par un tonitruant « Depuis une dizaine d’années, la vidéo-surveillance a fait ses preuves ». On appréciera la rigueur de la datation (pour mémoire « le décret [date] du 17 octobre 1996″ (1) ) mais surtout, et sans rire, le caractère péremptoire de cette affirmation. Pour connaître la véritable efficacité de la vidéo-surveillance, il nous faut traverser la Manche et rejoindre le pays le plus télé-surveillé d’Europe, le Royaume-Uni, dont M. Sarkozy a fait son modèle sur ce thème ainsi que pour le fichage génétique de la population (2 millions de personnes fichées en 2003 au Royaume-Uni). Si l’on en croit l’expérience de Scotland Yard dans ce domaine et la voix du chef du bureau des images visuelles, des identifications et des détections (en anglais, viido) le taux d’élucidation des vols de rue à Londres s’élève, grâce à la vidéo-surveillance, à 3% ! ( « Only 3% of street robberies in London were solved using CCTV images » ). Combien de milliards de Livres ont été dépensés pour ces 3 malheureux pour-cent ? Combien de milliards d’Euros vont-ils être dépensés pour atteindre ces faramineux 3% qui assureront soi-disant notre « protection » ?
D’ailleurs, de telles statistiques ne sont tout simplement pas évoquées sur la page d’accueil du site et ne sont jamais chiffrées dans la synthèse du rapport sur l’efficacité de la vidéo-protection. Si elles avaient été favorables, elles auraient été mises en valeur plutôt deux fois qu’une. Cette absence signe un vide d’information loyale qui est comblé par la mise en avant d’un unique fait-divers élucidé grâce à la « vidéo-protection » et censé justifier à lui seul des milliards d’Euros de dépenses. Remarquons à nouveau que l’objectif de protection a échoué car le délit, bien qu’élucidé, a bel et bien eu lieu. ( « Un jeune homme ayant braqué une pharmacie à Arcs-sur-Argens dans le Var, a été identifié par le gendarme chargé de visualiser les images de vidéo-protection » )

Troisième exercice : voir plus loin en revenant aux sources

La vidéo-protection montrant ses limites et son caractère « vendeur », elle se disqualifie elle-même pour justifier sa mise en place. Reste la vidéo-surveillance sans fard, avec ses points positifs mais aussi ses points négatifs :

 surveillance de tous et perte de vie privée, même pour les honnêtes citoyens ;

 entretien du sentiment de siège et de menace permanente, la rue n’est plus un espace public mais un lieu a priori dangereux.
Sur le même modèle de la dégradation des conditions de travail liée, entre autres, à une gestion personnalisée des plans de carrière, se rajoute un effet d’individualisation par la peur. On rejoint ici la politique visant à diviser pour mieux régner, consistant à isoler les personnes pour qu’ainsi affaiblies elles ne s’associent pas dans une quelconque action engagée. Car les gouvernements et leurs alliés industriels ont plus que tout peur de l’organisation des citoyens, telles les luttes ouvrières en leur temps.

La réalité c’est aussi le coût faramineux. M. Sarkozy demandait en 2007 l’implantation de 1 million de caméras de vidéo-surveillance autorisées d’ici 2009 (2), sachant que le projet commandé par la ville de Vannes pour 27 caméras est de presque 1 million d’Euros ! (3) Pour un projet dont le Figaro titra sur l’inefficacité au niveau national. (4)

Conclusion :

Pourquoi une démocratie qui se voudrait humaniste et solidaire choisirait une solution qui n’est ni efficace ni économiquement viable pour résoudre l’objectif affiché officiellement : réduire la délinquance … de rue. Si le chef de l’État était l’acteur pragmatique qu’il prétend être, cherchant à assurer sécurité ET liberté ET rentabilité, celui-ci devrait naturellement prendre la décision de stopper ce projet dont on a pu voir qu’il n’atteignait aucun de ces objectifs. Sinon il se disqualifie lui même de « pragmatique » : qui est capable de reconnaître qu’il faut abandonner une technique inefficace à atteindre les objectifs fixés. Alors pourquoi poursuivre dans ce sens ? Une explication serait que tout cela n’est que discours voué à endormir la critique et à cacher d’autres objectifs plus importants, moins avouables mais effectivement atteints et justifiant de poursuivre la mise en place de la vidéo-surveillance.

Nous sommes loin d’un état dictatorial, mais il faut constater que ce système permettrait avant tout de mieux réprimer les mouvements de contestation populaires. En attendant, ces milliards d’Euros de nos impôts iront de notre poche à celle de quelques lobbyistes, pour assurer la répression de nos propres mécontentements. Et ce par choix idéologique, en contradiction totale avec le pragmatisme affiché.

Auteur : lottà

http://www.sentinelles-de-la-republique.com/video-protection-un-mythe-pour-pallier-une-triste-realite/

Références :

(1) http://www.ume.asso.fr/IMG/doc/Videosurveillance.doc

(2) http://pmv4.premier-ministre.gouv.fr/pm_article.php3?id_article=57751

(3) http://www.entreprise-transparence.com/transparence-actualites/videosurveillance-a-vannes-les-27-sites-dimplantation-de-cameras-devoiles/

(4) http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/08/21/01016-20090821ARTFIG00361-videosurveillance-le-rapport-qui-prouve-son-efficacite-.php

http://www.videoprotection.interieur.gouv.fr/

http://www.videoprotection.interieur.gouv.fr/admcontent/downloadMainDocuments/id/1

http://www.guardian.co.uk/uk/2008/may/06/ukcrime1

http://souriez.info/Villes-sous-videosurveillance