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Violences urbaines, des émeutes qui bousculent la lutte des classes "à l’ancienne"

Publie le vendredi 23 avril 2010 par Open-Publishing
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de Paco

Avec Une violence éminemment contemporaine, Jean-Pierre Garnier, chercheur et enseignant en sociologie urbaine, nous livre une série d’essais corrosifs sur la gestion politique des villes. Un ouvrage indispensable pour ne plus avaler les salades que les politiciens et leurs valets médiatiques nous servent dès qu’une « émeute » survient.

Jean-Pierre Garnier est l’auteur de plusieurs livres sur la politique urbaine (Des barbares dans la cité/Flammarion, Le Nouvel Ordre local/L’Harmattan, et, avec Louis Janover, L’involution politico-idéologique de l’intelligentsia de gauche française/Spengler). Avec son dernier ouvrage, il propose une synthèse de quarante années d’études sur les réalités urbaines et les discours dominants. On trouve ainsi des textes parus dans des revues françaises, espagnole et brésilienne (Repères, Utopie critique, Espaces et sociétés…) ainsi que dans Le Monde libertaire.

En introduction, Jean-Pierre Garnier dénonce le processus d’urbanisation qui devient la règle sur la planète. « Longtemps associé à la civilisation des mœurs, on découvre maintenant qu’il peut donner lieu à des formes inédites de sauvagerie pour ne pas dire de barbarie : accentuation de la ségrégation sociale allant jusqu’à un apartheid résidentiel de fait, multiplication des violences dites urbaines, obsession sécuritaire et omniprésence des dispositifs de contrôle des « populations à risques », destruction du patrimoine urbanistique, architectural et naturel, atrophie de la vie sociale consécutive à la disparition des lieux de rencontres, etc. »

Cher au philosophe et sociologue Henri Lefebvre, le « droit à la ville » est devenu aujourd’hui la jouissance exclusive des classes possédantes et des élites. Moins marqués qu’en Asie, en Afrique ou en Amérique du Sud, les clivages sociaux (la fameuse « fracture ») sont néanmoins criants en France. Ici comme partout, la voracité des dominants est sans bornes. Les classes populaires, ouvriers, employés et chômeurs, sont expulsées des lieux convoités par les vautours. « Dans les maisons individuelles ouvrières réaménagées et les locaux industriels ou artisanaux reconvertis en lofts, une nouvelle population s’est établie avec le soutien d’élus locaux soucieux d’améliorer l’image de leur commune. « Rénovation » et « réhabilitation » se conjuguent alors pour repousser encore plus loin, dans le péri-urbain voire en zone rurale, l’habitat populaire qui, contrairement à ce que laisse entendre le battage médiatique sur les « violences urbaines », ne saurait être identifié aux seuls logements sociaux regroupés en « cité ». »

En clair, quand un quartier devient « branché » après un « renouvellement urbain », cela signifie qu’une catégorie d’habitants en a été chassée. Cela s’appelle la gentrification (du mot « gentry » qui désignait la petite noblesse anglaise). Nos petits bourgeois new-look ne vivent certes pas comme les bourgeois traditionnels. Ils consomment et se cultivent « autrement », mais toujours haut de gamme. Bobos et super-bobos libéraux-libertaires, de droite comme de « gauche », baignent dans le capitalisme comme des poissons dans l’eau. Ce qui nous conduit assez loin de la bohême d’autrefois. Signe des temps, en décalage avec leurs ancêtres, ils se PACSent, sont pour le développement durable et prennent la défense des minorités sexuelles ou ethniques… Voilà ce que nous apprennent les beaux magazines. Ce que l’on dit moins, c’est que cette politique de nettoyage social, dans laquelle est notamment moulé le projet du Grand Paris, est une véritable bombe à retardement. Expulsés des villes, les prolos et sous-prolétaires vont se replier dans des zones rurales qui échappent à la gentrification. « Faute d’alternative politique leur permettant de s’extraire de leur désastreuse situation, les laissés-pour-compte de la « métropolisation » pourraient bien dans les années qui viennent contribuer à la diffusion de la « violence urbaine » sur l’ensemble du territoire », prévient Jean-Pierre Garnier.

L’analyse des violences, comme celles de 2005 et de 2007, nous instruit sur le bourbier dans lequel patauge intégralement toute la classe politique, extrême gauche comprise. Ce n’est plus un fossé mais un gouffre qui sépare les « casseurs » et la bonne société. Politiciens et médias nous enfument en parlant à chaque fois de violences aveugles, gratuites ou absurdes. Ah ? Attaquer des commissariats, des entreprises installées en zone franche mais qui ne jouent pas le jeu, une trésorerie principale, un bureau de l’ANPE, des écoles qui orientent vers des ghettos sociaux, des bus aux tarifs prohibitifs, des bagnoles de sociétés privatisées, des concessionnaires de voitures hors de prix…, ce n’est ni aveugle ni gratuit ni totalement absurde ! Reste la question de la sempiternelle voiture des malheureux voisins brûlée dans la foulée. « Il est hypocrite, pour ne pas parler d’indécence, de s’apitoyer sur le malheur des démunis privés de leur véhicule quand cela fait des années que la misère est orchestrée par les nantis qui ne se soucient guère de la vie gâchée des enfants des quartiers populaires », réplique Jean-Pierre Garnier.

Désolé de casser le rêve naïf du « vivre ensemble ». Cette belle idée est une pure fiction dans une société ultra inégalitaire. Les « sauvageons » ont été enfantés par le système capitaliste, lui-même d’une sauvagerie sans nom. Toutes les violences subies, sociales, économiques, racistes… sont retournées à l’expéditeur. C’est le rendu de monnaie pour des années d’errance entre bahuts dépotoirs, stages bidons ou boulots d’esclave. C’est le prix à payer quand le pouvoir applique la tolérance zéro pour ceux d’en bas et l’impunité zéro pour ceux d’en haut… Avec tous les mauvais coups qui vont encore nous tomber sur la gueule, il n’y a aucune raison de penser que ces colères-là s’apaiseront. « La question n’est pas de savoir pourquoi il y a des gens qui jettent des pierres sur la police, mais de savoir pourquoi… il y en a si peu », disait le psychanalyste Wilhelm Reich (1897-1957).

Sans leaders ni revendications, les « violences des cités » laissent perplexes. Nous sommes loin de la lutte des classes « à l’ancienne », plus facile à contrôler et à neutraliser par la négociation. Les dirigeants de gauche perdent leurs repères face aux scènes de « guerre civile » diffusées en boucle par les médias. Ils paniquent tellement qu’ils pactisent à chaque fois avec la droite sécuritaire au nom de l’ordre républicain. Les BAC sont même parfois promues au rang de « casques bleus » ! Quand la lutte contre « l’insécurité » prend le pas sur la lutte contre les inégalités, c’est le commencement de la fin. « À une vie sans avenir, on ne peut opposer qu’une violence sans limites », assurait un responsable associatif en 2005.

La facture des violences qui ratiboisent jeunes et moins jeunes sera salée un jour ou l’autre. « Il faudra en payer le prix sous la forme d’une violence apparemment « insensée », à la fois imprévisible et incompréhensible, faute de saisir ou d’admettre la logique sociale inédite dont elle est le produit, explique Jean-Pierre Garnier. Une violence que nous nommerons, en attendant mieux, « contemporaine » et que d’autres appellent « post-politique », pour la distinguer d’une « violence historique », ainsi qualifiée parce qu’elle se réfère au sens que toute une tradition, à la fois philosophique et politique, prêtait à l’histoire. »

Jean-Pierre Garnier, Une violence éminemment contemporaine, Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, collection Contre-Feux, éditions Agone, 258 pages. 18€.

La chronique de Jean-Pierre Garnier sur le blog des éditions Agone.

Rencontres avec Jean-Pierre Garnier :
 Samedi 24 avril, à 16h30, à la librairie Publico, 145 rue Amelot, Paris 11ème.
 Jeudi 29 avril, à 19h, à la librairie Le Moniteur Odeon, 7 place de l’Odéon, Paris 6ème.
 La suite de l’agenda.

Jean-Pierre Garnier et les éditions Agone seront présents au salon du livre libertaire qui se tiendra les 8 et 9 mai à l’Espace des Blancs-Manteaux, à Paris.

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