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La Poste et le numérique : de la dématérialisation du service à la filialisation des profits

Publie le vendredi 25 juin 2010 par Open-Publishing
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En Juillet 2009, un article des Échos révélait que le ministère de la culture avait choisi une filiale du Groupe La Poste pour identifier et sanctionner les internautes téléchargeant illégalement des fichiers sur Internet dans le cadre de la loi « Création et Internet ».[1] En février 2010, La Poste annonçait qu’elle avait remporté un appel d’offre pour héberger les données du futur dossier médical personnel (DMP) informatisé qui regroupera sur Internet toutes les informations sur les patients.[2] En mars dernier, La Poste présentait à ses employés dans le magazine Forum (l’organe de communication interne de la direction postale) « Digiposte » un nouveau produit et une nouvelle filiale du groupe :

« 1er janvier 2011. Les enfants sont couchés. Une alerte sur son mobile indique à Florence qu’elle a reçu un nouveau document dans ’Digiposte’ : elle en profite pour y jeter un rapide coup d’œil. Elle entre son mot de passe sur le site de Digiposte. La facture d’eau vient de tomber. Un clic plus tard, cette facture est archivée avec ses autres factures. Retour à l’écran d’accueil : une alerte lui indique qu’il faut régler la facture d’électricité. En quelques clics, c’est fait : le paiement par TIP électronique est parti. Autre courrier arrivé dans cette ’boîte aux lettres’ sécurisée : le dernier bulletin de paye d’Étienne, son mari. Ils vont enfin pouvoir boucler leur dossier de demande de prêt immobilier à La Banque Postale. L’affaire de cinq petites minutes. »[3]

Ce ne sont que quelques exemples de l’expansion numérique du Groupe La Poste, devenue société anonyme en février 2010. A priori, il s’agit d’une simple adaptation, avec un certain retard, à la popularisation des ordinateurs et d’Internet. Les ambitions digitales de La Poste ont cependant une portée bien plus vaste qu’il n’y paraît, très éloignées de l’image pittoresque du facteur à vélo jaune sous la pluie, avec comme feuille de route le plan « 2015 Réinventons le Courrier ». La Poste a créée ou racheté des dizaines de filiales axées sur l’univers digital en investissant des centaines de millions d’euros, bâtissant une nébuleuse économique d’une dimension insoupçonnée. Quelles sont ces structures et que révèlent elles des ambitions de La Poste ? Comment seront utilisés les pouvoirs économiques et politiques qui se constitueront avec ces médias ? La poste est régulièrement critiquée pour ses dérives dans le monde réel (emploi dissimulé, entrave au droit de grève, précarisation, recherche du profit au détriment de la qualité du service rendu, publicités trompeuses à La Banque Postale et commercialisation de données personnelles, entre autres). Comment va-t-elle transposer cette culture d’entreprise peu responsable dans le monde numérique ? Quelle sécurité attendre de telles entités à cheval entre la sphère publique et l’industrie ? Enfin, quelles seront les conséquences sociales de ces produits économiques qui reposent sur une main d’œuvre très réduite dans une entreprise qui emploie actuellement près de 300 000 personnes ?

Une pyramide de filiales

La majorité des structures postales impliquées dans le tandem courrier/technologies de l’information font partie d’une filiale de La Poste nommée Sofipost, qui est elle-même une holding[4] de filiales du Groupe La Poste. Sofipost comprend Doc@post, Mediapost, STP/Viapost et La Poste Global Mail. Doc@post se présente comme une « holding opérationnelle et industrielle composée des filiales du groupe La Poste expertes en gestion du document (Extelia, Dynamiste, Orsid, Seres, Maileva, Aspheria, Certinomis, ISC, Synaxio, Sefas Innovation, Elettermail) et d’une filiale de capital risque, Xange Capital ».[5] Doc@post est donc une holding de filiales au sein d’une holding de filiales, constituant un enchevêtrement en cascade de sociétés qui rend leur lecture difficile.

Au sein de Doc@post, Extelia est sans doute la filiale la plus dynamique en terme d’innovations, mais aussi en terme de concentration d’informations à caractère privé sur les individus et les entreprises. Selon La Poste, Extelia constitue « la branche dédiée à la gestion de back-offices externalisés de la relation client », elle est « née le 1er novembre 2008, de la reprise des activités ’Externalisation des process clients’ du Groupe Experian, par le Groupe La Poste ».[6] Le cœur de métier d’Extelia est le traitement des courriers de gestion pour des grands émetteurs comme EDF ou Carrefour. Cependant, ses activités s’étendent vertigineusement. C’est cette filiale qui va héberger le futur dossier médical personnalisé dans le cadre d’un consortium Santeos SA, Atos Wordline SAS et Extelia SAS. C’est également Extelia qui devait gérer l’application des lois contre le téléchargement illégal. Selon Les Échos, Extelia aurait été chargée de « faire correspondre des adresses Internet (un numéro IP) avec le nom des internautes qui téléchargent illégalement. Une fois les pirates identifiés, c’est Extelia qui leur enverra un premier e-mail d’avertissement puis une lettre recommandée en cas de récidive ». Étonnamment, des fonctions juridiques ont aussi été attribuées à la filiale : Extelia s’occuperait de la « gestion du prononcé des sanctions, du suivi de leur mise en œuvre ou de leur report et de leur fin d’exécution ».[7] Suite à cette annonce, des internautes avaient démontré que le site d’Extelia présentait de nombreuses et sérieuses failles de sécurité qui permettaient d’accéder sans peine à des données personnelles.[8] Depuis cet échec, presque rien n’a été communiqué sur ce projet et il est difficile d’en savoir plus.

Un produit dont Extelia semble en revanche fière est la « solution de vote électronique » avec le site Jevoteenligne.com : « La maîtrise de l’ensemble de la chaîne de confiance des échanges dématérialisés a permis à Extelia, sur un socle réalisé en partenariat avec EADS, de développer une solution de vote par Internet, utilisable pour des votes 100 % internet : Comité d’Entreprise, Délégués du personnel, Scrutins ’hybrides’ utilisant différents médias (internet, correspondance, téléphone) »[9], ses clients comprennent la MSA, la SNCF ou encore la MACIF. Le site internet de la filiale nous apprend par ailleurs qu’« Extelia s’est associée à Sagem Défense Sécurité »[10] dans un travail de numérisation pour la réalisation de la carte vitale 2. Extelia travaille également pour Infogreffe, un service des tribunaux de commerce. L’enjeu, toujours selon le site d’Extelia, étant de « collecter les flux d’informations envoyés par différents donneurs d’ordre (mandataires formalistes, sites de formalités en ligne, CCI, Greffes, chambres de métier) pour les mettre, en ligne, à la disposition de partenaires institutionnels (INSEE, URSSAF, Chambres de métiers, caisses locales d’assurances maladie ou vieillesse) ».[11] La dernière nouveauté, c’est l’application infogreffe pour iPhone développée par Extelia. Extelia traite également une immense masse de données concernant les chômeurs : « depuis 2003 Extelia [il s’agissait alors d’Experian France] gère le traitement des documents employeurs de l’Assurance Chômage pour le compte de l’Unedic (...) : numérisation, intégration dans le système d’information de l’Unedic, possibilité pour les agents des Assedic de consulter les documents via un portail Internet sécurisé... Au total, la prestation représente plus de 6 000 000 de courriers ouverts, 2 500 000 avis de versement, plus de 620 000 bordereaux de Déclaration de Régularisation Annuelle. » Très récemment, Extelia vient encore d’annoncer qu’elle se lançait sur le marche des opérateurs de réseau mobile virtuel, une offre de téléphonie en direction des entreprises.[12]

Ces quelques exemples, pris parmi une myriade d’autres, témoignent du périmètre étourdissant des services d’Extelia. Cette société anonyme a réalisé un chiffre d’affaire de 230 M d’euros en 2008, alors même qu’elle n’employait que 1600 personnes et qu’elle était dans une phase d’investissements. Une telle concentration de données médicales, fiscales, financières, juridiques, sociales et politiques au sein d’une seule petite filiale devrait inciter à la prudence. Qui pourra accéder à ces données et par quels moyens ? Un tel entonnoir d’informations suscitera sans doute la convoitise de la Police et des services de renseignements, mais aussi des entreprises, dans une démarche de prospection commerciale, voire d’espionnage industriel. L’informatisation de la paperasserie présente des intérêts notables, en termes de réduction de la pollution par exemple (90% du courrier, environ, est toujours transporté par camion). Si il y a une légitimité à dématérialiser certains documents, il semble aussi urgent que la collectivité ait un droit de regard sur les entités qui gèrent cette dématérialisation. Par ailleurs, les services vendus par Extelia se situent dans la continuité des prestations de services publiques traditionnels. Il est inquiétant de voir cette filiale, qui pourra être cotée en bourse à tout moment, se positionner principalement dans une démarche commerciale plutôt que dans la continuité du service publique rendu par La Poste, les Impôts ou la Justice.

Si les produits d’Extelia sont essentiellement réservés aux grandes entreprises, d’autres filiales de Doc@post se partagent le marché des particuliers et des PME. C’est le cas de M@ileva, qui propose par exemple l’envoi de lettres et de recommandés par Internet, la filiale se chargeant de l’impression et de la remise des plis dans le réseau postal physique. L’un des produits les mieux connus de M@ileva reste cependant laposte.net. Cette boîte de courrier électronique, lancée en 2000, est révélatrice du comportement de La Poste sur Internet. Au départ dépourvu de réclame, ce site est progressivement devenu un portail de loisirs entremêlant les horoscopes, les astuces shopping et autres infos des mass-médias, le tout encadré par des publicités tapageuses. Plus important, des manquements graves aux règles de conservation des informations confidentielles par laposte.net ont valu à La Poste son premier BigBrother Award.[13] Des failles permettaient d’accéder, entre autres, à des fichiers d’administration du site, lesquels contenaient des milliers de données confidentielles. Ces erreurs ont certes été réparées, néanmoins la connexion par défaut au site n’est toujours pas sécurisée par un protocole https, contrairement aux comptes Gmail de Google, par exemple. D’autre part, les conditions générales d’utilisation du site[14] sont contraires aux principes élémentaires de précaution en matière d’utilisation d’Internet. Votre sexe, nom, prénom, adresse précise et date de naissance figurent parmi les nombreuses rubriques obligatoires à renseigner pour créer une adresse et « vous vous engagez à fournir des informations exactes, complètes et d’actualité » sous peine de voire l’adresse suspendue. Le contenu des e-mails est également réglementé, il est par exemple interdit de « transmettre tout contenu qui incite à la consommation de substances interdites ». La poste rompt ainsi radicalement avec sa tradition du respect du secret de la correspondance, et jète la liberté d’expression aux oubliettes, même si elle n’effectue en pratique aucun contrôle sur ces contenus. Quant au sérieux et à la pérennité de laposte.net, les conditions sont très claires « La Poste n’accorde aucune garantie quelle qu’elle soit, expresse ou implicite, quant à l’utilisation des Services par les Utilisateurs ».

Données personnelles, un marché lucratif

Une des faces les plus méconnues de La Poste reste pourtant son activité de vente de bases de données, qui se fait principalement au travers de la filiale Mediapost, dont le dernier objectif est d’accroitre son CA de 45% en 3 ans[15]. La Poste commercialise des fichier de prospects (des clients potentiels) aux entreprises et aux organismes désirant effectuer des campagnes de publicité ciblée, ce qui s’appelle dans le jargon publicitaire le « Marketing Direct ». Avec le « fichier attitude socio », par exemple, La Poste vend « un fichier de près de 11 millions d’adresses de particuliers ayant réalisé un achat dans les 24 derniers mois. Cette base comportementale constatée sur cinq univers de consommation cible des contacts ayant une sensibilité au paiement en ligne. Vous disposez de critères de sélection très variés classés selon les thèmes suivants : Socio-démographiques (niveau de revenu, type de quartiers…), population (âge, nombre d’enfants par foyer…), comportement d’achat (achat en ligne, commande par courrier…), univers d’achat (loisirs, habillement, santé/ hygiène/ beauté…). »[16] L’origine de ces données est également révélatrice : « Pour ’coller’ parfaitement à la réalité du terrain, MEDIAPOST fait appel à des sources d’informations diverses telles que l’INSEE, la Direction Générale des Impôts, la SOFRES, le Fichier Central des Automobiles... ou encore des mégabases comme celle d’ACXIOM - Pitney Bowes Software. »[17] Ceci démontre la nature ambigüe de La Poste dans l’environnement industriel français. D’un coté elle est un allié de l’État (La Poste est par exemple tenue de communiquer les changements d’adresse aux impôts), de l’autre, elle collabore étroitement avec les entreprises privées pour commercialiser des informations difficiles d’obtention. Enfin, pour couronner son cynisme, La Poste se sert de son fichier ressource humaines (celui du bulletin de paye de tous les postiers) pour envoyer régulièrement des publicités à ses propres employés. Ainsi, les postiers ont reçu dernièrement avec le magazine Forum une réclame pour un modèle réduit de Jeep militaire, un pamphlet promotionnel pour de la gelée royale bio et des berlingots au sel de Guérande et même un DVD sur le football.

Digiposte, la toute nouvelle filiale mentionnée en introduction, devrait allier les intérêts et les activités à la fois de Doc@post et de Médiapost. Cette nouvelle filiale de la branche courrier entend proposer un « coffre fort numérique (...) qui permettra aux particuliers et aux professionnels qui le souhaitent de gérer leurs courriers en ligne, en toute liberté et toute sécurité », « tout en récupérant une partie du chiffre d’affaires qu’Internet a déjà écorné ».[18] Le journal Forum assure que « contrairement à une boîte aux lettres e-mails, la boîte aux lettres Digiposte n’a pas d’adresse publique, protégeant ainsi l’utilisateur de tout courrier indésirable ou spam ». Les inquiétudes sont pourtant légitimes en lisant quelques lignes plus loin : « avec Digiposte comme avec l’ensemble de nos offres sur Internet, le courrier va véritablement devenir média prémium de la relation client, car il va désormais reposer sur deux supports : le papier et le numérique. Cette nouvelle offre va nous permettre d’aller à la conquête de nouveaux territoires, en proposant le meilleur de nos savoir-faire à nos clients. »

Or, les clients de la Poste ne sont pas ceux qui reçoivent les lettres mais les émetteurs. Les courriers de gestion des entreprises sont de plus en plus accompagnés de sollicitations commerciales. Les expressions ’communication’ ou ’relation client’ ont discrètement remplacé le terme de ’publicité’, mais les encarts en marge des factures, les revues des opérateurs de téléphonie ou les magazines de mutuelles n’en restent pas moins des réclames agressives, malgré leur rôle hybride, et constituent une part conséquente du chiffre d’affaires courrier. Il est naïf de croire que ces pratiques d’envoi de courrier non-sollicité cesseront avec Digiposte, au contraire. L’accumulation de données d’état civil, de données bancaires, de factures, voire d’achats en ligne permettront à La Poste d’utiliser son expertise en matière de bases de données pour édifier des fichiers beaucoup plus précis que ceux qu’elle vend aujourd’hui. La Poste sera en mesure de proposer l’envoi de courriels publicitaires hautement ciblés à un public attentif et confiant, créant ainsi un modèle de Marketing Direct digital à très forte valeur ajoutée. Elle pourra, en outre, profiter de son monopole sur ce canal de diffusion pour fixer librement le prix d’envoi des courriers digitaux. Pour réussir l’opération, Digiposte entend mettre à profit « l’image de neutralité et de confiance de La Poste et le sentiment de pérennité de l’entreprise ». Or cette image de pérennité est un leurre, puisque cette vielle institution est devenue une banale société anonyme assujettie aux mêmes risques de mauvaise gestion et de faillite que toutes les autres entreprises. Par ailleurs, ladite confiance a été laborieusement construite par des générations de postiers engagés dans une vision du service publique. La canibalisation de l’image de La Poste par ces filiales postales de type start-up est ressentie par de nombreux postiers comme une usurpation. Cet élément entraine une réflexion plus large sur l’accaparement des capitaux, de l’image de marque et du réseau de La Poste par les filiales. La Poste a investi plusieurs milliards d’euros dans Sofipost pendant les dernières années. Les produits des filiales seraient majoritairement irréalisables si ils ne reposaient pas sur la gigantesque infrastructure logistique de la maison mère. Un exemple assez simple : pour les lettres recommandées ’électroniques’ des filiales m@ileva et Aspheria, les filiales récupèrent la plus-value réalisée sur le service de vente et d’impression, mais laissent la partie la moins rentable (la distribution) à la branche courrier historique. La direction du groupe édifie des corporations parallèles à La Poste où sont concentrées les investissements, les innovations et les opérations les plus rentables. Loin de représenter une symbiose équilibrée, les filiales postales parasitent la maison-mère. Ce découpage d’une entreprise en branches rentables et non-rentables a déjà été appliqué à EDF ou la SNCF, avec l’isolement des activités de construction et d’entretien des réseaux (ERDF et RFF), pour lesquels il est difficile d’établir un modèle économique viable et cohérent lorsqu’ils sont ainsi sectionnés du reste du service. A France Telecom, c’est la holding Orange qui concentre désormais les services très lucratifs de téléphonie mobile. Cette architecture devrait permettre de vendre facilement les activités postales les plus lucratives aux financiers dans un horizon proche, probablement 2015. Une des filiales de Sofipost, Europe Airpost (descendante de l’Aeropstale) a d’ailleurs déjà été vendue en 2008 à une entreprise irlandaise, Air Contractors. En cas de difficultés au sein d’une maison-mère entièrement dépecée, c’est la collectivité qui devra financer les branches ’non-rentables’, et la situation pourra servir à illustrer l’incapacité des structures postales publiques à assurer l’équilibre financier. Jusqu’à présent, l’immense patrimoine immobilier de La Poste, qui possède environ 5 millions de m2 en pleine propriété, servait encore de garantie financière inébranlable. Cette assurance s’effondre désormais avec l’apparition de Poste Immo, « filiale à 100% de La Poste [qui] possède et gère la quasi-totalité des immeubles patrimoniaux du Groupe La Poste »[19].

Quelles perspectives, quelles propositions ?

Les envois électroniques ne réclament presque aucune main d’œuvre, à l’inverse du courrier papier, encore très gourmand en travail humain. Même proposés à un coût très réduit, ils représentent la promesse d’une rentabilité jusqu’alors inespérée. Extelia propose, par exemple, un service d’envoi de SMS ciblés pour un cout unitaire variant entre 5 et 10 centimes, selon le volume d’envoi. Par contraste, les courriers papier publicitaires adressés sont proposes à partir de 31 centimes le pli. Même si la mécanisation et les restructurations permanentes (telles que ’Facteur d’Avenir’ - qui permet désormais de faire travailler les facteurs en flux tendu malgré les variations hebdomadaires et saisonnières) ont, elles aussi, permis de tailler considérablement la masse salariale, il s’agit toujours d’objets physiques devant être transportés et manipulés par des humains. Ces constats, réalisés dans l’univers du courrier, peuvent également être fait pour La Banque Postale ou les guichets, et plus généralement dans tous le secteur des services. Pour la banque, l’automatisation des traitements financiers ou la gestion des comptes par Internet ont permis de réduire le personnel de même que dans les bureaux de postes avec l’ajout d’automates et de produits standardisés. Parallèlement, dans les filiales de La Poste, les quelques employés qui demeurent nécessaires sont disséminés sur de nombreux petits sites. Les employés d’Extelia, par exemple, sont dispersés sur près d’une trentaine de lieux en France. De plus, la filiale semble vouloir délocaliser une partie des emplois. Sur le site d’emploi du moyen orient bayt.com se trouve ainsi une offre d’emploi de Extelia Sofadev (une filiale d’Extelia), postée le 3 mars 2010, pour des « Ingénieurs de développement JAVA/J2EE expérimentés » basés à Casablanca, au Maroc.[20]

La réduction des masses salariales et leur atomisation réduiront les luttes sociales collectives. Or ces luttes jouent un rôle historique dans l’amélioration des conditions sociales de toute la population. D’autre part, en réduisant les emplois et les conflits avec les employés, La Poste participera à une concentration encore plus accrue du capital et une augmentation des inégalités. Les conditions de travail à la Poste sont souvent mauvaises, contrairement à l’image d’Épinal du fonctionnaire oisif. Cependant, La Poste offrait jusqu’à présent une solution d’embauche sur tout le territoire pour de nombreux hors-normes de l’économie. La discrimination à l’embauche était relativement réduite. Il suffisait souvent d’aller taper au bon moment à la porte d’un bureau de poste ou d’écrire au centre de tri pour être embauché, puis d’enchaîner de nombreux CDD. Le relatif respect des normes de sécurité ainsi qu’une politique réelle de réduction de l’impact environnemental de ses activités font également partie des luxes salutaires que se permet encore La Poste, contrairement à ses concurrents qui négligent généralement les externalités. De plus, La Poste est un lieu de brassage et d’échange entre individus de parcours et d’origines très divers. Ce qui s’annonce avec ces produits numériques, à la Poste et ailleurs, est une implosion massive du secteur tertiaire à l’image de l’effondrement du secteur secondaire après les trente glorieuses, l’informatisation n’étant en somme qu’une mécanisation du tertiaire et de l’administration. Lors du déclin industriel, les économistes pariaient sur les services pour relancer l’économie, mais avec la mécanisation et la délocalisation de ces emplois, sur quoi et sur qui reposera l’économie ? Quelle option, autre que celle d’une population réduite au rôle de consommateurs endettés et au chômage, pourra prévaloir sans une redistribution des gains générés par l’informatisation des services ? A la lumière des précédents historiques, cette désagrégation d’immenses socles sociaux et économiques aura des conséquences parfaitement prévisibles ; une spirale récessionniste, une explosion de l’économie informelle, de la criminalité et enfin un repli massif sur l’extrême droite. Pour l’instant, La Poste contourne les enjeux sociaux en misant sur la croissance externe. Elle achète à tour de bras des entreprises étrangères, comme le groupe Hit Mail en Roumanie, en Mars 2009, rebaptisée MEDIAPOST Hit Mail. Cette stratégie sera probablement payante pour la multinationale Groupe La Poste, qui vise une marge opérationnelle de l’ordre de 8% d’ici 2015,[21] environ le double de sa marge actuelle. Mais quel sens humain a réellement cette politique pour son propriétaire ultime, le peuple ? Une solution plus digne pour La Poste aurait été de se concentrer sur l’amélioration du réseau actuel. Ainsi, l’explosion des volumes d’achats par Internet aurait du être l’occasion pour la branche colis (Coliposte) d’améliorer considérablement l’image et le sérieux du service. Mais la recherche de rentabilité et de réduction des coûts d’envois pour les entreprises a bridé les emplois et s’est soldé par une image piteuse de ce secteur, laissant la porte ouverte aux concurrents. Une vision à long terme de La Poste devrait passer par une consolidation de ses activités historiques ainsi qu’une gestion intelligente de la décroissance des volumes du courrier. L’augmentation de la productivité doit permettre un accroissement de la qualité de service tout en améliorant les conditions de travail (une grande partie du travail postal est toujours effectué de nuit et sur des horaires pénibles). En outre, de nombreux « produits » de La Poste, tels que la distribution de publicité, sont écologiquement et socialement nuisibles, leur disparition paraît souhaitable (les marges réalisées sur la publicité non-adressée sont d’ailleurs très inférieures à celle réalisées sur le courrier, la suppression de cette publicité n’entamerait donc pas l’équilibre financier de La Poste). Dans l’univers numérique, La Poste doit développer des services utiles et fiables, elle doit être transparente sur la nature des opérations qu’elle mène tout en respectant strictement le caractère privé des données qu’elle traite. Les filiales doivent réintégrer le cœur du groupe et leur cession doit être strictement contrôlée et légitime. Afin de garantir cette qualité de fonctionnement et cette indépendance, La Poste ne devrait appartenir ni à l’État, ni à des investisseurs privés. Une organisation en association (à l’image de nombreuses régies de distribution d’eau ou d’énergie) ou en coopérative (comme des dizaines de grandes entreprises) serait plus sain pour le groupe. Depuis des dizaines d’années, La Poste a démontré sa solidité financière en générant chaque année des bénéfices, mais les objectifs idéologiques de la direction actuelle du groupe sont contraires aux intérêts de l’entreprise, des postiers et de ses usagers.

[1] Hadopi : le gouvernement choisit Extelia pour identifier les pirates, Les Échos, 21 juillet 2009, p.18.

[2] Dossier médical personnel informatisé : La Poste et Atos retenus, Les Échos, 15 mars 2010.

[3] Une longueur d’avance avec Digiposte, Forum, Mars 2010, p.14.

[4] Une holding est un regroupement de sociétés. Ce fonctionnement offre une plus grande liberté de gestion et présente de nombreux avantages fiscaux.

[5] http://www.docatpost.com/news/view_28.html

[6] Experian est une entreprise britannique experte en « credit rating » (la collecte d’informations sur les crédits).

[7] Hadopi : le gouvernement choisit Extelia pour identifier les pirates, Les Échos, 21 juillet 2009, p.18.

[8] http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/vu-sur-le-web/20090723.OBS5239/extelia-premiere-cible-des-pirates-anti-hadopi.html

http://www.pcinpact.com/actu/news/52120-hadopi-extelia-faille-bug-site.htm

http://www.pcinpact.com/actu/news/52110-hadopi-extelia-problemes-securite-comble.htm

[9] http://www.extelia.fr/solutions/vote-electronique.htm

[10] http://www.extelia.fr/base_documentaire/cas_clients/gie_sesam_vitale.htm

[11] http://www.extelia.fr/base_documentaire/cas_clients/infogreffe.htm

[12] http://www.mobileservices.extelia.fr/services/services.htm

[13] http://bigbrotherawards.eu.org/La-Poste.html

[14] http://www.laposte.net/footer/cgu/index.jsp

[15] Les Ambitions de Mediapost, Forum, Avril 2010, p.8.

[16] http://www.laposte.fr/reflexes/nos-solutions/courrier-adresse/la-selection-de-votre-cible/les-fichiers-dadresses-par-criteres/detail.html

[17] http://www.mediapost.fr/solutions_communication_proximite_localiser_clients_potentiels_9.html

[18] Une longueur d’avance avec Digiposte, Forum, Mars 2010.

[19] http://www.laposte.fr/Le-Groupe-La-Poste/Espace-recrutement/Contact-RH-De-Nos-Filiales/Le-pole-Immobilier

[20] http://www.bayt.com/en/company/?xid=1237548

Voir également à ce sujet la page http://www.postiers.net/actualites-postales-f1/les-filiales-du-groupe-la-poste-t538.htm

[21] http://www.laposte.fr/Le-Groupe-La-Poste/Espace-Presse/Communiques-dossiers-de-presse/Groupe/LE-GROUPE-LA-POSTE-PRESENTE-SON-AMBITION-2015