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Piroune

Publie le jeudi 22 juillet 2010 par Open-Publishing
4 commentaires

de Michel Mengneau

Je dédie ce morceau choisi des Contes de la Pigouille*, dont les textes sont de Louis Perceau*, aux défenseurs ineptes de l’uniformité nationale qui ont tenté ou qui tenteront de définir, de mettre en norme une quelconque forme d’identité nationale…

Piroune

Texte de Louis Perceau

Votre observation, madame, est des plus justes. Vous avez raison, et je le reconnais d’autant plus volontiers que cela signifie du tout que j’ai tord.

Voyons ce que vous m’écrivez :

« Vos paysans poitevins, blagueurs, farceurs, et surtout loquaces, me surprennent. Comme le normand est madré, le poitevin est avare de paroles. Il y a là-dessus des histoires classiques. En voici une qui caractérise au mieux le paysan du Poitou : Vous allez prendre le train à une petite gare perdue en plein champs, à quelques kilomètres du bourg dont elle porte le nom. Vous vous demandez si la gare est encore loin et si vous arriverez bien à temps. Mais personne pour vous renseigner. Tout à coup, vous apercevez dans un champ un paysan conduisant sa charrue et ses bœufs - « O ! Merlet ! Cadet ! Oôô ! ».

Le sillon se termine près du chemin. Vous attendez patiemment que votre homme soit près de vous. Vous le saluez. Il vous rend votre salut en silence. Puis vous le questionnez :- « Combien de temps faut-il pour arriver à la gare ? ». Notre homme vous regarde. Avec le manche de son aiguillon il fait tomber la terre grasse collée à ses sabots ou à ses souliers ferrés. Il procède à cette opération avec une sage lenteur. Vous vous demandez s’il a bien entendu. Vous répétez votre question. Toujours le même silence. Alors, impatienté, vous lui tournez le dos et repartez. Vous n’avez pas fait vingt mètres que vous entendez : -« Ohé ! Oh ! ». Notre homme vous appelle. Vous revenez. Il est en train de prendre une prise. Quand il a fini, il parle enfin : - « C’est-y qu’vous allez au train d’neuf heures ? ». Et sur votre réponse affirmative : - « Ah ! Dame ! ca s’ra bé tout juste si vous arrivez à l’prendre ! ». Et vous arrivez à la gare pour voir le train vous filer sous le nez… Voilà les poitevins, monsieur les vrais poitevins, ceux que je préfère ! ».

Madame, je le répète, vous avez raison. Votre homme de la plaine est tout craché. Cependant, je n’ai pas tord, car il est bien évident que vous ne connaissez pas celui du Marais, qu’il ne faut pas mesurer à la même aune.

Mais votre histoire, m’en remet une autre en mémoire, et il faut que je vous la conte.

Ce jour-là, Madame, nous roulions en auto sur la route de Fontenay*, par un soleil à cuire les œufs de cane. Le paysage se déroulait dans sa monotonie désespérante : arbres aux feuilles desséchées, alignés le long de la route, des près à l’herbe grise, et de la poussière, surtout de la poussière.

Naturellement, nous eûmes une panne en pleine campagne, à quelque distance d’une ferme dont nous apercevions le toit plat couvert de tuiles rouges.

Madame, je ne vous connais pas, mais je suppose que vous êtes charmante. Ces dames aussi l’étaient. Car trois dames nous accompagnaient. Blondes, rose, élégantes, distinguées. Comme vous, madame, ou plutôt… presque comme vous ! Avec cela, une candeur et des étonnements de parisiennes devant les choses, les bêtes et les gens de la campagne. Tout cela était nouveau pour elles.

Aussi, quels jolis petits cris de surprise ne poussèrent-elles pas quand nous aperçûmes, gardant les oies, la vieille paysanne et la petite aux joues comme des tomates et aux cheveux filasse.

La vieille était assise dans le fossé. Elle tricotait, et comme les magots de porcelaine, sa tête ridée branlait en cadence, accompagnant les mouvements des l’aiguilles.

La petite était sur le bord de la route, les bras ballants, le ventre en avant, et la tête baissée. Elle nous regardait en dessous, l’air à la fois méfiant et curieux. Les pieds étaient nus en de petits sabots et elle avait au moins une demi-douzaine de cotillons autour de la taille, ce qui la faisait ressembler à un pot à tabac.

Ces dames l’entourèrent bien vite et se mirent à s’extasier à l’envi sur sa bonne mine. Vous entendez d’ici leurs exclamations et leurs questions :
 Oh ! Quelle est drôle !
 Regardez-moi ces joues !
 Quel âge as-tu ?
 Elle respire la santé !
 Elle n’a surement pas cinq ans !
 Et quelles couleurs !

La petite ne bougeait pas. La tête obstinément baissée, les yeux fixés sur la pointe de ses sabots, et un doigt dans la bouche, elle se renfermait dans un silence hostile.
 Comment t’appelles-tu, mignonne ?

Rien.

Les questionneuses se tournèrent alors vers la vieille.
 Comment s’appelle-t-elle ?

Celle-ci répondit quelque chose qu’aucune de ces dames ne comprit. Je vins à leur secours.

La petite s’appelle Piroune, traduisis-je.

Les exclamations redoublèrent.
 Oh ! Quel nom pittoresque !
 Est-ce assez villageois ?
 Piroune ! Il y atout le Poitou là-dedans !
 Embrasse-moi, Piroune !
 Je t’emmène à Paris, Piroune !
 Piroune par-ci…
 Piroune par-là…

Piroune suçait toujours son doigt et ne risquait même plus un coup d’œil.
 Elle est peut-être muette, dit l’une.
 Comme se serait dommage, dit l’autre.

Et la troisième :
 Voyons, Piroune, dis-moi quelque chose. Rien qu’un mot… Allons, ma mignonne, quest-ce qu’on dit à la dame ? Tu ne veux rien dire à la dame, Piroune ?

Alors, Piroune enleva son doigt de sa bouche, releva la tête, et fixant sur les belle dames un regard sauvage, elle dit un mot, un seul, en roulant les r, et, comme on dit, sans le macher…

Je n’oserai jamais, madame, vous l’écrire en français, le mot de Piroune… mais je puis bien, n’est-ce pas, le répéter en comme il fut dit, en poitevin,

Donc, Piroune fixa les dames et, tout à trac, comme cela, leur répondit :

 Marrde !

Et chose curieuse, et qui prouve bien que le patois poitevin n’est pas de l’hébreu, les dames montrèrent par leur effarement qu’elles avaient compris.

Je le reconnais, Madame, ceux du Marais sont plus bavards, mais je vous défie bien, maintenant, de me dire que vous préférez le sobre langage de Piroune…

*Pigouille : longue perche de bois servant à pousser le bateau plat (le bataî), moyen de locomotion des maraîchins du Marais Poitevin, et dont l’extrémité s’appuyant sur le fond des cours d’eau (conche, rigoles, cannaux, Sévre Niortaise) est souvent munie de deux doigts métalliques.

*Louis Perceau naquit en 1883 à Coulon (DS), village du bord de la Sèvre Niortaise encore appelé à cette époque la « Venise verte » et que D. Mermet rebaptisera « Coulon-land » tant l’obsession touristique en a détruit le pittoresque.

D’abord ouvrier tailleur dans son pays d’enfance il épousera la profession de journaliste en la capitale. Hormis les Contes de la Pigouille qui dépeignent humoristiquement l’ambiance de son Marais Poitevin natal, il fut surtout un spécialiste de la littérature érotique. On le verra aussi s’associer avec Apollinaire et Fleuret. Mais n’oublions pas aussi qu’il fut un farouche socialiste révolutionnaire et antimilitariste ce qui lui valu six mois de prison au tout début du XXème siècle. Il disparut en 1942.

*Fontenay : Il s’agit de Fontenay-le-Comte. (Sous-préfecture du sud Vendée, et considérée jusqu’à la Révolution comme la capitale du Bas-Poitou)

http://le-ragondin-furieux.blog4ever.com

Messages

  • Sur la photo, maniant avec dextérité la pigouille, c’est le copain André, 83 ans, qui va relever ses tramails. Le tramail a trois nappes, alors que l’araignée couramment utilisée en bord de mer est à filet unique.

    Le bateau plat qu’il utilise, le "batai", ne fait pas plus de 9 pieds d’où son utilisation courante pour la chasse. Sur une conche peu fréquentée, les maraichins y restaient des heures allongés en attendant l’éventuelle pose d’un colvert ou d’une sarcelle suicidaire. Couché était une position confortable, debout pour pousser le batai, comme le pratiquait les maraichins, demandait une certaine expérience compte tenu du peu de stabilité de l’embarcation. Beaucoup de néofites ont d’ailleurs gouté la saveur de l’eau des marais au goût de "fraichin" pour avoir tenté l’expérience de maniement de la "piatte" à la mode du pays....

  • Que c’est rafraichissant de lire ce conte après avoir lu les nouvelles du jour ! Je suis née à Bressuire, papa était du Pin, maman d’Airvault : mon coeur oscille entre la Vendée et le Poitou. Mais Fontenay-le-Comte est bien en Vendée ?
    Amicalement
    J. Marion

    • Marion pour te rassurer, où tu habites, entre Bressuire et Cerizay, jusqu’au pont de la Branle sur la Sévre Nantaise, faisait partie dans l’esprit de beaucoup de la Vendée militaire lors des guerres de vendée(plus tard, aussi chez Hugo par exemple), alors que ce bocage est sur le département des Deux-Sévres. Pour la petite histoire, et contrairement à ce que les souverainistes vendéens affirment, les premières insurrections eurent lieu dans les Deux-Sèvres à côté de la Forêt-sur-Sévre.

      Mais ce n’est pas fini, lorsque les rebbelles déscendèrent vers le sud de la Vendée(vers Fontenay-le-Comte en venat de la forêt de Mervent) dans la ferme intention de rejoindre la Rochelle, ils se heurtèrent aux gens de la plaine, les "plainiauds", qui firent tout pour ralentir leur avancée et surtout essayèrent de les affamer alors que les greniers à grains étaient pleins. Mais ce ne fut pas tout, ce furent les marîchins qui firent surtaout le maximum pour que les insurgés ne traverse pas le Marais pour rejoindre la Rochelle (destruction des gués, faux itinéraires pour égarer larmée en haillons).

      Comme on peut le constater notre histoire ne fut pas linéaire dans le faconnage d’une identité, loin de là car les différences observées lors des guerres de Vendée restent flagrantes dans ce département. On peut le remarquer ne serait-ce qu’aux élections, le sud vote beaucoup plus à gauche. Alors, vouloir créer une identé vendéenne, comme le veut l’ignare de Villiers, est une pure connerie...

      Pour les maraîchins des marais Mouillés l’histoire est encore plus symptomatique puisqu’ils sont les héritiers de ceux que les moines du XIéme avaient surnommés les colliberts, (qui vient du latin com-libertus, que l’on peut traduire : vivant librement). Homme libre n’ayant que peu d’attaches avec la religion, ils seront au court des siècles rejoints par les gueux et réprouvés des alentours, puis après la Révolution, pendant l’Empire, les réfractaires à la conscription, ce sont eux que l’on appélera les huttiers. Il continuèrent la tradition d’hommes libres et surtout assez rébarbatifs à la réligion. C’est pourquoi chez les vieux maraichins qui votent à gauche, c’est surtout qu’ils sont contre la calotte, qui représente pour eux la bourgeoisie exploitrice.(dans ma commune c’est 70% à gauche au premier de chaque élections)

      Cette différence avec le nord de la Vendée et des Deux-Sévres était telle qu’en 1851 on comptait, par exemple, plus de 80% d’enfants scolarisés à la nouvelle école publique dans le village de Sansais situé bord du Marais mouillé, alors qu’il n’y avait aucune école public dans le bocage. Ce qui d’ailleurs perdurera encore longtemps dans le bocage car même s’il y avait une école publique elle était peu fréquentée et il n’était pas rare, il y a encore une vingtaine d’années, de voir les enfants de ces écoles se faire acceuillir à coups de pierre par ceux de l’école conffessionnelle.

      Alors, quand on parle d’identitée vendéenne, c’est une immense fumisterie...

  • plaisant article...comme souvent ,je serai en Vendée cette année et j ’ai bien envie de pousser jusqu’au marais..

    Gidehem