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Récuser Marx au nom des régimes communistes relève de l’amalgame ou de l’incompréhension

Publie le jeudi 19 août 2010 par Open-Publishing
7 commentaires

De Yvon Quiniou*

La bêtise ou l’ignorance n’a pas de limites, mais elle a au moins un nom : Guy Sorman. Sa diatribe contre le communisme à l’occasion du procès - justifié, je le précise - d’un responsable des crimes des Khmers rouges (Le Monde du 10 août) témoigne d’une radicale incompréhension du projet de Marx, faute sans doute de s’être un tant soi peu renseigné à ce propos.

Une remarque préalable : sauf à verser dans le nominalisme qui fait du mot la chose, ce n’est pas parce que le régime cambodgien et les régimes "totalitaires" du XXe siècle qu’il dénonce se disaient "communistes" qu’ils l’étaient.

A ce compte, les chrétiens de l’Inquisition et des bûchers étaient chrétiens... alors qu’ils ne l’étaient pas ! Dans le cas présent, l’assimilation de ces régimes à l’idée communiste dont ils se réclamaient (cela est exact) tient à un double oubli, politique et théorique. L’oubli politique, d’abord : pour Marx le communisme était identique à une démocratie complète, dépassant la seule sphère politique des institutions, qu’elle intégrait, et investissant les sphères de la vie sociale et économique.

Corrélativement, cette démocratie intégrale, qui entendait même se passer d’Etat sur le long terme, avait pour ambition anthropologique de permettre la satisfaction des besoins de tous et, du même coup, d’actualiser les potentialités humaines qu’une société de classes mutile chez la majorité de ses membres. Marx n’a cessé de mettre l’émancipation individuelle au coeur de son projet, au point qu’il le concevait comme une association où "le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous" (Manifeste du Parti communiste, 1948) et non l’inverse ! Où Guy Sorman a-t-il donc vu que les régimes qu’il critique aient en quoi que ce soit ressemblé à cette définition du communisme ?

Le renforcement inouï de l’Etat, l’absence de pluralisme idéologique et de liberté politique, le contrôle collectif sur les consciences dans des domaines qui doivent en droit lui échapper comme la religion, l’art ou la science, enfin le recours à la violence meurtrière (même s’ils n’en furent pas les seuls responsables, ce que refuse d’admettre Guy Sorman) n’ont rien à voir avec le communisme marxien (et il n’y en a pas d’autre !), mais ils illustrent sa défiguration et l’illusion dans laquelle étaient ceux qui croyaient être sur la voie de sa réalisation.

Tout cela pèse encore d’un poids terrible sur notre situation politique et empêche d’admettre à la fois que l’idée communiste est généreuse, moralement exigible, et qu’elle n’est pas morte puisqu’elle n’a jamais existé dans les faits. Mais d’où vient cette dramatique défiguration ? C’est ici qu’intervient l’autre oubli, théorique, qui n’est d’ailleurs pas l’apanage de Guy Sorman puisqu’il est partagé par les commentateurs, voire les hommes politiques, y compris quand ils sont de gauche.

Marx, qui était un penseur matérialiste soucieux de comprendre scientifiquement l’histoire et pas seulement d’en dénoncer les injustices, a toujours estimé qu’une révolution communiste n’était possible qu’à partir des conditions économiques fournies par le capitalisme développé et à partir d’un ensemble majoritaire de salariés liés à la grande industrie.

Et si, à la fin de sa vie, il a envisagé avec Engels qu’une révolution pourrait se déclencher dans un pays arriéré comme la Russie, il a ajouté qu’elle ne pourrait réussir qu’avec l’appui d’une révolution en Europe l’aidant de ses acquis ! Sa théorie condamnait donc à l’échec, en quelque sorte par avance et sur la base d’un pronostic intellectuel, l’idée d’un communisme prétendant s’accomplir dans des sociétés sous-développées... ce qui s’est passé malheureusement au XXe siècle ; et les exemples de la Chine ou du Vietnam, se convertissant partiellement à une économie capitaliste, prouvent a contrario la justesse de cette vue.

Point n’est donc besoin d’affirmer que "la masse" ne veut pas du communisme et de suggérer ainsi que les hommes y sont par nature rebelles pour comprendre l’échec apparent de cette idée ; il suffit de réfléchir aux conditions historiques de sa réalisation telles que Marx les a conçues, qui nous montrent que le soi-disant "communisme réel" était un "communisme irréel", volontariste et utopique, voué à échouer.

En revanche, sur cette même base théorique et face à un capitalisme en pleine débâcle dont Guy Sorman ne dit mot (comme il ne dit mot des millions de morts dont il est, lui aussi, responsable ou des dictatures qu’il a engendrées ou soutenues), on peut penser sans naïveté que l’idée communiste peut resurgir en Occident, comme elle le fait à sa manière en Amérique latine, et qu’elle correspond aux possibilités objectives de notre développement historique, comme l’histoire du mouvement ouvrier en Europe l’a selon moi attesté au XXe siècle, sous la forme d’acquis qui avaient pour horizon une société postcapitaliste et portaient la marque de l’héritage marxien.

J’ajoute qu’elle est porteuse d’une universalité morale incontestable et qu’à ce titre on a le droit d’estimer, sans prophétisme, que la "masse" des hommes devrait un jour y reconnaître le visage apaisé de ses intérêts partagés.

Philosophe, auteur de L’Ambition morale de la politique : changer l’homme ? (L’Harmattan, 270 p., 26 euros

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/08/14/recuser-marx-au-nom-des-regimes-communistes-releve-de-l-amalgame-ou-de-l-incomprehension_1399023_3232.html

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Mis en ligne par A.C.

Messages

  • Si Sorman aimait le communisme cela se saurait

    donc rien de nouveau sous le soleil à part dire quel ane, salaud , ignare , fasciste ....j’en passe ....

    • Sorman connaît très bien le marxisme . Mais son rôle dans la bataille idéologique est de démontrer que le communisme est impossible car il est dictatorial et sanguinaire à l’image des expériences du stalinisme et des khmers rouges. Cet économiste bourgeois très intelligent utilise tous les défauts des gouvernants marxistes en chine ou à Cuba et au Vietnam pour ses démonstrations anti-communistes. Son rôle est de retarder l’avènement de la nouvelle société et de faire perdurer la société capitaliste . Dans ce sens il est un militant du système en place qui le paye trés bien.

      Il a choisi son camp, nous avons choisi le notre. L’histoire tranchera à terme....

      Bernard SARTON,section d’Aubagne

    • Le problème c’est que l’auteur de l’article (évidemment tout à fait estimable) est membre du PCF, parti qui tout en se compromettant avec une constance jamais démentie dans la sauvegarde du système capitaliste en France, a toujours soutenu, jusqu’au bout, jusqu’à son effondrement, les systèmes totalitaires et sanglants du bloc soviétique, au nom du marxisme "orthodoxe", "scientifique", de la défense du "communisme", du "socialisme réel".

  •  Communisme : Non à l’exploitation de l’homme par l’homme !

     Liberalisme : Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiii à l’exploitation de l’homme par l’homme ! Et que le meilleur gagne ! (pour eux, c’est le plus riche) DEHORS les "maillons faibles" : pauvres, malades, femmes, handicapés, chômeurs, vieux, enfants de pauvres, étrangers, etc.

    • dehors.....étrangers dis tu, pas tout à fait l’étranger ne les gène que lorsqu’ilest immigré de de la pauvreté. En effet le riche bourgeois n’est jamais rejeté et l’arabe plein de fric peut bien amener 25 femmes voilés intégralement il couchera quand même au Ritz ou autre palace. Sur ce revenons à Marx ,cela arrange pas mal de monde de jeté le bébé avec l’eau sale du bain. le problème est dans la conquète du pouvoir plus ou moins violente et dans l’instalation du régime qui suit. La revolution française débouche sur Napoléon la soviétique sur Staline. Comment passer de la démocratie bourgeoise à la démocratie populaire sans passer par la case
      dictature,dont on a vu que l’on ne sort jamais bien( voir les anciennes républiques soviétiques) ?

    • hum...

      Je ne voudrais pas dire mais... il y avait une blague dans les pays de l’Est à une époque c’est :

      " le capitalisme c’est l’exploitation de l’homme par l’homme"

      " le socialisme c’est l’inverse"

      Le meilleur service à rendre au marxisme ce n’est pas de courir sur les couleurs mais bien de faire du marxisme, c’est à dire l’analyse des classes, des couches sociales qui les composent ou sont intermédiaires, des rapports de productions, etc.

      La question des discours propagandistes ne doit pas masquer l’analyse de la réalité.

      La charge des anti-communistes est d’autant plus aisée que des partis et des courants se sont vêtus indument des habits du communisme pour camoufler la domination de couches sociales parasitaires n’ayant d’autre destin désiré dans la plupart des cas que de devenir bourgeoises.

      Quand on analyse concretement les luttes de classes qui parcourent la planète, l’imbrication des divers impérialismes, les couches sociales aux comportements marqués du despotisme capitaliste, les menées des diverses factions et claques de la bourgeoisie dans le monde, se dessine alors une autre compréhension du monde.

      Alors, les comportements désordonnés et inhumains de couches bureaucratiques s’enserrent parfaitement dans l’univers violent de la lutte des classes où le pompon de la violence est bien tenu par les expressions les plus nettes du capitalisme.

      Ainsi les travers criminels bureaucratiques peinent à se hisser au niveau des crimes des régimes capitalistes. Au fond ils n’en sont qu’un dérivé. Ca ne veut pas dire que tout se vaut. Au contraire . Mais que l’analyse et la solidarité à la classe populaire et au prolétariat passe avant les autres solidarités, quand les unes s’opposent aux autres solidarités.

      Rien que l’histoire de ce seul pays qu’est la France sous le règne de la bourgeoisie (à compter de 1789 avant c’était un autre règne ) est une tranchée sanglante dans le destin de bien des peuples.

      Penser que c’est la couleur des mots qui explique les crimes de Pol Pot, l’allié des français, des ricains et des chinois, relève d’une analyse farfelue d’une société. Une analyse qui s’écarte de la compréhension d’une société réelle et des mécanismes d’extraction et d’autonomisation de couches sociales dirigeantes particulières au travers de processus historiques également singuliers. C’est ça et non une lecture annonante et diagonale de Marx qui font les crimes. La question de l’idéologie ne peut expliquer à elle seule qu’une toute petite partie des problèmes rencontrés amenant l’apparition de singularités sordides.

      L’autre face de la charge contre Marx vient des gens qui se prétendent marxistes ou communistes qui ne resteront que sur le seul terrain du superficiel et des couleurs en éludant completement l’analyse en termes de classes et de lutte des classes des sociétés, dés lors qu’on les a repeint en rouge.

      Ceux là ne verront pas l’émergence de couches pré-bourgeoises utilisant à plein les méthodes despotiques de domination contre les couches populaires et contre le prolétariat.

      Dés lors ils seront toujours pris à contre-pied par le passage de couches sociales nomenclaturistes en bourgeoisies sans jamais avoir compris ce qui se passait.

  • La vraie question à se poser serait pourtant celle-ci :
    « Pourquoi Sorman, cet ultra-libéral forcené, perd-il son temps à refaire ce procès du Communisme que d’autres ont fait bien avant lui à travers ces perversions que furent le stalinisme en URSS, la révolution culturelle en Chine ou les Khmers rouges au Cambodge ? »

    En effet, pour Sorman le Communisme est mort. Quant à son propos, il reprend les mêmes arguments et calomnies depuis longtemps martelés avec acharnement par le système et ses serviteurs. Le libéralisme en tant qu’idéologie et le capitalisme en tant que système sont partout vainqueurs et pour eux la crise actuelle n’est qu’une péripétie qui ne remet pas en cause le triomphe de sa classe sociale.

    Donc je pose à nouveau la question :
    « Pourquoi cet acharnement ? »

    La réponse, vous la connaissez, c’est bien la peur qui réside en lui de voir un jour le vent tourner. La peur que la lutte des classes qui perdure de toute manière n’aboutisse pas à son rêve de fin de l’histoire avec le capitalisme. Alors, il cède à ces fameux rites conjuratoires (pour parler comme Freud) qui de procès du Communisme en diatribes antimarxistes lui redonnent de l’énergie. C’est un processus de défense qu’il use jusqu’à la corde. Face à ses doutes inconscients, il cherche à se rassurer. C’est tout ! Et dans leur haine du Communisme, ses frères de classes font la même chose : convaincre et se convaincre que le sceptre du Communisme ne viendra plus les hanter. Néanmoins, leur obsession est la preuve, s’il en faut, que le cadavre bouge encore....

    Marx avait bien raison : "un sceptre hante encore le monde et c’est bien celui du Communisme !"