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Contre-pouvoirs ?

Publie le vendredi 17 septembre 2010 par Open-Publishing
5 commentaires

de Michel Mengneau

Avec la notion de contre-pouvoirs d’aucuns auraient tendance à croire qu’il s’agit d’écarter l’impact révolutionnaire, le fait électoral, les grands mouvements sociaux, la grève, pour faire changer nos sociétés.

En effet, si la révolution reste un élément de la lutte des peuples elle n’apporta souvent que des changements incomplets et surtout peu pérennisés (hormis quelques cas particuliers comme Cuba) ainsi que l’histoire passée le prouve. Cependant, les grands mouvements insurrectionnels apportent toujours quelques chambardements, c’est donc une alternative que l’on ne pourra jamais écarter. Mais les changements qui en résultent ne sont pas toujours inscrit dans la pierre pour n’avoir pas été marqué par un usage prolongé.

Les élections, quant à elles, font parties d’un contexte politique déjà consacré et il est rare que cela crée un véritable bouleversement et apporte un grande modification idéologique. On l’a vu en 1981 en France, la Révolution des œillets au Portugal, la venue des socialistes en Espagne n’ont pas profondément modifié les fondements de nos sociétés puisqu’à chaque fois ce ne fut qu’un accompagnement un peu différent du capital.

Certes, certains diront, oui mais, il y qu’en même le Venezuela et d’une façon un peu différente la Bolivie ! Peut-être, mais nous sommes qu’au début d’une expérimentation et l’on a encore pas suffisamment de recul pour chanter la victoire, et surtout pour dire qu’il y a vraiment rupture avec le capitalisme où alors d’une solution transitoire qui en fait ne se démarquerait pas véritablement sur le fond.

Bref, dans la vieille Europe, dans un temps très court, il y a peu de chance que ce soit par le bulletin de vote que l’on renverse le capitalisme. Il semblerait d’ailleurs, qu’on va plus aller vers le bipartisme à l’américaine que vers d’autres alternatives. Un parti Républicain de droite capitaliste et fascisant (UMP, FN) opposé un parti Démocrate de droite capitaliste à tendance centriste (PS, centre, anciens gaulistes de gauche)

Les mouvements sociaux et la grève, comme leurs noms l’indiquent, restent cantonnés dans la revendication et sont probablement encore moins pérennes qu’une révolution. On se souvient de 68, si quelques évolutions sociétales dues à cette époque sont devenues incontestables, il n’en est pas de même des libertés, des acquits sociaux qui chaque jour régressent. Luttes souvent catégorielles et qui s’écartent de fait des revendications idéologiques comme c’est le cas actuellement avec la réforme des retraites où cet aspect est volontairement occulté.

Alors, on évoque les contre-pouvoirs. En premier lieu, il est bon d’expliquer ce que l’on entend par cette expression car il ne s’agit de penser que l’on va crée un nouveau pouvoir remplaçant celui en place. Non, il s’agit de créer des formes sociétales se démarquant de la pensée unique. En schématisant on peut résumer ainsi : c’est aller contre le pouvoir en proposant d’autres alternatives. En complément cela permet de tisser une trame d’initiatives qui seront hors du système de manière à peu à peu inverser la forme du pouvoir établi.

On pense tout de suite à la relocalisation qui va à l’encontre de la mondialisation. Cela permet, entre autre, de mettre en place une multitude de changements locaux. On imagine aussitôt à la création de petites unités de fabrication à tailles humaines, mais surtout autogérées, des coopératives ou formes similaires. C’est-à-dire que ce n’est plus le détendeur du capital qui est le propriétaire, mais celui qui fait fonctionner l’instrument de fabrication. Hors le fait de ne pas être dans le fonctionnement capitaliste, on sortira aussi de la notion de productivisme en cherchant à satisfaire localement les besoins d’usage. Ceci n’est qu’un exemple mais qui cependant peut être tout de suite mis en place puisque certains licenciés ont reçu une prime substantielle et ont le savoir-faire. Ce n’est qu’une question de volonté et aussi de sortir de l’individualisme volontairement exacerbé par le système ultralibérale. D’ailleurs, si l’on raisonne en fonction de la collectivité un pas en avant vient d’être franchi, c’est une forme de contre-pouvoir s’opposant à la pensée unique capitaliste.

On peut mettre sur le même plan aussi à la désobéissance civile car si on y ajoute des contre-propositions que l’on va tenter de mettre en place c’est encore une autre façon de créer un contre-pouvoir. Les exemples ne manquent pas, comme la reprise en main de la gestion de l’eau et des déchets par la collectivité, la vente directe, banque coopérative et monnaies locales, mutualisations ponctuelles, services d’échanges libres hors marchandisation, etc., qui vont permettre de construire une masse d’initiatives. Masse d’initiatives pour la plupart pérennes, inscrites dans la durée, et qui lorsqu’elles seront suffisamment nombreuses feront basculer le système, ce que l’on appellera la masse critique.

Certes, c’est une reconstruction à long terme de nos sociétés, mais qui a l’avantage de s’ancrer petit à petit au sein de la collectivité de façon active en créant de nouvelles structures, et par conséquence intellectuellement en décolonisant par l’exemple les esprits de la pensée unique.

Reste aussi dans ces alternatives un point des plus importants, c’est que ce tissage des initiatives se faisant par la base il implique fortement la démocratie active, celle du terrain, la véritable démocratie avec un fonctionnement horizontal, évitant le piège de tous les centralismes démocratiques.

Le Ragondin Furieux

Messages

  • Bonne première partie du texte, après, comme pour tout le monde c’est moins évident.

    Bien entendu qu’un solide camp organisé de la classe populaire est important . Je n’utilise pas exactement les mêmes mots mais c’est bien d’un contre-pouvoir qu’il s’agit , à condition de tracer le caractère de classe de ces camps.

    Sur la question des luttes sociales, il y a deux aspects :

     les grandes conquêtes se produisent dans des moments dynamiques où la classe populaire pousse très loin le curseur et inflige des trouilles durables à la classe dominante, ce qui amène des conquêtes sociales et populaires sur de longues durées. 1968, 1936, 1945, etc, des moments puissants et étalés sur plusieurs mois qui vont marquer profondément les rapports de classes.

     la question des organisations permanents s’articule de fait avec ces moments intenses. Je constate. Les formidables poussées créent une ambiance progressiste qui aide les organisations directes du prolétariat moderne, mais créent plus loin tout un environnement aidant à des formes d’associations, contre-pouvoirs, etc ... qui fonctionnent comme des contre-pouvoirs dans tout le spectre possible, d’organismes alternatifs devenus des rapiècements du système permettant à la bourgeoisie des économies jusqu’à d’authentiques contre-pouvoirs.

    L’articulation entre les deux aspects est importante , poussées dynamiques et contextes un peu moins défavorables à la classe populaire permettant ensuite des contre-pouvoirs sur des périodes longues, en même temps que des conquêtes sociales .

    Pour l’instant, nous vivons dans une crise importante des organisations permanentes de la classe populaire. Cette faiblesse en est une par comparaison à un potentiel qui n’est pas négligeable d’opposition au système capitaliste qui cherche à s’exprimer sans trouver ses organisations, son organisation unitaire de résistance, ses partis politiques et ses formes d’associations, coopératives, etc

    ..... et ses perspectives politiques chapotant le tout. (LL pour une constituante, la perspective du pouvoir des travailleurs, etc).

    "les luttes", hum, la bataille sociale c’est plus complexe que la notion de "luttes", elle est dans la reconstruction d’un camp organisé d’une classe qui a ses défenses en profondeur.

    La question des contre-pouvoirs ne peut se concevoir en contournant la question des contre-pouvoirs de la classe elle-même , explicitement, sur le terrain réel et concret de la production de richesses, sur les secteurs d’habitation où n’existent que des prolétaires mais où il n’y a plus d’organisation de la classe populaire.

    Le risque de contre-pouvoirs doit avoir un "sexe" de classe important, sinon c’est du contre-pouvoir bobo, pas inutile mais n’ayant que le poids d’une volée de moineaux dans les temps féroces d’aujourd’hui.

    La construction d’un contre-pouvoir , candidat au pouvoir, doit prendre en compte la crise énorme des organisations de résistance permanente de la classe populaire (syndicats et partis) qui laisse d’immenses secteurs de la classe populaire sans le poids de l’organisation de résistance (avec donc un travail de reconstructions de secteurs pour les travailleurs de petites entreprises par exemple et donc également la reconstruction de l’appui géographique ).

    Prenons par exemple le phénomène des quartiers. C’est à 99% un secteur du prolétariat moderne, la bourgeoisie est quasiment complètement absente et n’investissant pas dedans puisqu’elle a choisi une fraction importante de cette population comme bouc émissaire.

    Les quartiers populaires sont un des secteurs favorables à la reconstruction d’un contre-pouvoir permanent parce qu’il existe là une forte absence, parce qu’il n’existe pas d’organisation ou presque dans ceux-ci, parce que la bourgeoisie n’y investit pas du tout et ne cherche pas à se les lier, ou sous des formes ridicules qui ne vont jamais loin, les ayant choisi en boucs émissaires et zones d’intervention policière.

    C’est donc là un secteur à organiser (logement, lutte contre le racisme et l’islamophobie, emploi, coopératives, associations, syndicats, partis,...).

    Je n’entends pas par là vouloir indiquer une nouvelle terre de mission mais pointer un trou dans la présence de l’organisation de la classe bourgeoise.

    On peut aussi remettre à l’honneur des groupes politiques d’entreprise, etc.

    La construction de contre-pouvoirs est sur la ligne de front de l’affrontement d’une classe bourgeoise qui veut étendre son pouvoir sur tout. Elle est directement sur les lignes d’affrontement de classe.

    Par contre, il est exact que la bourgeoisie dans sa furie et sa concentration a accentué son isolement du reste de la société.

    La bourgeoisie qui possède tous les médias et s’en sert à pleine puissance est de plus en plus étrangère au reste de la société.

    Ce phénomène qui se fait dans un contexte d’importance numérique croissante du prolétariat moderne et de classe populaire écrasante numériquement dans la société, crée les conditions objectives de la contre-offensive pourvu qu’on ait un ensemble cohérent de reconquête et de reconstruction, traitant des aspects de la bataille idéologique, en distinguant propagande, agitation, outils de cette bataille, en traitant la question des formes d’organisation à propulser afin de doter de ce qui faut en structures de résistance (syndicats, associations) , d’offensives (coordinations, conseils, comités, etc, structures permettant d’élargir de façon décisive l’organisation des travailleurs dans les phases de mobilisation), de contre-pouvoir permanentes (syndicats,partis, coopératives associations,)etc.

    C’est la maitrise et la cohérence de l’ensemble en utilisant de nouveaux partis politiques de masse pour réfléchir, définir, construire et s’investir méthodiquement dans cette perspective, qui permettra de dégager des espaces de plus en plus importants pour la classe populaire.

    La compréhension de la dynamiques des moments de crise puissante due au mouvement social, avec les phases de creux qui succèdent, puis les remontées, etc, est une question fondamentale et importante dans la construction et la reconstruction de contre-pouvoirs permanents et réguliers, embryons de pouvoir hégémoniques d’une classe.

    Ou, autrement dit, là aussi c’est une "science" de comprehension des vagues, du fait que la puissance politique du mouvement social n’est pas un phénomène régulier qui avance comme une petite armée (il y a des tas de raisons à cela, notamment le fait de l’aspect particulier de la domination idéologique).

    Penser cela, c’est avoir des outils politiques capables d’intégrer les moments de reculs dans ses pensées de contre-offensives, d’en faire des moments de digestion et de comprehension larges des limites des vagues précédentes pour en prévoir des plus hautes ensuite qui aient tiré les leçons des précédentes.

    La question des contre-pouvoirs ne peut faire abstraction de la respiration de la lutte des classes, et de ses phases dynamiques les plus extrêmes.

    Nous sommes actuellement dans une phase où existe toujours un potentiel énorme de contre-offensive sans qu’on ait construit les outils permettant de tirer les leçons des branlées d’hier.

    Et on a toujours les mêmes débats (même ici) sans avancer, car une partie reste arque-boutée pour recommencer sans cesse et sans cesse les mêmes flops . On n’essaye qu’une seule façon de résister à grande échelle, la journée d’action.

    Il nous faut une pensée plus large pour tout cela, dans laquelle la question de la construction de contre-pouvoirs s’enserre dans les espaces dégagées par la dynamique de la lutte des classes.

    • Salut Copas,

      Tu pousses la démonstration de façon plus idéologique, j’aurai pu le faire, peut-être moins brillament que toi, mais j’ai préféré dans la deuxième partie aller sur un peu de concret, c’est sûr que ce n’est pas évident.

      En tout cas, j’ai aprécié ton commentaire qui prouve qu’il a dèjà eu des interrogations poussées sur ce sujet.

    • Je pense que nous pouvons avancer également surles SCOPs , sans illusions ni pour faire croire que c’est LA solution, rien que pour démontrer au concret que ça marche aussi bien que les boites capitalistes, voir mieux, alors que leurs statuts sont un embryon de ce que ça pourrait être, que l’environnement économique est capitaliste et fausse profondément la relation.

      Ce type d’entreprise c’est du concret, il y a un peu de tout, mais elles sont la démonstration que , même dans un environnement capitaliste, les entreprises capitalistes ne sont pas les plus efficaces, contrairement à un défaitisme bien ancré qui compare toujours les boites privés aux carabans étatiques des ex-pays de l’est.

      Il ne s’agit pas de les présenter comme une solution globale elles n’en sont pas et sont régies comme le reste de la lutte des classes par la crise révolutionnaire.

      Mais il s’agit de favoriser et de réconcilier ces expériences avec le reste de la bataille sociale pour le pouvoir des travailleurs, comme un pan spécifique utile au combat commun et global (une vitrine).

      Ces structures sont imparfaites, et le syndicalisme doit y fleurir, mais elles rompent avec le despotisme capitaliste de la direction par l’instauration d’un commandement technique de l’entreprise soumis à la démocratie.

      C’est un homme, une voix.

      C’est un des éléments de contre-pouvoir et de propagande pour indiquer que le capitalisme ce n’est pas très efficace en plus de ses autres défauts, puisque des entreprises imparfaites font aussi bien que lui dans un environnement hostile .

  • Reste aussi dans ces alternatives un point des plus importants, c’est que ce tissage des initiatives se faisant par la base il implique fortement la démocratie active, celle du terrain, la véritable démocratie avec un fonctionnement horizontal, évitant le piège de tous les centralismes démocratiques

    .

    tres interessant. ce passage en particulier.

    Gidéhem

  • Très intéressant..

    Je le dis tout net ; : l’expression "contre-pouvoirs" me dérange.

    Copas a bien dialectiquement pointé ce qui me chiffonne..

    A partir d’un exemple qui m’avait marqué .

    "Pigiste" girondin bénévole d’un soir pour l’Huma, j’interviewais Gaillot et BOVE..venu avec Espaces Marx33 tenir une réunion par ailleurs intéressante devant un public d’autant plus nombreux que Bové était la dernière coqueluche de Fabien..

    Alors chouchouté par le Parti -sans lequel jamais aucun rassemblement de MILLAU n’aurait pu se tenir,(plus tard tout aussi connement roulé dans la merde quand il a marché dans l’opération "Tout sauf Buffet " de 2007lancée par Autain et quelques "rénovateurs) , J.B, répondant à ma question sur le Capitalisme, les partis , m’expliqua longuement qu’il était avec sa Conf’ paysanne et autres altermondialistes un "militant des contre pouvoirs."

    Cela ne m’interesse pas d’être un homme de conquête de pouvoirs car la lutte que nous menons n’ a pas pour mission de changer la Société .C’est à d’autres de voir s’ils entendent ou non s’en charger

     :( rapporté de mémoire)

    ..J’avais insisté pour que surtout, on ne me caviarde pas ça au montage...Bové depuis nous a montré ou mène certains itinéraires.

    D’ou ma crainte :

    Autant affaiblir le Capital, nouer de la solidarité de résistance, donner du sens à la "démocratie" autogestionnaire peut se révéler extrêmement positif, autant, lâcher sur des "fondamentaux" serait tragique.

    Laisser croire, par exemple, qu’en avançant cette notions de "contre-pouvoirs" nous serions peu ou prou, objectivement dans le camp de ceux qui se servent de ces notions pour nier toutes prises de pouvoirs par la classe, les "damnés de la Terre" , qui se doivent de construire l’outil pour déposséder ceux qui ont les pouvoirs de décision, parce qu’ils possèdent..!!

    ON s’enfermerait dans une stratégie qui peut ici ou là certes limer les dents du Capitalisme mais qui ne peut, , l’empêcher de mordre puisque , pour se faire, il s’agit de lui faire péter les gencives..
    Pour ne pas dire le détruire , l’abolir et en même temps, faire naitre du Communisme en processus


    Bref comme pour tout, rien n’est à négliger, mais avec la boussole marxiste : Classe, luttes , Orga révolutionnaire d’autogestion ET de besoin de"centralité" , de solidarités internationales à créer autrement que par les seuls contre sommets altermondialistes.

    Sans nouvelle Internationale avec chefs d’orchestre auto-promus..


    Par contre je suis très intéressé, et j’y gamberge à temps perdu, sur tout ce qui , dans le rapport de forces à faire bouger, rassemblerait de façon audacieuse celles et ceux prêts à des actions militantes originales , médiatiques, symboliques
    .
    Donnant confiance aux masses.

    Résistances tous azimuts, , désobéissance civique,occupations répétées de péages, suggestions courant la toile comme par exemple, dans la déclaration d’impots à la rubrique "personnes à charges" l’adjonction d’une liste nominative de tous les PDG du CAC 40, etc etc...

    Je pense que nous sommes d’accord sur un point : Toute idée qu’un "contre pouvoir" éxonère de la question des POUVOIRS à conquérir, c’est l’aveu que l’on se range à l’idée que le Capitalisme n’est pas à éradiquer..
    .

    Je sais bien que Michel Mengneau et Copas sont là dessus, en gros, d’accord avec moi..

    Je peux donc les saluer cordialement..et me faire pardonner un message d’accord sans grand enrichissement à la réflexion collective.

    .AC