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Les campagnes électorales de la gauche ne doivent pas être confisquées par la droite

Publie le lundi 27 septembre 2010 par Open-Publishing

Le débat public à gauche sur la préparation en commun des élections est tabou ou renvoyé aux calendes grecques, par exemple après le premier tour, puisque, sans même envisager un débat public en direct entre toutes les forces de gauche sans exclusive sur ce sujet de la meilleure méthode pour que la gauche gagne les élections, certaines formations ont déjà leur candidat, ou une façon « perso » bien maladroite de préparer l’élection quand elles répondent au seul agenda de la droite, accordant à la droite et à son représentant le privilège de déterminer l’actualité. Le débat à gauche sur la préparation des élections est ainsi confisqué par la droite, ses instituts de sondage, son marketing politique, ses experts médiatiques et politiques, censés être les seuls capables d’aborder « scientifiquement », c’est-à-dire à coups de pourcentages, de pseudo enquêtes et de sujets d’actualité, les campagnes électorales.

Pour expliquer cette absence de débat véritable, il faut d’abord parler non en termes de « démocratie », mais en termes de processus de démocratisation ou de processus contraire de « dédémocratisation ».

Le vote des femmes a été un phénomène de démocratisation, par contre la suite de réformes qui conduisent à plus d’inégalités entre les pensions de retraite des femmes et celles des hommes constitue un processus de dédémocratisation.

Un autre phénomène de dédémocratisation, sur lequel il faut insister car il est très nouveau et important, est la prise de contrôle des médias de masse par les gros actionnaires. L’attribution des fréquences, qui constituent un patrimoine public, doit être tel qu’il donne certes aux actionnaires la liberté de s’exprimer, mais pas au point qu’ils soient devenus les seuls à pouvoir s’exprimer, puisqu’ils sont dorénavant à peu près les seuls à contrôler l’information et la culture, grâce aux choix politiques du laisser-faire par le marché.

Ce monopole de la liberté d’expression se manifeste, sur le plan formel, par l’absence de débat public en direct, par l’exclusion ou la promotion à certains moments de certains acteurs politiques et de certains sujets d’actualité, par la déformation de l’information et l’orientation politique de la programmation.

Sur le plan du contenu, cette orientation se traduit par la primauté de l’image ou des petites phrases des personnalités politiques sur les programmes qu’ils représentent, si bien que, une fois élus, sur la base de la confiance des électeurs envers des personnes et non des partis, les gouvernements considèrent qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent, même le contraire de ce qui figure dans leurs professions de foi électorales, la société civile et le mouvement social étant alors seuls susceptibles de freiner ce processus pervers, à moins qu’ils ne le valident s’ils ne remettent pas en question quelque peu la configuration politico-médiatique qui le favorise.

Le résultat de cette domination des médias est la réalisation de l’idéologie d’extrême droite de l’homme providentiel. L’absence de rationalité et de débat véritable que cette croyance au bon monarque et cette personnalisation impliquent est le point-clé de l’ouverture d’une possibilité de développement du populisme, des replis religieux et communautaristes par rejet du politique, de banalisation de toutes les irrationalités, celles du racisme, de la xénophobie, du sexisme.

Cette hégémonie de la croyance en l’homme providentiel peut expliquer la mise en avant des personnalités dans certaines formations de gauche. Pour contrer cette croyance à la possible existence de bons-chefs-qui-peuvent-résoudre-tous-les-problèmes, il faut non seulement rendre populaire la critique des médias et constamment décrédibiliser leur mode actuel de fonctionnement, mais aussi mettre en avant des programmes politiques précis, non ambiguës, avec, pour les appliquer, des équipes et non des personnalités.

En France, la personnalisation de la vie politique est aggravée par le fait que l’idéologie de l’homme providentiel est non seulement omniprésente à la radiotélévision, mais qu’elle est, pour ainsi dire, inscrite dans les institutions de la Ve République, qui est une monarchie élective avec campagne électorale contrôlée par les gros actionnaires. L’élection présidentielle y est donc l’élection cruciale.

La gauche de transformation doit donc en priorité affronter l’élection présidentielle, dans la mesure où elle considère l’élection comme un des moyens pouvant contribuer à la transformation de la société.

Participer à cette élection en appelant au boycott ou au vote blanc, ou en réduisant l’élection à une tribune, en arguant lucidement que la Constitution de la Ve République et la manipulation de la campagne électorale sont des obstacles importants pour la gauche de transformation, c’est cependant ne pas voir que le phénomène de transformation des démocraties par les médias minimise le rôle des Constitutions et qu’il peut être maîtrisé par l’unité à construire des forces de gauche à l’égard des médias (voir Bellaciao 17 août 6 h 57). Autrement dit, il est possible que la gauche gagne cette bataille électorale.

Une formation de la gauche de transformation ne peut pas se compromettre avec l’idéologie de l’homme providentiel. Par souci de cohérence, elle doit donc présenter à l’élection présidentielle un candidat qui, dans sa profession de foi, s’engage premièrement à introduire dès sa prise de fonction dans tous les médias de masse des débats sans exclusive en direct et la possibilité de la présence de toutes les sensibilités politiques dans les choix d’informations et de programmations, deuxièmement à abandonner l’essentiel de son pouvoir à une équipe gouvernementale désignée dès maintenant, une équipe défendant un programme précis et argumenté de transformation. Cette équipe serait susceptible d’être acceptée par la future Assemblée nationale, qui ne pourrait être qu’élue au scrutin proportionnel intégral, c’est-à-dire sans manipulation du mode de scrutin, tandis que le Sénat ne jouerait plus un rôle de frein à la représentativité et à la souveraineté, mais un rôle consultatif.

Cependant, la subversion en acte des institutions de la Ve République et du rôle des médias implique aussi que la gauche de transformation n’affronte pas l’élection présidentielle divisée, puisqu’il s’agit d’élire une seule personne, et qu’accepter le principe de présenter plusieurs candidats de gauche, c’est-à-dire ne pas faire des efforts jusqu’au dernier moment pour le choix public d’un projet transformateur, d’une équipe et d’un seul candidat, ne pas chercher à constituer un débat en direct sans exclusives entre forces de gauche sur la préparation de l’élection, c’est aussi en définitive se compromettre avec l’idéologie de l’homme providentiel, puisque c’est laisser le citoyen se débrouiller, dans l’urgence du vote, pour choisir non des idées ou des projets mais la personnalité que la gauche n’a pas été capable de désigner, parce qu’elle n’a pas voulu engager à temps les débats nécessaires, une personnalité dont les médias sauront encore plus dépolitiser la profession de foi.

La solution des primaires à gauche ne tient aucun compte de l’influence des médias et des instituts de sondage, qui neutraliseraient toutes les espoirs d’égalité entre les candidats aux primaires, de débat sur les idées et de participation des citoyens aux choix. Mais, surtout, se rajoutant à cette élection présidentielle que le devoir de la gauche est de mettre à distance, cette solution ne fait qu’ancrer encore plus les citoyens dans la croyance d’extrême droite que la politique est en définitive l’arbitrage citoyen non entre des programmes de partis ou de coalitions de partis mais entre des hommes providentiels, leurs promesses, leurs mouvements et leurs appareils.

La situation très particulière de l’élection présidentielle sous la Ve République et le fonctionnement tel qu’il est des médias impliquent que les organisations de gauche, pendant le temps d’une campagne électorale présidentielle qui a déjà commencé, mettent en avant, dans toutes leurs déclarations et manifestations, non leurs différences, mais ce programme unitaire de transformation qui devrait exister si ces organisations acceptaient un débat public en direct sans exclusive sur la préparation de l’élection présidentielle. Autrement dit, l’expression des différences doit être toujours explicitement en regard de ce qui unit dans la transformation, ce qui exclut qu’une composante de l’union de gauche critique, sans plus, telle composante de l’union ou tel aspect trop réformiste ou trop révolutionnaire du contenu ou de la méthode de l’union. Une composante de la gauche ne peut espérer continuer à bénéficier de la reconnaissance publique de sa contribution effective à l’union tant qu’elle ne rompt pas avec la personnalisation et la concurrence distillées par les institutions de la Ve république et par le fonctionnement actuel des médias.

La profession de foi du candidat unique de la gauche et de l’équipe à qui il s’est subordonné explicitement, pourrait imposer à l’agenda de la campagne électorale une augmentation des salaires d’au moins 20 %, à titre de rattrapage, la gestion paritaire de la protection sociale, des services publics, des entreprises, la transformation de tous les emplois privés en CDI et l’application du droit du travail, parce que les salariés ont droit à un minimum de respect, la remise en cause des abandons de souveraineté, des privatisations et des gestions managériales du secteur public, pour reconstituer un patrimoine national démantelé de manière illégitime, puisque la plupart du temps sans mandat explicite des électeurs.