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Le deuxième mandat du Cavalier de l’Apocalypse ou : quatre ans pour enterrer l’Empire

Publie le samedi 13 novembre 2004 par Open-Publishing
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Une fiction réaliste
par Fausto Giudice, novembre 2004. Contact : f.giudice@gwadaoka.org

La victoire “éclatante” de George Walker Bush nous oblige à essayer d’anticiper de quoi seront faites les quatre années de son deuxième mandat. Pour cela, nul besoin d’une imagination débordante. Il suffit d’écrire en prenant un peu d’avance un possible scénario découlant des catastrophes qui se sont succédées durant les quatre années écoulées. Le Texan illuminé sera-t-il capable de conduire le monde à l’Apocalypse ? Oui, si son “Dieu le veut”, le président “re-né” (born-again) est parfaitement capable de poursuivre jusqu’au bout son oeuvre de destruction massive.

À moins bien sûr qu’une rafale tirée par un autre illuminé ayant entendu des voix mystérieuses ne mette prématurément un terme à la carrière flamboyante de ce Cavalier de l’Apocalypse. Depuis Lincoln et Mc Kinley jusqu’aux frères Kennedy, l’Empire est coutumier de ce genre de faits divers. Mais étant un optimiste indécrottable, j’ai préféré imaginer un happy end à ce scénario-catastrophe, un happy end qui voit les multitudes triompher de l’Empire...

I - Extension du domaine de la guerre locale

Au bout de deux ans, l’Iraq est à feu et à sang. Les armées d’occupation sont allées de défaite en défaite, malgré l’augmentation de leurs effectifs. Elles ne contrôlent plus que quelques quartiers de Bagdad, quelques petites villes et quelques zones désertiques pratiquement inhabitées. La bataille de Falloujah, initiée le 14 octobre 2004, apparemment achevée le 20 novembre 2004, a repris de plus belle le 10 janvier 2005 et s’est achevée par une défaite anglo-US le 28 janvier.

Il va sans dire que les élections ont été reportées au mois de juin 2005. Les pertes US et britanniques ont été très lourdes : 470 morts et un millier de blessés. Tout le monde civilisé a été bouleversé par le drame qui a frappé le bataillon écossais des Forces spéciales de Sa Majesté : 12 de ses membres, capturés par la brigade des Moujahidine du jardin des Délices, ont été exécutés proprement dans Falloujah assiégée. Ils n’ont pas été décapités mais fusillés, après l’échéance de l’ultimatum d’une semaine fixé par les résistants pour que les troupes d’occupation se retirent. Comment l’enregistrement vidéo de cette exécution est-il parvenu à Al Jazira ? Ce sont les mystères de la technologie des communications.

En tout cas, cette vidéo a déclenché une avalanche d’événements en Grande-Bretagne : licenciement du rédacteur en chef de la BBC qui avait décidé de diffuser la cassette, suivi d’une grève de 15 jours des journalistes de la BBC - une première dans l’histoire séculaire de cette institution ; déclenchement d’une grève de la faim des députés nationalistes au Parlement écossais exigeant le retrait des militaires écossais engagés en Iraq ; 60 députés travaillistes anglais opposés à l’occupation se mettent à leur tour en grève de la faim pour exiger le retrait de toutes les forces britanniques ; ils sont bientôt imités par 30 députés et conseillers régionaux italiens, 3 députés polonais, 4 députés ukrainiens et, last but not least, par 12 membres du Congrès et du Sénat US.

En l’espace d’une semaine, on ne peut plus tenir le compte des parlementaires en grève de la faim. Tout le monde s’y met, de l’Albanie au Japon, à la Corée du Sud et à l’Australie.

C’est dans cette situation plus qu’embarrassante pour la Maison Blanche et le Pentagone qu’a lieu le deuxième 11 septembre : le samedi 12 février 2005, 22 jours après la nouvelle prestation de serment de George Bush, un hélicoptère bourré d’explosifs s’écrase en plein milieu d’Eurodisney à Marne-la-Vallée, où se trouvent des milliers de visiteurs. L’explosion et l’incendie qui s’ensuivent font 320 morts, dont 250 enfants, et 1 400 blessés. Une demi-heure après l’explosion, George Bush déclare : « La France doit tirer des conclusions de ce nouveau forfait de l’Axe du mal et rejoindre la Coalition qui défed la liberté du monde. »

Une équipe du FBI débarque dès le lendemain à Paris pour assister la DST dans l’enquête sur l’attentat, qui n’est pas revendiqué. 3 jours plus tard, les enquêteurs procèdent à l’arrestation de deux hommes de nationalité indéterminée, mais qui avouent très vite - trop vite ? - qu’ils ont participé aux préparatifs de l’attentat d’Eurodisney et que celui-ci a été commandité par les Moukhabarat (services secrets) syriens. Rumsfeld se précipite à Paris, s’enferme 4 heures avec Chirac, Villepin et Alliot-Marie et déclare à la sortie de l’Élysée : « Toutes les pistes mènent à Damas. »

Le lendemain 17 février 2005, Bush s’adresse au monde depuis la Maison blanche et Chirac fait de même depuis l’Élysée. Les deux hommes font le même diagnostic mais ont des recettes différentes : le Texan annonce des frappes imminentes de représailles contre la Syrie, tandis que le Corrézien annonce la saisine d’urgence du Conseil de Sécurité des Nations unies pour qu’il condamne la Syrie et et décrète un embargo total contre la Syrie. 48 heures plus tard, après le blocage de la motion française et US au Conseil de sécurité - la Russie a opposé son veto, la Chine s’est abstenue, le Royaume-Uni a voté pour -, l’aviation US commence à bombarder Damas et ses environs.

Le Palais présidentiel est détruit, mais Bachar El Assad et son entourage se sont mis à l’abri quelques heures plus tôt. La moitié de la population damascène a été évacuée de la capitale. La première nuit de raids fait 1 200 morts, essentiellement des femmes et des vieillards. Sur Al Jazira, Bachar El Assad annonce le déclenchement de la “Grande guerre patriotique et islamique pour la survie de la Nation arabe et islamique”. Une série d’attaques-éclair menées par des commandos syriens contre les installations israéliennes du Golan occupé provoquent la mort de 21 soldats israéliens.

Ariel Sharon, hospitalisé pour quadruple pontage coronarien, décrète la mobilisation générale des tous les soldats d’active et des réservistes. Le 20 février 2005, quatre divisions israéliennes foncent sur le Syrie en tirant sur tout ce qui semble s’opposer à leur progression à travers la Cisjordanie. 3 000 volontaires de la mort iraniens arrivent en Syrie et se mettent sous les ordres de Bachar El Assad, promu Commandant suprême du Jihad par le grand Mufti de la République.

Pendant ce temps, en France, l’opinion, les médias et les partis politiques se déchirent. Deux camps s’affrontent : ceux qui refusent de participer à la nouvelle guerre déclenchée par Bush et ceux qui appellent à rejoindre l’Empire dans sa nouvelle Croisade. Parmi les premiers, on ne cache pas qu’on suppute, derrière l’attentat d’Eurodisney, la main de la CIA et du Mossad. Mais comment prouver cela ? Parmi les seconds, dont certains “souverainistes”, l’argument de choix est celui-ci : « C’est une honte de laisser les Américains nous venger tout seuls. »

Au cinquième jour de bombardements US sur la Syrie et de combats au sol entre armée syrienne et armée israélienne, la France décide, à l’issue d’une réunion-marathon de crise qui aura duré douze heures, de participer à l’intervention contre la Syrie. En 48 heures, une Coalition est mise en place, regroupant les USA, la Grande-Bretagne, l’Italie, la Pologne, le Danemark, la Tchéquie, la Hongrie, la Bulgarie, l’Ukraine et l’Australie.

La Turquie, sollicitée pour mettre son territoire à la disposition des troupes de cette nouvelle Coalition, baptisée “Donald & Mickey” (en hommage aux victimes d’Eurodisney), finit par donner son accord. En échange les Européens ont fait miroiter à Ankara que les négociations pour l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne seraient accélérées.

II - Un an plus tard : défaites tactiques...

Un an plus tard, en février 2006, le bilan est désastreux. La Syrie n’a pas plié et l’Iran, attaqué par la Coalition, est entré à son tour pleinement dans la guerre. Gaza s’est proclamée “République populaire islamique de Palestine” et la guerre bat son plein en Cisjordanie. Le Hezbollah a occupé une bande de 30 km dans le nord d’Israël. Hamid Karzaï est mort, victime d’un missile tiré sur sa résidence et Gulbuddin Hekmatyar a proclamé la “République islamique d’Afghanistan”. Les troupes d’occupation occidentales ont quitté précipitamment l’Afghanistan et l’Iraq.

Toute l’année écoulée a été ponctuée de manifestations, en général violemment réprimées, un peu partout, de l’Italie à l’Égypte, de l’Arabie saoudite à l’Indonésie. Au Vénézuela, le président Hugo Chavez, après avoir échappé à une tentative d’assassinat durant un coup d’État, s’est réfugié avc ses partisans dans les montagnes et a établi un “Front bolivarien de libération” avec des Vénézuéliens, des Panaméens, des Colombiens et des Équatoriens. Le nouveau régime de Caracas, dirigé par un banquier autoproclamé président et un général nommé Premier ministre, fait face à une opposition virulente de la partie pauvre de la population.

En Chine, plusieurs milliers d’Ouïghours, de Kirghizes et de Mongols, constitués en Front de libération du Turkstan oriental, sont passés à la lutte armée et se livrent à des combats de guérilla contre l’armée chinoise. En Thaïlande, en Indonésie et aux Philippines, on compte désormais une douzaine de zones libérées. Les régimes de ces pays, abandonnés par les USA, qui avaient trop à faire au Moyen-Orient et en Amérique centrale, sont menacés d’effondrement.

III - Deux ans plus tard : le début de la fin

Nous sommes en février 2007. À Mexico, le président Vicente Fox assiste sidéré, à la télévision, au “Congrès mondial pour la libération de l’humanité”, organisée dans le Chiapas par l’Armée zapatiste de libération nationale. Craignant des attentats et des représailles contre ses diplomates dans le monde, le Mexique a bien été forcé de laisser entrer dans le pays les centaines de délégués de mouuvements de libération des 5 continents.

À ce congrès, où ne participe ni Danielle Mitterand ni aucun chercheur du CNRS français, une plateforme est adoptée, qui appelle à une “offensive généralisée de tous les peuples de la planète contre l’Empire du crime”. La plateforme détaille ensuite tous les modes possibles de résistance et d’attaque contre les ennemis de l’humanité, depuis les mouvements non-violents de désobéissance civile jusqu’aux actes de lutte armée. Les congressistes, après avoir écouté les témoignages de combattants des quatre coins de la planète et analysé les événements depuis le 11 septembre 2001, concluent : « Toutes les formes de combat sont licites sauf les attentats aveugles mettant en danger la vie de civils innocents. Nous laissons les attentats meurtriers aux défenseurs de l’Axe du Mal, aux ogres de l’Empire »...

On apprendra plus tard que 50 congressistes originaires de quatre continents ont décidé de rester au Chiapas après le Congrès et de participer à la lutte locale. Ils ont été nommés “zapatistes d’honneur”...

IV - Trois ans plus tard : défaites stratégiques...

Le soulèvement de Riyad et Jeddah, préparé depuis 3 ans, est une réussite complète. La République d’Arabie est proclamée. Elle est dirigée par un triumvirat, deux hommes et une femme. La famille royale a perdu son pouvoir, mais 2 000 de ses 5 000 membres se rallient à la république et sont accueilis chaleureusement par le nouveau pouvoir. Le ramadan qui suit, deux mois plus tard, entrera dans l’histoire comme le ramadan de la “Nahdha” (renaissance). Nous sommes en avril 2008. Au Mexique, entretemps, la zone libérée s’est étendue du Chiapas à d’autres États : Oaxaca, Morelos et Guerrero. L’Armée zapatiste compte maintenant 60 000 combattants.

Le président mexicain qui a succédé à Fox, Jorge Castañeda Gutman, fait officiellement appel à Washington et à l’OEA pour demander une aide militaire et financière. Il s’oppose à une fin de non-recevoir de Washington, qui semble complétement hébétée près le retrait de ses troupes de tout le Moyen-Orient. De plus, la situation aux USA est très grave : au Montana, une milice patriotique a pris le contrôle de la moitié de l’État et proclamé une république autonome. Les anciens États mexicains de Californie, Floride, Nouveau-Mexique, Arizona et Texas, sont tous en ébullition : trois camps s’y sont formés.

Le premier camp, qui représente 40% de la population, est favorable à un retour des États au Mexique, auquel ils appartenaient jusqu’au XIXème siècle. Il regroupe des hispanophones, des anglophones et diverses comunautés indiennes. Le second camp, qui représente 30% de la population, est en faveur de l’indépendance de chaque État. Il est surtout fort en Californie, où son chef de file n’est personne d’autre qu’Arnold Schwarzenegger !

Le troisième camp, minoritaire, représente au maximum 20% de la population. Il est favorable au maintien dans les États-Unis. Les 10% restants ne se prononcent pas
La “marche américaine de la libération” va accélérer les événements. Partis de San Cristobal de Las Casas le 10 avril 2008 - pour l’anniversaire de l’assassinat d’Emiliano Zapata le 10 avril 1919 - les combattants zapatistes sont rejoints en cours de route par des dizaines de milliers de volontaires qui se sont équipés d’armes et de provisions par leurs propres moyens. C’est une armée populaire de 200 000 hommes et femmes qui fait son entrée dans Mexico le Premier Mai 2008.

Le président élu s’enfuit en...Angleterre, comme son illustre prédécesseur Porfirio Diaz un siècle plus tôt. Un gouvernement provisoire révolutionnaire est mis en place, qui émet aussitôt cinq décrets dits de “bonne gouvernance” :

1 ° - La terre et les moyens de production passent sous le contrôle de ceux qui les travaillent ;
2° - Instauration d’un revenu minimu de vie qui sera prélévé sur les recettes pétrolières et des autres richesses minérales du pays
3° - Autonomie des communautés locales et des États
4° - L’État fédéral devient un simple coordinateur technique des travaux publics et des services nationaux
5° - L’armée et la police fédérales sont dissoutes et remplacées par une Milice populaire décentralisée.

V - Les haricots sont cuits : happy end !

Le 15 mai, après un référendum qui a porté au pouvoir fédéral un Conseil de gouvernement constitué de 12 personnes, le peuple mexicain décide de récupérer ses territoires volés par les USA. Le 15 juin, cinq colonnes de 50 000 combattants chacune - vérittable “multitude en armes” - prennent le contrôle d’Austin, capitale du Texas, de San Francisco (Californie), de Miami (Floride), d’Albuquerque (Nouveau-Mexique) et de Phoenix (Arizona).

Un mois plus tard, George Bush, hagard, signe le traité de rétrocession des cinq États aux États-Unis du Mexique. Très peu d’habitants de ces États feront usage de la possibilité qui leur est offerte de s’exiler pour aller se réinstaller aux États-unis “restants”.

La campagne électorale US se présente très mal. Les finances de l’Empire sont définitivement exsangues. L’État d’Israël a perdu en trois ans un million d’habitants juifs, qui ont préféré aller tenter leur chance ailleurs. Un nouveau parti est apparu en Israël/Palestine : le Parti de Canaan, qui milite pour la création d’un seul État en Palestine/Israël. Un État démocratique fondé sur un principe simple : « Une personne, une voix »

Ce parti risque d’envoyer une quinzaine de députés “juifs”, palestiniens et russes à la prochaine Knesset. Privé de subsides US depuis un an, l’État d’Israël a perdu beaucoup de son arrogance et ses chefs ne demandent qu’une chose : ils sont prêts à négocier une “solution globale”. C’est que leur seule préoccupation est de sauver leur peau. Depuis qu’ils ont envoyé 10 000 jeunes gens se faire tuer en Syrie, en Cisjordanie et en Iran, ils ne se déplacent plus qu’en convois blindés, poursuivis par la colère des “mères, soeurs et femmes en noir”, qui les harcèlent à chaque occasion.

Retour à Washington : depuis que sa femme Laura est morte dans un accident d’hélicoptère, George Bush n’est plus que l’ombre de lui-même et tient des discours totalement incohérents, entrecoupés de bouts de prières.

L’administration de Washington, le Congrès et le Sénat envisagent sérieusement de le destituer pour raisons médicales. Nous sommes en septembre 2008. Tiendra-t-il le coup jusqu’à la fin de son mandat le 20 janvier 2009 ? Nul sur terre ne le sait. En attendant, pour la première fois dans l’histoire des USA, le Parti républicain s’est divisé en deux factions - l’une dite “impérialiste”, l’autre dite “retraitiste” -, qui présenteront chacune un candidat à l’élection présidentielle.

Le candidat néo-démocrate Alberto Haydar Gonzalez, de père porto-ricain et de mère libanaise chiite, a toutes les chances d’être réélu. Roulant à bicyclette, il a adopté un slogan électoral simple : « L’Amérique, juste un pays parmi d’autres. » L’heure de la fin de l’Empire a sonné, les multitudes ont triomphé...

Messages

  • Paris et Washington, alliés objectifs contre la Syrie

    13/11/04 - Le Monde

    On les dit inconciliables sur l’Irak, divergents sur le dossier israélo-palestinien, dissonants sur l’appréhension du risque nucléaire iranien. Sans bruit ni fanfare, pourtant, George W. Bush et Jacques Chirac sont parvenus cet été à se mettre d’accord sur au moins un dossier du Proche-Orient : la Syrie et le Liban. Le 2 septembre, après trois mois de discussions discrètes, la France et les Etats-Unis ont parrainé ensemble au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution, la 1559, qui somme la Syrie de desserrer l’étreinte qu’elle exerce depuis maintenant vingt-huit ans sur le pays du Cèdre.

    Confirmée le 19 octobre par une déclaration unanime des 15 membres du Conseil de sécurité, la 1559 réclame le départ des 14 000 soldats syriens qui, quatorze ans après la fin de la guerre civile et quatre ans après le retrait militaire israélien des confins sud du pays, stationnent encore au Liban. Soumise à révision par le secrétaire général de l’ONU, qui devra dire le 19 avril 2005 ce qu’il convient de faire si elle n’est pas respectée, la résolution réclame aussi "la dissolution et le désarmement de toutes les milices libanaises et non libanaises".

    Aussitôt rejetée par Damas et son gouvernement d’affidés à Beyrouth comme une insupportable ingérence dans leurs affaires intérieures, la résolution, qui ne comporte pour l’instant ni date butoir ni menace de sanction, a été plutôt mal comprise.

    Dans le monde arabo-musulman, beaucoup s’étonnent de cette alliance entre la puissance occidentale la plus fermement opposée à la guerre préventive en Irak et l’administration américaine la plus vilipendée de l’histoire. En Europe, nombre de diplomates se demandent ouvertement "quelle mouche a bien pu piquer Jacques Chirac pour qu’il se jette ainsi dans la gueule du loup américain".

    S’agit-il d’un véritable tournant historique dans la politique arabe de la France ? Est-ce la fin des illusions entretenues depuis si longtemps par cette stratégie gaullienne ? Ou bien, comme on le craint dans certaines chancelleries amies, la France, prenant acte de la domination américaine dans la région et poursuivant des objectifs propres, s’est-elle laissé entraîner dans un jeu risqué dont elle ne détient pas toutes les cartes ?

    FRONTIبRE POREUSE AVEC L’IRAK

    L’administration Bush, chacun le sait au Proche-Orient, se moque pour l’instant comme d’une guigne de ce petit pays compliqué et sans pétrole d’à peine 5 millions d’habitants appelé Liban. Il y a pour elle plus urgent. La Syrie, cent fois plus vaste, quatre fois plus peuplée et dirigée depuis des lustres par la dernière dictature baasiste de la planète, est sa véritable cible.

    Elle l’est d’autant plus, depuis deux ans, qu’il existe 620 km de frontière commune et poreuse entre la Syrie et l’Irak occupé, que ces deux pays ont plusieurs grandes tribus sunnites en commun, que des milliers de combattants arabes sont passés par Damas pour rejoindre les résistances anti-américaines de Fallouja et d’ailleurs, et que le régime héréditaire dirigé par le jeune Bachar El-Assad depuis la mort de son père en 2000 n’est crédité, à Washington, "d’aucune confiance".

    Sauf quand elle veut noyer le poisson, la diplomatie américaine ne pratique plus guère ce qu’on appelait jadis "l’ambiguïté constructive". On prête à David Satterfield, adjoint au sous-secrétaire d’Etat chargé de la région, d’avoir tenu cet été à Bachar El-Assad ce propos menaçant : "Monsieur le président, vous n’avez à nos yeux que deux options : être Kadhafi ou Saddam Hussein." En clair, soumission ou suicide politique.

    Accusé à son tour de développer un programme d’armes de destruction massive et surtout de ne pas expulser comme on lui en intime l’ordre les représentants des factions radicales de lutte contre l’occupation israélienne des territoires palestiniens, la Syrie, dont la région du Golan est également occupée par Israël depuis 1967, subit depuis mai un programme de sanctions économiques américaines qui ne peut que s’alourdir si le jeune président devait rechigner à la collaboration étroite qu’on attend de lui. Pour l’instant, il coopère.

    Le régime a déployé plus de 12 000 soldats sur sa frontière irakienne, accepté les patrouilles communes. Il multiplie les gestes de bonne volonté envers cet empire qui le menace. Pour Washington, "travaillé" par les groupes de pression pro-israéliens qui veulent un renversement complet du régime ennemi à Damas, la résolution 1559 n’est vraisemblablement qu’une étape. Pour Paris, le texte onusien est pratiquement une fin en soi. "Nous avons voulu marquer une limite, dit-on dans l’entourage de Jacques Chirac. Après deux années d’avertissements amicaux, ignorés à Damas, nous avons voulu dire à Bachar, "Stop ! Sur le Liban, vous n’irez pas plus loin.""

    LA COLبRE DE JACQUES CHIRAC

    C’est l’histoire d’une confiance trahie. Unique chef d’Etat occidental présent aux obsèques de feu Hafez El-Assad, premier président à recevoir son héritier à l’Elysée, Jacques Chirac, qui s’est par ailleurs beaucoup investi pour aider le nouveau venu à réformer son pays en douceur - processus incidemment jugé "beaucoup trop lent" à Paris -, s’est senti purement et simplement berné, floué par son jeune protégé.

    "Le président, explicitent les diplomates de la région, a constamment été très clair avec Bachar : nous comprenons les liens étroits qui unissent depuis toujours Damas et Beyrouth. Mais le Liban est notre seule assise régionale et, là-bas, notre allié s’appelle Rafic Hariri. Il est premier ministre, c’est un ami personnel de M. Chirac et c’est sur lui que nous comptons pour assainir le pays, remettre de l’ordre dans ses structures et entreprendre les profondes réformes nécessaires à son sauvetage financier. Alors, s’il vous plaît, laissez-le travailler en paix !"

    Lorsque Jacques Chirac comprend, dès juin, que Damas qui, par la menace ou la corruption, contrôle tout à Beyrouth, y compris les nominations des plus petits fonctionnaires, s’apprête à faire reconduire son homme lige à la tête de l’Etat du Cèdre - le général Emile Lahoud, ennemi intime de Rafic Hariri et opposant acharné aux réformes -, son sang bouillonne.

    En 2002, M. Chirac avait littéralement mouillé sa chemise pour sauver le Liban de la banqueroute, téléphonant lui-même aux émirs du Golfe, aux dirigeants japonais et à d’autres pour obtenir, sur sa parole et la promesse que les réformes seraient accomplies, 4 milliards de dollars. Deux ans après, l’argent s’est pratiquement envolé, siphonné en partie par la corruption.

    Aucune réforme d’importance n’a pu être menée à terme. Emile Lahoud a été reconduit le 3 septembre pour trois ans et "l’ami Hariri" a été poussé à la démission le 21 octobre. C’est peu dire que "le régime autiste de Damas", comme on l’appelle désormais à Paris, a ignoré la France. Et, comme tous ses familiers le savent, le président n’aime pas qu’on lui manque. Plus qu’un coup de sang donc, mais pas de révolution dans la politique arabe de Paris.

    La goutte d’eau de trop, selon les interlocuteurs du Monde dans les trois capitales concernées, est tombée en avril quand la Syrie a annoncé qu’un gros contrat gazier de 750 millions de dollars, guigné par le groupe Total, était attribué en présélection à un conglomérat anglo-américain. "Que voulez-vous, plaide un proche du dossier, on ne peut pas empêcher un régime aux abois comme celui-là, dans la conjoncture actuelle, de faire des cadeaux à ses ennemis plutôt qu’à ses amis..."