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Retraites : pourquoi le Conseil Constitutionnel peut retoquer la réforme

Publie le mardi 9 novembre 2010 par Open-Publishing

de Elie Arié

La réforme des retraites, fleuron du sarkozysme, est entérinée. Pourtant ses opposants ne s’avouent pas vaincus. Le Parti Socialiste notamment compte saisir le Conseil Constitutionnel sur différents points de la réforme. Ce dernier peut-il prendre à contre pied le gouvernement et botter la réforme hors de l’esprit constitutionnel. La réponse mardi ou mercredi. Mais Elie Arié avance dès maintenant ses éléments de réponses.

Rappelons d’abord que le rôle du Conseil Constitutionnel est de dire si des textes de lois sont conformes à la Constitution, qui n’énonce que des principes politiques et philosophiques généraux : il s’agit donc d’un travail moins juridique que d’interprétation ; c’est pourquoi il est composé en majorité non pas de juges, mais de politiques (ayant souvent , mais pas toujours, une formation juridique : c’est notamment le cas de tous les anciens Présidents de la République, qui en sont membres d’office), et que ses arrêts sont totalement imprévisibles.

Peut-on imaginer qu’il rejette les deux critères d’âge (62 ans pour le droit de prendre sa retraite, 67 ans pour celui de prendre sa retraite à taux plein quelle que soit la durée des cotisations) de cette réforme des retraites ? Je crois que ce n’est pas impossible.

Le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 dit : « La nation garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. » ; voyons les conséquences des deux nouvelles limites d’âge sur cet impératif constitutionnel.

La France est le pays au monde où les vieux travailleurs sont définitivement sortis le plus tôt du marché du travail : 59,4 ans en moyenne, ce qui signifie beaucoup plus tôt pour certains d’entre eux ; en portant l’âge minimum de la retraite à 62 ans, cette réforme augmentera le nombre de ceux qui devront vivre jusqu’à 62 ans d’allocations chômage, voir de ceux qui, pour certains d’entre eux, arriveront en fin de droits : le Conseil Constitutionnel pourrait alors considérer que la nation ne garantit plus à un nombre croissant de « vieux travailleurs la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »

Ceci est encore plus flagrant pour la limite d’âge des 67 ans : qui embauchera demain des caissières de plus de 60 ans (surtout lorsqu’elles auront été toutes remplacées par des caisses automatiques) ? Combien d’entre elles atteindront la fin des droits avant 67 ans ? De quoi vivront-elles jusque là ?

Le Conseil Constitutionnel pourrait très bien considérer que la France a contrevenu au onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 en ne mettant pas en place une politique d’emploi des vieux avant de reculer ces deux limites d’âge de la retraite ; il pourrait s’appuyer sur l’exemple de l’ Allemagne, où l’âge minimum de la retraite sera, certes, porté à 67 ans en vingt ans, mais à condition que le taux d’emploi des plus de 55 ans augmente parallèlement : plusieurs étapes sont prévues, et, à chacune d’elles, si ce taux d’emploi n’a pas augmenté, le recul progressif de l’âge de la retraite sera suspendu : c’est ainsi seulement que ce recul pourra entraîner une augmentation de la durée du travail, et non une augmentation de la durée du chômage.

On pourrait objecter à ce raisonnement que cet état de fait existait déjà avant la réforme, puisque l’âge moyen de liquidation des retraites, dans le privé, est de 61,6 ans, alors que l’âge moyen de départ définitif du monde du travail est de 59,4 ans ; mais, dans le passé, le Conseil Constitutionnel a souvent considéré que les principes de la Constitution ne pouvaient pas toujours être intégralement appliqués, et que tout était une question de mesure ; ainsi a-t-il considéré, dans sa décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, liée à la réforme Douste-Blazy instituant la franchise de 1 euro par boîte de médicaments, que le montant de cette franchise n’était pas assez élevé pour qu’il remette en cause les exigences de garantie de la santé de ce même onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : mais si, cette fois-ci, il considérait qu’avec les nouvelles limites d’âge des retraites, la mesure était dépassée ?

On imagine facilement les conséquences politiques d’un rejet de cette réforme par le Conseil Constitutionnel pour Sarkozy, qui en avait fait « la mère de toutes les réformes » et la preuve de sa fermeté...Il se retrouverait totalement à poil.

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