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Hommage à Jules Durand au Havre, un « Dreyfus ouvrier »

Publie le jeudi 25 novembre 2010 par Open-Publishing
3 commentaires

Le 25 novembre, jour anniversaire du centenaire de l’infâme verdict qui condamna à mort le syndicaliste révolutionnaire havrais Jules Durand, un hommage était organisé dans le cimetière Sainte-Marie. Une cérémonie sans précédent.

Ce n’est pas tous les jours que des drapeaux syndicaux flottent dans un cimetière. Mais le 25 novembre est un jour particulier pour les syndicalistes et les militant-e-s progressistes réuni-e-s devant le monument Jules Durand. Des militant-e-s de la CGT, de Solidaires, du syndicat de la Magistrature, du syndicat des avocats de France, des élu-e-s havrais-e-s (PCF, PS, Verts), Daniel Colliard (ancien maire communiste), des membres du Parti de gauche, du NPA, de la Ligue des droits de l’Homme, d’Amnesty international… étaient présents ce matin pour se souvenir de l’action et du martyre de l’ex-secrétaire du syndicat des charbonniers du Havre.

Jules Durand fut en effet condamné à mort le 25 novembre 1910 par la cour d’assises de la Seine-Inférieure suite à une machination patronale. L’arrêt du tribunal précisait que Durand devait être guillotiné « sur l’une des places publiques de la Ville de Rouen ». Un verdict ignoble qui rendit fou un homme intègre entièrement dévoué à la cause ouvrière. Interné à l’asile d’aliénés de Quatre-Mares, Jules Durand décéda le 20 février 1926. Son innocence avait été reconnue en juin 1918. Trop tard…

À la suite de Patrick Ben Bouali, bâtonnier des avocats du Havre, plusieurs intervenants (Marc Hédrich du Syndicat de la Magistrature, Claudine Lelièvre de la LDH, Pierre Lebas de l’Union locale CGT, Stéphane Hauguel du Théâtre de l’Ephémère) rappelèrent l’histoire des luttes des années 1910 tout en faisant le lien avec celles de 2010. Un siècle après, la colère gronde toujours contre les exploiteurs, les profiteurs, les affameurs qui nous gouvernent. En conclusion, Christiane Delpech, petite fille de Jules Durand, expliqua avec émotion les ravages que fit le verdict monstrueux dans la famille Durand. Des gerbes et des bouquets furent ensuite déposés par l’union locale CGT, le syndicat des dockers, le syndicat CGT du PAH, les avocats et magistrats du Havre, la LDH et Solidaires.

« Bien moins connue du grand public que les affaires Dreyfus, Seznec et Dominici, l’affaire Jules Durand est pourtant la plus grande erreur judiciaire que la France ait probablement connu au XXème siècle, précisa Marc Hédrich. Si le premier combat pour l’innocence de Jules Durand a été gagné par tous ceux qui se sont mobilisés avant son procès et après sa condamnation à mort, il nous reste à mener le combat contre l’oubli qui constitue à l’évidence une seconde injustice à l’égard de Jules Durand. »

Samedi prochain, à Paris, un hommage sera rendu à Jules Durand pendant le congrès annuel du Syndicat de la Magistrature. Réunis en assemblée générale, les magistrats havrais se sont par ailleurs prononcés très majoritairement pour qu’une salle d’audience du tribunal de grande instance porte le nom de Jules Durand pour « perpétuer la mémoire de ce Dreyfus ouvrier ». La hiérarchie judiciaire s’y oppose… Honorer un syndicaliste révolutionnaire doublé d’un anarchiste inspiré par Louise Michel et Émile Pouget (l’un des fondateurs de la CGT), ça défrise évidemment les hautes sphères.

De son côté, Pierre Lebas, secrétaire général de l’UL CGT, après avoir appelé à la vigilance pour que les libertés syndicales soient respectées dans les entreprises locales, a annoncé l’organisation de manifestations culturelles qui défendront les valeurs de Jules Durand. On se souvient qu’en 2007 le Théâtre de l’Éphémère avait monté avec succès la pièce d’Armand Salacrou, Boulevard Durand. Plus de deux mille personnes avaient applaudi la performance. Pour 2011, il serait notamment question que les comédiens puissent jouer des extraits du spectacle dans la salle d’audience du tribunal.

PACO sur Le Post.fr

Messages

  • Merci Paco pour la parution de cet article.

    Je n’ai pas pu y aller car il y avait un rassemblement de retraités à la sous préfecture mais j’ai pensé très fort à Jules Durand, victime d’une injustice sans nom et du patronat infâme.
    Allons nous bientôt retrouver le temps béni de la chasse aux syndicalistes ? Il semble que oui car la répression syndicale monte d’un cran chaque jour.

    La lutte continue !!!

  • Merci Paco d’avoir relaté cet hommage.Vive l’anarchie "le plus haut degré de l’ordre".

    • Lutte Ouvrière n°2209 du 3 décembre 2010

      Il y a cent ans : 25 novembre 1910, condamné à mort parce que syndicaliste

      Il y a cent ans, le samedi 25 novembre 1910, Jules Durand, secrétaire du syndicat des charbonniers du Havre, était condamné à mort. Le tribunal de Rouen l’avait jugé coupable de « complicité morale » dans l’assassinat d’un certain Dongé.

      L’affaire remontait à deux mois. En pleine grève des charbonniers du Havre, les dockers qui chargeaient et déchargeaient le charbon dans les soutes des bateaux, Dongé, un jaune notoire, décéda des coups reçus lors d’une bagarre d’ivrognes. Le patronat local, décidant de tirer profit de cet événement, trouva et stipendia des témoins pour affirmer à la police et à la presse que la mort de Dongé avait été votée en assemblée générale des grévistes. Les autorités du gourdin et celles de la plume n’ayant rien à refuser au patronat, Durand et plusieurs de ses camarades furent arrêtés. Les charbonniers reprirent le travail sans avoir rien obtenu.

      Les accusations contre Durand et les autres militants ne tenaient pas debout. Non seulement les grévistes n’avaient évidemment pas voté quoi que ce soit contre Dongé, mais Durand les avait prévenus contre toute forme de provocation. Car la colère des charbonniers risquait d’être à la mesure de leur exploitation. Ils étaient à l’époque quelques milliers à descendre dans les soutes des transatlantiques et des navires charbonniers pour pelleter le charbon. Embauchés à la journée, payés au rendement, soumis au bon vouloir des contremaîtres, risquant leur vie sous les éboulis à fond de cale, silicosés, les charbonniers étaient de plus tellement mal payés qu’une soupe populaire était installée à demeure sur les quais. Le patronat avait pris soin qu’y soient aussi installés en permanence de nombreux débits d’alcool et un poste de police.

      Ce sont ces « damnés de la terre » que Jules Durand et quelques militants avaient entrepris d’organiser en formant un syndicat, affilié à la CGT. Et c’est bien parce que ce jeune syndicat, déjà fort de quelques centaines de membres, menaçait de grandir encore que le patronat du Havre tenait à le briser.

      Cet épisode de la lutte de classe, comme il y en avait d’autres dans le pays à cette époque, prit une tournure nationale à cause de l’outrance de la condamnation à mort. Que la justice soit aveuglément pour le patronat, les travailleurs et le mouvement ouvrier en avaient l’habitude. Mais condamner à mort un homme pour le simple fait d’être un militant ouvrier, cela souleva l’indignation.

      Le lundi suivant le verdict, des milliers de travailleurs, et pas seulement des charbonniers, débrayaient au Havre et se rassemblaient pour exiger la révision du procès. La CGT et le Parti Socialiste entamèrent une campagne en ce sens, ponctuée de meetings et de manifestations dans toutes les villes de France. Jules Durand fut finalement libéré le 16 février 1911. Mais la prison, et probablement l’injustice, avaient eu raison de lui, il dut être interné et il finit ses jours dans un asile psychiatrique. La justice ne le réhabilita pleinement qu’en 1918.

      Aucun patron du Havre, aucun juge, aucun accusateur rétribué ne fut jamais inquiété.

      Paul GALOIS