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Aux larmes citoyens ! Autopsie d’un montage : le Téléthon

Publie le mercredi 1er décembre 2010 par Open-Publishing

Paris, décembre 2002

Les sabotages menés depuis quatre ans contre l’irruption des OGM
dans la société ont permis de retarder en Europe leur diffusion dans
l’agriculture et l’alimentation. En revanche les prétentions scientifiques
totalitaires de la génétique appliquées à l’homme sont rarement discutées.

C’est pourtant ce que nous voulons commencer à faire à travers la critique de l’incontournable Téléthon.

La mise en spectacle de maladies rares, sur le
mode du Téléthon, où le rôle de l’hérédité
semble important, permet aux généticiens de
déployer leur écran de fumée. Mais lorsque Daniel
Cohen, le mécano en chef du Généthon, s’exprime
dans Capital (mai 1996), il décrit son activité sans
détour : « Identifier les gènes qui conditionnent les maladies
(…) qui tuent entre 50 et 60 ans (…) Les maladies sur lesquelles
je travaille touchent beaucoup de gens solvables et ont
un fort impact économique. »* Où sont passées les myopathies
 ? L’essentiel est ailleurs. Il s’agit de généraliser
la conception réductionniste de la vie et de la maladie.

Pour lui, « toutes les maladies ont un bruit de fond génétique
 » bien que « le rôle des gènes de susceptibilité à telle ou
telle maladie ne se révèle qu’en fonction du mode de vie et
d’autres facteurs ». Pauvres malades ! Ils n’ont vraiment
pas de chance : des mutations hasardeuses dans leur
arbre généalogique les ont prédestinés à être sensibles
aux influences de l’environnement. Voilà comment,
dans leur monde à l’envers, les généticiens escamotent
l’essentiel, ou le considèrent comme annexe : les
conditions de vie destructrices qui sont les nôtres
aujourd’hui nous prédisposent à nombre de maladies,
et même à des mutations dangereuses, bien plus que
notre héritage génétique. Avec l’accélération de l’industrialisation du monde, les maladies se multiplient
 : d’anciennes pandémies reviennent au galop,
comme la tuberculose ; de nouvelles apparaissent,
comme le sida.

Le cancer est en expansion rapide, en
particulier à cause de l’accumulation de facteurs
mutagènes, des pesticides aux radiations nucléaires.
Fait symptomatique : le projet Génome humain est né
dans le département américain de l’Énergie, responsable
du programme nucléaire des États-Unis, dans le
cadre d’études sur l’identification des séquelles génétiques
dues à l’irradiation après Hiroshima et
Nagasaki. Dans cette oeuvre de progrès, l’industrie
pharmaco-médicale apporte sa pierre : ses « dommages
collatéraux », parfois mortels, que causent la
consommation de ses marchandises et la pollution
planétaire que crée leur production. Sur le terrain
social mortifère qu’elle contribue à ravager, elle va
même se refaire la santé. Après nous avoir gavés d’antibiotiques
à en crever, elle nous met en garde contre
leur « surconsommation ». Manifestement, elle prépare
leur relève : les nouvelles drogues qu’elle crée par
manipulation génétique.

La vision réductionniste de la vie, et donc de la
maladie, n’est pas apparue avec la génétique moléculaire.
Mais celle-ci amplifie et aggrave ce qui existait
déjà dans la physiologie à l’époque de Pasteur. Hier,
nous étions considérés comme des sacs d’organes.
Aujourd’hui, à en croire le noyau dur des généticiens
envoûtés par les théories de l’information, nous
serions, pour l’essentiel, de la conception à la mort,
gouvernés par le génome comme un ordinateur par
son microprocesseur. Rien d’étonnant que, pour ces
idéologues, la médecine relève de la programmation,
de la correction des altérations, réelles ou supposées,
des gènes. Ils comptent nous délivrer de nos bugs !
Bref, le gène pathogène est en train de prendre la place
du germe pathogène dans le rôle de l’ennemi public
numéro un. Ce qui présente l’immense avantage, pour
les gestionnaires de la domination, de rechercher dans
le génome de l’individu isolé, comme détaché de la
société, la cause essentielle de son « dysfonctionnement
 » et même les outils nécessaires à sa « réparation
 ». L’idéologie médicale modernisée ne fait que
traduire, dans le domaine de la santé, le phénomène
de destruction des relations sociales non marchandes
qui caractérise les conditions actuelles de survie.

Pour les modernes docteurs Knock, les
malades potentiels sont innombrables et le
mouvement de la faucheuse est réglé par la
loterie génétique. Mais le hasard a bon dos et les dés
sont pipés. Comme les facteurs pathogènes et mutagènes
dans « la société du risque » se multiplient,
nous avons toutes les chances de devenir malades
pour de bon. Cohen le sait et annonce clairement la
couleur : pas de remèdes à espérer avant « cinquante,
voire cent ans » pour l’immense majorité des maladies.

La médecine prédictive n’a rien à nous proposer
de neuf en termes de prévention. Nous avons affaire
ici à du chantage en règle. Dans l’attente de jours
meilleurs problématiques, nous sommes conviés à
vivre avec l’épée de Damoclès de la « prédisposition »
au-dessus de la tête et la peur au ventre. La peur de la
maladie alimente la demande croissante de sécurité et
de contrôle de la part des populations, contrôle d’esprit
policier évidemment car, comme des terroristes
réels ou supposés, les gènes pathogènes sont aussi
omniprésents qu’invisibles. Au besoin, les généticiens
inventent des gènes ad hoc, comme celui de
l’obésité, de l’homosexualité, du suicide, du crime, ou
du « goût pour la nouveauté »... La peur est le fonds
de commerce des mécanos de choc du Généthon. Ils
nous invitent à nous faire tester pour déterminer ce
qui est hors normes dans nos corps et dans nos
esprits, et quelles précautions nous devons prendre
au jour le jour en fonction de nos « prédispositions »,
comme citoyens responsables de notre « capital
santé » face à la société, grâce au « conseil génétique ».

C’est bien la forme moderne du bunker et de la camisole
de force que propose de fabriquer ladite médecine
prédictive. Nous sommes donc invités à nous placer
en permanence sous l’oeil soupçonneux des généticiens,
police en blouse blanche chargée de détecter
nos « déviances », en fonction du génome modèle
qu’ils imaginent, et de signaler à l’État ceux qui
s’écarteraient de la voie du « médicalement correct ».
Déjà, le décryptage du génome a des applications
considérables qui dépassent le cadre de la santé.
Grâce à lui, la Cour suprême de Californie a tranché
en faveur de l’accès aux fichiers médicaux y compris
génétiques par les compagnies d’assurances de façon
à rayer de leurs listes des milliers de personnes
« à risques », jugées peu rentables par les fonds de
pensions**. Manifestement, la médecine prédictive
ne soigne que les individus en bonne santé ! Pour le
reste, elle collabore avec la police : le fichage génétique devient obligatoire pour les prisonniers, et
bientôt pour les simples suspects, comme le souhaite
Sarkozy. Et déjà pour des populations entières
comme en Islande***. La main qui soigne est aussi
celle qui affame, bâillonne, emprisonne et tue.

L’État moderne a toujours fait appel à la médecine
pour justifier la coercition qu’il exerce. Avec
Pasteur, le contrôle social prit la forme socialement
acceptable du contrôle sanitaire des épidémies. Les
techniques pasteuriennes, de la vaccination obligatoire
à la mise en quarantaine, appliquées en premier
lieu au cheptel, le furent bientôt au cheptel humain.

Pour adapter les hommes aux cloaques urbains créés
par la révolution industrielle, la santé est devenue
affaire d’État. Les biotechnologies à usage médical
poussent encore plus loin la « gestion » des hommes
comme du bétail tout juste bon à être domestiqué
puisque, de l’aveu même de Daniel Cohen, c’est
« notre cerveau qui est en dessous de l’évolution de la société ».
Leur programme reprend celui de la génétique agricole,
qui se propose avec les OGM d’adapter la plante
à la surenchère des pesticides en intégrant dans son
génome la résistance au pesticide. Il s’agit à présent
d’adapter les individus à l’environnement social devenu
lui aussi invivable, quitte à manipuler leur génome.

Derrière l’écran de fumée de la philanthropie,
leur objectif apparaît clairement : c’est ce qu’il reste
de capacité de résistance à la domination qu’elles
veulent briser.

L’administration industrielle de la mort était
déjà le privilège de la domination. Grâce au
pouvoir que lui procure l’accession de la
génétique au statut de technoscience, c’est désormais
dans l’administration industrielle de la vie qu’elle fait
d’énormes progrès, sous les dehors aimables du progrès
médical et, ce, dès avant la naissance (FIV, DPI…).
La dépossession des individus en est encore aggravée :
ils deviennent encore plus étrangers à eux-mêmes.

La connaissance qu’ils peuvent acquérir d’eux-mêmes
est plus que jamais traitée comme quantité négligeable
face à la puissance prétendue sans limites des biotechnologies
auxquelles ils devraient s’abandonner pour
leur propre survie. Le monde qu’elles participent à
mettre en place n’est pas celui d’individus et de communautés
libres, capables d’affronter de façon aussi
consciente et autonome que possible ce qu’il y a de
douloureux dans l’existence humaine, à commencer
par la maladie et la mort. C’est celui des tartuffes scientistes
qui annoncent sans rire le règne de la santé parfaite
pour la fin du siècle… au milieu des décombres.

Cette guerre contre la vie et la liberté, comme
toutes les guerres de notre époque, est menée au

nom de l’humanitaire, par le biais de spectacles organisés
autour de maladies précises, comme les myopathies.
Le Téléthon donne bonne conscience aux
citoyens modèles, pétris de bonnes intentions moralisatrices.

Mais qui trouvent plus confortable aujourd’hui
de croire que les maladies sont dans les gènes,
comme ils ont cru hier qu’elles étaient dans les
microbes, de verser quelques larmes de crocodile et
de mettre la main au portefeuille sans plus se poser
de questions.

Quant à nous, nous disons sans détour que c’est
dans la confrontation avec une société qui crée et met
en spectacle les délires de pouvoir des nouveaux docteurs
Frankenstein que la question de la maladie,
comme toutes les autres questions qui nous tourmentent,
peut être réellement posée. C’est pourquoi
nous sommes aux côtés de ceux qui, comme René
Riesel, la combattent, par la plume et par d’autres
moyens, sans hésiter à revendiquer les sabotages
d’OGM, quitte à aller en prison.

Ce combat ne mène jamais au prix Nobel, mais
parfois dans les geôles de la République. C’est pourtant
le seul qui vaille la peine d’être tenté.

*Toutes les citations de D. Cohen sont tirées de son livre les Gènes
de l’espoir (1994).

**N’allez pas croire que « ça n’arrive qu’aux États-Unis », car en
France, depuis 1997, l’Institut national de recherche et de sécurité
(INRS), sous l’égide de la Caisse nationale d’assurance maladie
(CNAM), a lancé un programme de recherche sur les bases
biologiques et génétiques des prédispositions à certaines maladies
professionnelles.

***En octobre 2000, les anti-OGM ont inauguré l’un des premiers
contrôles policiers génétiques après la destruction d’une parcelle
de maïs transgénique à Longué, dans le Maine-et-Loire. Quelques
gouttes de sang auraient été découvertes sur un épi heureusement
arraché. Les citoyennistes d’Attac et de la Confédération paysanne
décidèrent de participer au contrôle génétique en crachant sur
un buvard. Voir Textes et Documents… sur la deuxième campagne contre
le génie génétique, netmc.9online.fr


Le Téléthon et le complexe génético-industriel

Le Téléthon est le produit de la rencontre entre un
laboratoire en manque de reconnaissance sociale et de
financement, le Centre d’étude du polymorphisme
humain (CEPH) et une association à la recherche
désespérée de perspectives scientifiques, l’Association
française contre les myopathies (AFM). De cet hybride
entre le CEPH et l’AFM est née une nouvelle forme
d’organisation de la recherche, une sorte de lobby
techno-scientifique, qui a ensuite permis une réorientation
générale de la recherche en Génétique humaine
sur les vecteurs des génothérapies (thérapies cellulaires,
thérapies géniques et pharmacologie).

L’AFM a été créée en 1957 à l’époque où l’État, plus
marqué en France qu’ailleurs par l’idéologie pasteurienne
de la médecine infectieuse, considérait que les cas
particuliers, réels ou supposés, qui ne relevaient pas de
telles pathologies, étaient négligeables. Les politiques
sanitaires de l’État visaient, pour l’essentiel, à maintenir
la force de travail et à éviter les épidémies qui lui étaient
préjudiciables. Les myopathes, entre autres, mouraient
alors isolés dans l’indifférence générale, entretenue par
ailleurs par les apparatchiks de l’Assistance publique.

« Contre tous les dos tournés, la ville hostile, la médecine
absente, la recherche timorée, la presse silencieuse, j’ai décidé
de mener ce combat, le refus de la mort annoncée. » (Bernard
Barataud, cofondateur de l’AFM). Tant que l’AFM s’est
contentée d’initiatives élémentaires louables, entraide et
solidarité pour soulager les malades et leurs familles,
aide à la mobilité, maisons de soins, elle a fait oeuvre
utile.

Mais, moins d’un an après le premier Téléthon (1987),
l’AFM dut se rendre à cette conclusion : « Faute de pouvoir
attaquer la localisation de nos quarante maladies, nous en sommes
venus à financer la cartographie du génome humain. » (Barataud,
Au nom de nos enfants, 1992). Cette association de malades
devient alors, associée avec le CEPH, l’un des promoteurs
principaux du complexe génético-industriel en France. Le
Téléthon, en mettant en scène les myopathes, allait devenir
la vitrine larmoyante permettant de le financer, à grand renfort
de mobilisations de masse, partout relayées par : des
mairies, des écoles, des entreprises, des groupes sportifs,
des artistes, des militaires et même des détenus.

Le système CEPH-Téléthon-AFM veut alors en finir
avec l’amateurisme en génétique et industrialiser le mode
de recherche sur le modèle du nucléaire (Barataud était
spécialiste dans les interventions d’urgences nucléaires).
Il met en place l’infrastructure internationale nécessaire.
On s’éloigne alors des myopathes, dont le rôle se borne à
celui de faire-valoir d’une entreprise industrielle et scientifique.
Le Généthon (laboratoire créé par l’AFM et le
CEPH) établit en 1993 la cartographie du génome
humain (à différencier de son décryptage). Désormais,
l’entreprise dépasse largement le cadre de la lutte contre
les maladies dites orphelines et la « quête du Graal génétique
 » devient la règle pour masquer cet éloignement : les
campagnes de recherche sont nommées « Grande
Tentative » ou encore « Nouvelles Frontières ».

Avec la réaffirmation incessante du désintéressement,
on fait ce qu’il faut pour maintenir, malgré l’évidence, la
croyance en une solution proche : « Nous ne cherchons pas à
faire de l’argent avec nos recherches » ; « Nous voulons soigner les
malades » ; « Il est de notre devoir d’effectuer des recherches désintéressées,
dont les résultats sont mis à la disposition de la
communauté des scientifiques, sous le contrôle de l’Unesco », etc.
Belle façade humanitaire ! Mais la question n’est pas là. En
tant que telles, les maladies héréditaires n’intéressent pas
l’industrie pharmaceutique. Leur marché est minuscule.

Déjà, elle n’effectue presque aucune recherche et encore
moins d’investissement pour les grandes épidémies qui
ravagent la population mondiale, par exemple le paludisme.

Le marché n’est pas solvable. Alors, les quelques
milliers de myopathes... Si on consacre de gros efforts, via
le Généthon en France, à des maladies très rares, dites
orphelines, si des firmes comme EDF et France Télécom,
hier indifférentes, commencent aujourd’hui à le sponsoriser,
avec le Téléthon, c’est parce que les maladies rares présentent
l’énorme avantage d’être, à première vue, des maladies
génétiques presque « pures », pour lesquelles le facteur
héréditaire paraîtrait essentiel. À travers le Téléthon l’objectif
visé est la construction de l’acceptation sociale de la
génétique et de son expansion à tous les domaines : à
commencer par la médecine, dans laquelle on généralise
l’approche génétique à toutes les maladies, l’agriculture
avec les OGM ou encore la police avec les tests ADN.

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