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Marc Bloch (1886-1944) : la quête des origines

Publie le vendredi 3 décembre 2004 par Open-Publishing
2 commentaires


de Philippe Corcuff (démissionnaire de Charlie Hebdo-poussé vers la porte de sortie)

Chronique écrite pour Charlie Hebdo et non publiée dans Charlie Hebdo

“Dans le vocabulaire courant, les origines sont un commencement qui explique. Pis encore : qui suffit à expliquer.” Marc Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, 1940-43.

Marc Bloch (1886-1944) est le co-fondateur, avec Lucien Febvre, de la grande école historique française dite des “Annales”. Résistant et juif, il fut fusillé le 16 juin 1944. Dans son dernier livre, il appelait à une auto-analyse critique des historiens, trop dominés selon lui par “la hantise des origines”. “L’explication du plus proche par le plus lointain a parfois dominé nos études jusqu’à l’hypnose”, ajoutait-il. Or, ce point originel supposé tout expliquer lui apparaissait trop “fuyant”. Car pourquoi ne pas remonter toujours plus loin dans la vaine quête d’une explication qui se voudrait définitive et totale ? C’était pour lui une des formes que prenait “la superstition de la cause unique”, cette prétention de tenir dans sa main ce qui clarifierait l’ensemble de nos obscurités. L’intervention d’une vérité divine exclusive dans le domaine plus partiel, pluraliste et provisoire de la raison humaine.

On trouve des mises en garde similaires en philosophie. Ainsi, quand Ludwig Wittgenstein (1889-1951) s’interrogeait sur l’explication des rêves fournie par Freud (1856-1939), il empruntait des chemins analogues. Le philosophe viennois reconnaissait certes que le théoricien de la psychanalyse pouvait éclairer de manière neuve certains aspects de la réalité. Mais c’était son ambition totalisatrice, autour de l’association rêves/sexualité, qui coinçait. “Il voulait trouver une explication unitaire qui montrerait ce que c’est que rêver. Il voulait trouver l’essence du rêve. Et il aurait écarté toute idée qui aurait tendu à suggérer qu’il pouvait avoir raison partiellement, sans avoir raison absolument”, indiquait Wittgenstein (dans Conversations sur Freud, 1942-1946).

Dans la philosophie, dans les sciences ou dans la vie ordinaire, nous restons encore souvent fascinés par l’explication unique. Et cette explication unique renvoie fréquemment à la recherche de “l’origine”. Ce n’est pas étonnant, tant la culture contemporaine est nourrie d’usages approximatifs et sauvages de la démarche historique et du vocabulaire psychanalytique. Nous sommes donc invités à regarder sans arrêt dans le rétroviseur, pour tout comprendre (enfin !), au risque de ne plus voir la route qui s’ouvre devant nous. Nous avons la nostalgie de la simplicité : une fois la fameuse “origine” identifiée, tout se déroulerait de manière limpide. Les enfants nés sous x qui veulent absolument connaître leurs “parents biologiques” s’inscrivent dans ce fantasme de “l’origine”. Comme Catherine Allégret, qui croit avoir porté au jour “l’événement fondateur” qui rendrait tout transparent. Les angoisses, les doutes, les ambivalences, les hésitations, la pluralité des fils qui se nouent en nous comme la diversité des circonstances que nous traversons : tout cela serait aplani par le bulldozer de “l’origine”.

Cette attente d’un apaisement simplificateur fait fi des acquis des sciences sociales : les humains seraient, au contraire, des êtres pluriels constamment travaillés par l’histoire. Chaque humain se présenterait comme un processus continu. Ce serait une erreur, intellectuel et pratique, de se focaliser sur des points initiaux de nos parcours. Ce serait une impasse de vouloir nier les composantes d’incertitude et d’ambiguïté de nos itinéraires, et donc de refuser de vivre avec nos fragilités.

Messages

  • La mode des causes multifactorielles s’est lancée il y a 10 ou 15 ans quand les gens se sont mis à ne plus savoir réfléchir, à ne plus savoir choisir parmi les diverses contradictions afférent à un événement laquelle est la contradiction principale, comme aurait dit karl marx.

    Que quelqu’un ose dire que Marx était simpliste. je rigolerai bien.

    A+
    do
    http://mai68.org

  • Marx simpliste ? Totalitaire ? . Tentation humaine. Euréka ! j’ai trouvé LE truc. MOI - .
    Qui va pas tout expliquer, mais qui va tout résoudre. Ach, zimple. Pas fatiguant et efficace. le complexe tue l’efficacité. J’enrobe, pour faire plaisir à ceux qu’aiment discuter pour montrer qu’on est pas des veaux, qu’on existe et qu’on mérite de prendre une - bonne - part du gateau.
    Vous en reprendrez ? EPM. Et puis merde. Si je sais ce que je veux, inutile de finasser. Mes ennemis (Ceux qui convoitent ce que je convoite moi- même) ont leurs raisons. - Les leurs . Et j’ai les miennes.
    Quelles sont les meilleures, hein ? A votre avis ? On discutera longtemps, mais ce seront les rapports de force qui emporteront la décision. Alors, autant simplifier tout de suite. L’hypocrisie met de l’huile dans les rouages sociaux.ca tourne plus longtemps, plus vite, et ça explose.
    N’empêche pas l’Homme d’être ce qu’il est, un Humain - peut- être - en devenir. De plus en plus improbable.
    Après tout ça, il y a les exceptions. Les Saints. Les Laîques et les autres. Et quelques uns d’entre nous qui prennent conscience de leur maladie, et tentent de se soigner. Amen
    Pas d’accord ? t’as de la chance d’être en démocratie. Et de pas avoir lu un - vrai - livre d’Histoire.