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Tunisie : les intellectuels français ne pipent mot

Publie le samedi 15 janvier 2011 par Open-Publishing
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De Jack Dion - Marianne

Jack Dion interpelle les philosophes, tel Bernard-Henri Lévy, qui n’ont pas réagi aux manifestations en Tunisie. Pas un mot sur Ben Ali. Deux poids, deux mesures : ces intellectuels avaient fustigé, par exemple, la répression chinoise au Xinjiang, voilà un an et demi. Ou encore la condamnation de Sakineh.

Il y a des gens qui font profession d’indignation permanente ; des acharnés de la pétition, prêts à se mobiliser pour la moindre cause ; des professeurs de morale sans frontières ; des esthètes intransigeants de la cause humanitaire, surtout quand l’objet de leur courroux est géographiquement éloigné de l’hexagone. Or personne ne les entend à propos de ce pays très proche qu’est la Tunisie, ce pays francophone où un dictateur sénile agonise sous nos yeux, emporté par un peuple qui refuse de se coucher.

Les syndicats français se sont déclarés « solidaires » du peuple tunisien. Ils se sont « indignés » à juste titre de certaines déclarations de ministres du gouvernement Fillon, pour le moins gênés aux entournures. Des avocats ont lancé un appel international en soutien à la contestation populaire qui s’exprime de l’autre côté de la Méditerranée.

Mais chez les intellectuels, médiatiques ou pas, rien. Silence dans les rangs. Motus et bouche cousue.

Où est passé André Glucksmann, qui surveille la Russie de Poutine jumelles en mains ? Que devient donc Bernard Kouchner, qui a du temps maintenant qu’il n’est plus en charge d’un poste ministériel ? Quant à l’ineffable Bernard-Henri Lévy, sa Sainteté de Saint-Germain-des-Près, il s’est contenté de lancer un appel aux hackers à pirater et bloquer les sites internet officiels sur le site Twitter de sa revue en ligne, « La règle du jeu ». C’est tout ? C’est tout.

BHL doit être trop occupé à préparer le trentième anniversaire de sa revue, qui aura lieu en 2020, et pour lequel il entend inviter tout le gratin de la cour médiatique, ce qui fait du monde. Il ne va donc pas se laisser perturber par les événements regrettables de Tunisie, où il n’y a eu, jusqu’ici, que 66 morts, pour la plupart tués par balles. Et puis, question solidarité, BHL a trop à faire avec Sakineh, aux prises avec le pouvoir iranien.

Sur son site internet, le philosophe préféré d’Arielle Dombasle détaille « son activité », « sa biographie », « son œuvre » , « sa philosophie » (parrainée par le célèbre Jean-Baptiste Botul), « ses combats ». Le dernier nom qui apparaît au chapitre des « combats » est toujours celui de Sakineh, dont la cause est au demeurant parfaitement louable. Mais il n’est pas question de la Tunisie, comme si ce pays n’existait pas.
Étrange situation qui rappelle combien certains esprits ont une conception hémiplégique des droits de l’homme. Imaginons ce que si se passerait si un tel drame se jouait sous d’autre cieux. Que dirait-on si la clique au pouvoir à Pékin, comme elle en est hélas capable, envoyait la troupe contre des manifestants aux mains nues ? Ou si Chavez faisait tirer sur la foule dans les rues de Caracas ? Ou si l’un des Castro brothers suivait le même exemple dans les rues de Cuba ?

Quand ils sont à géométrie variable, les principes n’existent plus. Certains disent qu’il ne faut pas trop froisser Ben Ali en raison des bons et loyaux services rendus par la Tunisie dans la lutte contre l’islamisme. A ce compte-là, il fallait laisser opérer Poutine en Tchéchénie, et il ne fallait pas dénoncer la répression chinoise au Xinjiang, en août 2009, contre les Ouïgours, musulmans turcophones travaillés au corps (et à l’esprit) par des fous de Dieu à la chinoise. Pourquoi ce deux poids deux mesures ?

Cette logique de la non-intervention est la pire qui soit. Jusqu’ici, dans le mouvement populaire qui emporte la Tunisie, les barbus ont brillé par leur absence. Mais rien ne dit que l’on en restera là. En bloquant tout le système politique, en interdisant toute opposition, en se comportant comme un petit Ceaucescu local, Ben Ali a lui-même créé une situation qui ne peut que faire le jeu, à terme, des pires extrémistes, à commencer par les intégristes.

Le meilleur moyen d’éviter une telle issue, c’est d’aider les démocrates tunisiens qui luttent contre l’inacceptable, et non de les abandonner aux mains d’éventuels apprentis sorciers.

http://www.marianne2.fr/Tunisie-les-intellectuels-ne-pipent-mot_a201655.html

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