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Peut-on critiquer Israël ? Le sionisme est-il un obstacle à la paix ? Peut-il y avoir une paix juste avec le sionisme ?

Publie le dimanche 6 février 2011 par Open-Publishing
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Intervention à Vannes (29 janvier 2011)

Par Pierre Stambul

(Bureau National de l’Ujfp)

Peut-on critiquer Israël ?

Le sionisme est-il un obstacle à la paix ?

Peut-il y avoir une paix juste avec le sionisme ?

Dans une guerre qui dure en fait depuis près d’un siècle, une issue ou un compromis auraient dû intervenir depuis longtemps. Pourquoi n’est-ce pas le cas ?

Le sionisme et la théorie du « transfert ».

La colonisation sioniste et la création de l’Etat d’Israël se sont accompagnées d’un négationnisme total (j’emploie intentionnellement ce mot qui est très chargé symboliquement dans l’Histoire juive) vis-à-vis des Palestiniens. Dès le départ, pour les futurs Israéliens, la Palestine n’existe pas. Dans les livres scolaires israéliens, on nie l’existence d’un peuple palestinien. On explique que les Ottomans ont installé dans la région des populations venues de diverses régions de l’empire et peu importantes numériquement. Il s’agit de justifier a posteriori un des mensonges fondateurs, l’idée (proférée par Zangwill) de la « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». On y ajoute contre toute vraisemblance quelques énormités comme l’idée que les Juifs auraient toujours vécu en « Eretz Israël » ou qu’ils sont majoritaires à Jérusalem depuis les années 1800.

Bien sûr, les dirigeants sionistes avaient bien conscience à leur arrivée que les Palestiniens représenteraient un obstacle à leur projet. Les futurs dirigeants Ben Gourion et Ben Zvi pensaient (ils l’ont écrit en 1918) que ces « fellahs » qui vivaient en Palestine étaient probablement descendants des Hébreux (ils n’avaient pas tort) et que donc, ils accepteraient le projet sioniste (là bien sûr, ils se trompaient). À l’époque, même dans la gauche européenne, le colonialisme est considéré comme un phénomène positif, le monde européen apportant la civilisation à des peuples moins développés. Mais dès l’arrivée des premiers colons sionistes, ce qui est mis en place, c’est une dépossession progressive des Palestiniens de leur propre pays. Le KKL (Fonds National Juif) s’approprie par tous les moyens des terres pour les Juifs. L’Agence Juive crée les embryons d’un futur Etat Juif dans lequel les Non-juifs n’ont aucun droit. Le syndicat Histadrout défend dans ses statuts le « travail juif ». Quand les Palestiniens réalisent ce qui est à l’œuvre, c’est la première grande révolte (Hébron 1929). Dès cette époque, le courant « révisionniste » du sionisme dont le dirigeant est Vladimir Jabotinsky élabore la théorie du transfert. Puisque les Palestiniens sont décidés à résister, il faut élever entre les Juifs et eux une muraille infranchissable. Le concept de ce qui deviendra 70 ans plus tard le Mur (de l’apartheid) est né. Il propose de déporter les « Arabes » au-delà du Jourdain.

Le sionisme a gommé les différences idéologiques. Dire « gauche sioniste », c’est un oxymore. La droite sioniste a toujours dit et fait. La prétendue gauche sioniste a utilisé la novlangue. Elle a fait et elle continue de faire ce que la droite dit.

Dans l’idée de transférer les Palestiniens, les dirigeants sionistes ont reçu une aide précieuse de la part du colonisateur britannique quand celui-ci a réprimé la révolte palestinienne de 1936 (plus de 12000 morts et toute « l’élite » palestinienne exilée). En 1948, le transfert (l’expulsion des Palestiniens) était programmé avec le plan Dalet. La préméditation de cette entreprise, constamment proclamée par les Palestiniens a été confirmée par les historiens israéliens (entre autres Ilan Pappé) au moment de l’ouverture des archives. Une petite minorité de Palestiniens a échappé à la Naqba (la catastrophe) et a pu rester. 50 ans plus tard, l’historien sioniste Benny Lévy qui a pourtant reconnu les crimes de guerre de la guerre de 48 estime qu’il aurait fallu tous les expulser. Pour gagner les élections de 2001, Ariel Sharon a fait campagne sur le mot d’ordre « achever la guerre de 48 » et donc expulser tous les Palestiniens, y compris ceux qui ont la nationalité israélienne. En 1967, la conquête et la colonisation étaient programmées. En 1993, signer les accords d’Oslo sans une remise en cause prévue des centaines de milliers de colons établis à Jérusalem et en Cisjordanie n’avait aucun sens.

Aujourd’hui en Israël et c’est tragique, une majorité de l’opinion pense que, tout comme les Amérindiens des Etats-Unis ou les Aborigènes d’Australie, les Palestiniens deviendront à terme totalement marginalisés et incapables de réclamer leurs droits. Les seules nuances portent sur la façon d’en finir (déportation, encerclement dans des bantoustans, Etat palestinien croupion, institutionnalisation de l’Apartheid …). Pour cette opinion, la « légitimité » d’un Etat juif allant de la Méditerranée au Jourdain est indiscutable et les Palestiniens sont des intrus et des terroristes. Les mots d’ordre mille fois répétés (« Arafat est un nouvel Hitler », « les Palestiniens veulent continuer l’œuvre des Nazis ») deviennent des évidences à force d’être martelés.

Une manipulation de l’Histoire et de la Mémoire juives

Il faut lire les sites sionistes pour mesurer l’étendue de la névrose collective actuelle. Des résistants juifs comme Stéphane Hessel ou Edgar Morin sont accusés d’antisémitisme. D’authentiques néonazis regroupés dans une délégation de 35 parlementaires européens d’extrême droite visitent Israël et sont reçus à la Knesset sans aucune protestation. Jean-Marie Le Pen arrive en troisième position aux élections présidentielles dans le vote des Français vivant en Israël. Des crimes évidents et avérés sont niés : le jeune Mohamed tué dans les bras de son père devant la colonie de Netzarim à Gaza, les Turcs du Mavi Marmara accusés d’avoir agressé les soldats israéliens, la mort — après avoir reçu une grenade— d’une Palestinienne de Bil’in présentée comme une manipulation ... Comment en est-on arrivé là ? Sans le sionisme, c’est incompréhensible.

Le sionisme est une réponse, fausse, à l’antisémitisme. Il repose dès le départ sur une « théorie de la séparation », l’idée que l’antisémitisme est inéluctable, que Juifs et Non-juifs ne peuvent pas vivre ensemble. Les sionistes n’ont joué qu’un rôle négligeable dans la lutte contre l’antisémitisme et dans la lutte contre les pogromistes. Au contraire dès le début, ils ont utilisé l’antisémitisme pour inciter les Juifs à partir.

Pour un tel projet, il a fallu récrire l’histoire. D’abord à qui s’adresser ? Il existait de nombreuses communautés juives ayant une communauté de destin liée à la religion. Ces communautés avaient des langues différentes (ladino, judéo-arabe, yiddish …), des coutumes et des rites différents. Les sionistes ont présenté la diaspora comme une parenthèse inintéressante faite de souffrances à laquelle le « retour » mettrait fin. Alors que la majorité des fondateurs du sionisme n’étaient pas croyants, ils ont utilisé la Bible comme un livre de conquête justifiant un projet colonial.

Les plus grands archéologues israéliens (Finkelstein et Silberman) ont écrit dans « La Bible dévoilée » que le discours biblique est légendaire. La thèse de ce livre fait, sauf sur des détails, très largement consensus parmi les historiens et les archéologues. La conquête sanglante de Canaan par Josué n’a pas existé. Et pourtant, quand on traverse la Cisjordanie, on rencontre plein de colonies aux jolis noms bibliques (Efrat, Shilo, Eli, Kiryat Arba …) dont les habitants sont persuadés qu’ils reviennent sur la terre de leurs ancêtres et reproduisent l’acte de Josué. À l’époque du prétendu royaume unifié de David et Salomon, Jérusalem était un petit village de l’Age de Fer. Et pourtant dans le quartier de Silwan à Jérusalem-Est, on exproprie des Palestiniens pour faire visiter la « maison de David », le « Parc de David » …La migration des Hébreux depuis la Mésopotamie n’a pas eu lieu. Mais à Hébron, pour que les Israéliens aient seuls la possession du prétendu tombeau d’Abraham (le caveau des Patriarches), un colon extrémiste a tué 29 Palestiniens.

Dans son livre « Comment le peuple juif fut inventé », Shlomo Sand met à bas les mythes fondateurs du sionisme : il n’y a eu ni exil, ni retour. La religion juive, qui a été longtemps prosélyte, s’est dispersée mais pas le peuple. Autrement dit les Juifs d’aujourd’hui sont majoritairement descendants de convertis et les Palestiniens sont majoritairement descendants … des Hébreux. Les sionistes qui entreprennent de réfuter ces deux livres utilisent des arguments invraisemblables, comme l’idée que la « Terre Sainte » aurait eu trois millions d’habitants au moment de la destruction du Temple.

Aujourd’hui en Israël, le « mal absolu », c’est l’Arabe, c’est l’Islam. Le pays partage avec les dirigeants américains la même conception du monde. On trouve en Israël de plus en plus de textes décrivant la vie qu’ont menée les Juifs du monde arabe comme un enfer. Là encore, l’histoire est manipulée. Le statut de « dhimmi » accordé à toutes les religions du livre dans les pays musulmans n’a certes rien à voir avec la citoyenneté, mais c’était une forme de protection et cela n’a rien à voir avec le traitement des minorités dans le monde chrétien. Avant le sionisme, il n’y a eu en pays musulman rien de comparable aux pogroms qui se sont multipliés en Europe.

Il existe plusieurs périodes dans ce qu’on appelle l’antisémitisme. Pendant 15 siècles en Europe, il y a eu l’antijudaïsme chrétien. Judaïsme et Christianisme ont été longtemps en concurrence. Quand le christianisme a triomphé, il a imposé toute une série d’interdits dont la possession de la terre, il a enfermé les Juifs dans des quartiers confinés, il a propagé des stéréotypes racistes et a été à l’origine de nombreux pogroms ou expulsions collectives. C’est paradoxalement la sortie du ghetto et l’émancipation des Juifs en Europe qui a provoqué le passage le passage de l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme racial, le juif personnifiant l’obstacle à tous les nationalismes européens qui rêvaient d’Etats ethniquement purs.

Là aussi, les sionistes réécrivent l’histoire. Ils essaient de faire croire que pendant ces longs siècles d’oppression, les Juifs rêvaient d’un « retour à Jérusalem ». C’est bien sûr faux. Quand l’empire ottoman a offert asile aux Juifs chassés d’Espagne, ceux-ci sont allés à Salonique ou Smyrne et pas en Palestine. Les sionistes passent sous silence le fait que toutes les personnalités juives ou d’origine juive devenues célèbres, de Spinoza à Freud en passant par Marx ou Einstein n’ont rien à voir avec le sionisme. Ils oublient le rôle fondamental des femmes et des hommes d’origine juive dans les mouvements progressistes. Un parti comme le Bund, parti révolutionnaire juif dans l’empire tsariste était profondément antisioniste. Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, le projet sioniste était très minoritaire chez les Juifs et moins de 5% des Juifs du monde entier avaient immigré.

Les sionistes ont inventé l’idée que les communautés juives du monde entier, des Polonais aux Falachas, des Marocains aux Baltes formaient un même peuple. Ils se sont acharnés à effacer les langues, les cultures et les traditions pour imposer une identité unique, une langue unique, un « homme nouveau » avec les clichés colonialistes du pionnier se battant et défrichant son pays. Ils ont utilisé la religion et une idée de race pour définir qui était juif et avait donc tous les droits dans le futur Etat juif et qui ne l’était pas. Ils ont cultivé le « complexe de Massada » selon lequel les Juifs ont été, sont et seront toujours des victimes. Au nom de ce complexe, la souffrance et l’identité de « l’autre » n’existent plus. D’ailleurs, le deuxième pays après la Turquie à nier le génocide arménien est Israël, comme si le seul génocide existant était celui des Juifs.

D’où vient l’impunité d’Israël ?

Face à l’opinion publique mondiale, la légitimité d’Israël vient de deux idées. Le sionisme serait un mouvement de libération national et l’idée d’un Etat Juif en Palestine serait indiscutable après le génocide nazi.

Examinons cela. Le sionisme a curieusement puisé dans un terreau idéologique commun à tous les nationalismes européens de la fin du XIXème siècle. À l’époque de la chute des empires multinationaux, l’équation un peuple = un Etat s’est imposée avec le rêve fou d’Etats ethniquement purs. Cette idée meurtrière a été la cause de nombreuses guerres et elle a contribué à la montée du nazisme. Le sionisme a été un nationalisme très particulier puisqu’il a dû inventer le peuple et choisir artificiellement un territoire. Cette affinité idéologique avec les pires nationalismes explique l’admiration que Jabotinsky avait pour Mussolini.

La déclaration Balfour (1917) éclaire les rapports des sionistes avec les dirigeants européens. Les antisémites qui deviennent idéologiquement hégémoniques à cette époque considèrent les Juifs comme des étrangers « asiatiques » inassimilables. Balfour était, comme la plupart des politiciens de l’époque, un antisémite. Faire de la Palestine un foyer juif avait un double but. D’un côté se débarrasser des Juifs européens et de l’autre coloniser le Proche-Orient. Bref les Juifs qui étaient des parias en Europe devenaient des Européens s’ils partaient en Palestine.

Les sionistes ont-ils joué un rôle dans la résistance juive au nazisme ? Un faible rôle, cette résistance a été essentiellement communiste et bundiste. Pire, certains sionistes ont été aveugles ou complices. Ainsi Ben Gourion en 1933 a brisé le boycott de l’Allemagne nazi décrété par les Juifs américains. Et le futur Premier Ministre Itzhak Shamir, un des dirigeants du groupe Stern, a fait assassiner des soldats britanniques jusqu’en 1943 alors que le génocide avait déjà provoqué des millions de morts en Europe.

Après la guerre, il y a un consensus mondial pour la création de l’Etat d’Israël. Pour les Soviétiques, c’est l’espoir d’affaiblir l’empire britannique. Les armes tchèques livrées à la Haganah joueront un rôle important dans la guerre de 48. Pour l’Europe, il y a l’idée de la « fin du problème juif », puisqu’ils auront désormais un pays. Après 1945, il y a dans des camps en Europe des centaines de milliers de survivants du génocide. Le Yiddishland a disparu, ils demandent des visas pour différents pays. Contraints ou forcés, ils finissent par partir en Palestine. L’Europe s’est débarrassée de son crime sur le dos du peuple palestinien qui n’avait pas la moindre responsabilité dans le génocide. La propagande sioniste affirme l’inverse en pointant du doigt le seul dirigeant palestinien pronazi, le mufti Amine El Husseini. Dans son livre « Les Arabes et la Shoah », Gilbert Achkar montre que le mufti était totalement isolé.

Il n’y a donc pas sentiment de culpabilité des Européens sur l’antisémitisme mais soulagement. Réparer la persécution aurait été dire « vous avez été des parias, vous connaîtrez désormais égalité et fin des discriminations ». On leur a dit : « maintenant vous avez un pays, vous partez quand vous voulez ». Bref les Européens qui soutiennent inconditionnellement Israël ne sont pas franchement philosémites.

Le jeune Etat israélien a très mal accueilli les rescapés du génocide accusés par les religieux de s’être mal conduits et par les sionistes d’avoir été déportés et exterminés passivement au lieu de se battre pour « leur » pays. Ces rescapés sont toujours maltraités puisque la moitié des survivants vivant en Israël sont sous le seuil de pauvreté, faute de retraites décentes. Dès la fin des années 50, l’Etat d’Israël voit le profit à tirer d’une récupération complète de la question du génocide. C’est l’époque de la création du musée Yad Vashem (sur le territoire du village martyr Deir Yassine) et du procès Eichmann. Israël se présente comme un havre de paix pour les Juifs du monde entier. Il est vrai que beaucoup de Juifs ne savaient pas où aller ou que la résurgence d’un puissant antisémitisme en Europe de l’Est détachait les Juifs de ces pays du communisme et les poussait à vouloir émigrer. Mais en même temps, le sionisme a mis en danger les Juifs du monde arabe où ils vivaient depuis très longtemps et a provoqué leur exode. Aujourd’hui, s’il y a bien un pays où les Juifs sont en insécurité, c’est Israël et il en sera ainsi tant que durera la destruction de la Palestine. L’assimilation systématique de toute critique d’Israël à l’antisémitisme est grotesque. Israël n’a aucun droit de propriété sur l’antisémitisme ou le génocide. Au contraire, les ressemblances idéologiques entre ce qui a mené au fascisme et ce que font les dirigeants israéliens (la négation de « l’autre ») mériteraient d’être davantage examinées. À l’antisémitisme traditionnel s’ajoute aujourd’hui un « antiisraélisme » que les sionistes veulent assimiler à l’antisémitisme.

Israël est devenu, ce qui n’était pas inéluctable, une tête de pont occidentale au Proche-Orient. C’est aujourd’hui la raison principale du fait que, quelques soient les crimes commis, il n’y a jamais de sanctions. L’Etat d’Israël surarmé, dépensant l’essentiel de son budget dans l’armement et les technologies de pointe, c’est l’Etat rêvé par les dirigeants occidentaux. Penser qu’ils souhaitent un Etat d’Israël vivant en paix et sur un pied d’égalité avec les Palestiniens est une illusion. Dans leurs rapports avec les Etats-Unis, les dirigeants israéliens savent que tout leur est permis vis-à-vis des Palestiniens et que jamais les Etats-Unis ne les en empêcheront. Obama vient d’en faire la preuve.

La destruction de la Palestine

Il n’y a pas de génocide en Palestine. Pendant le massacre de Gaza (l’opération « plomb durci »), il y a eu 1400 morts et de nombreux crimes de guerre. Cela représente 0,1% de la population de Gaza. Il est plus exact de parler de « sociocide », de destruction du lien social, de l’économie, de l’unité territoriale.

L’occupation a fait éclater la Palestine en 5 entités distinctes.

 Il y a avant tout les réfugiés. Les Palestiniens sont un peuple de réfugiés. La première violation flagrante et impunie de l’Etat d’Israël a été de ne pas appliquer la résolution 194 de l’ONU (décembre 1948) qui reconnaît le droit au retour des réfugiés. Non seulement ce retour des 800000 expulsés a été immédiatement interdit, mais la quasi-totalité de la terre palestinienne a été confisquée par l’Etat ou le KKL. Des centaines de villages palestiniens ont été rayés de la carte et dynamités. Parmi les associations anticolonialistes israéliennes, il y en a une, Zochrot, qui recherche tous les anciens villages palestiniens et les fait visiter aux descendants des expulsés. Il y a aujourd’hui plus de 4 millions de Palestiniens qui dépendent de l’UNRWA, sans compter ceux qui ont émigré hors du Proche-Orient. Pour les Israéliens, ce sont des « Arabes » et les pays arabes n’ont qu’à les intégrer. C’est du négationnisme. Nier le droit au retour des réfugiés, c’est nier le crime fondateur, le nettoyage ethnique de 1948-49.

 Il y a les « Palestiniens de 48 » qui ont théoriquement la nationalité israélienne. Dans un Etat qui se dit Juif, ils sont desétrangers dans leur propre pays. Ils subissent de très nombreuses discriminations à la possession de la terre, au logement, à l’éducation et au travail. De très nombreux métiers leur sont interdits. Les taux de chômage ou de pauvreté chez eux sont très supérieurs à ceux des Israéliens juifs. Il existe de nombreux villages palestiniens non reconnus sans eau, sans électricité, sans route, sans école. La situation des Bédouins du Néguev est particulièrement scandaleuse. Plus de 100000 d’entre eux vivent dans des bidonvilles en plein désert. Dès qu’ils construisent un village, celui-ci est détruit à l’image du village d’Al-Araqib déjà détruit 9 fois. Les Palestiniens de 48 votent pour 3 partis : le parti communiste (Hadash), le Balad et le Ta’al. La répression contre eux est féroce. Le fondateur du Balad, Azmi Bishara, s’est exilé pour éviter la prison. Autre députée du Balad présente sur le Mavi Marmara, Haneen Zoabi a été agressée en pleine Knesset. Et Ameer Makhoul, le principal animateur d’Ittidjah, l’ONG qui défend les droits civiques des Palestiniens de 48, est en prison pour de nombreuses années, accusé « d’espionnage ».

 Il y a Gaza, devenu un laboratoire à ciel ouvert. Une région surpeuplée (4000 habitants au kilomètre carré) dans laquelle 8000 colons ont longtemps occupé 40% de l’espace. Les Palestiniens ont eu des élections législatives parfaitement démocratiques et ils ont été cruellement punis d’avoir « mal » voté. Le blocus qui prive les Gazaouis de nourriture, d’électricité, d’eau, de ciment, de matériel scolaire en quantité suffisante et qui leur interdit de sortir ou de pêcher est un crime de guerre. Briser ce blocus est urgent et la prochaine flottille qui partira en mai a une grande importance. La division des Palestiniens qui n’ont pas d’Etat mais qui ont deux gouvernements rivaux est une grande victoire de l’occupant. Pour les Israéliens, l’essentiel est de « ne pas avoir de partenaires pour la paix ». Quand les Palestiniens étaient majoritairement laïques, les Israéliens ont pourchassé et assassiné leurs militants en favorisant la montée des religieux. Quand le Hamas est devenu puissant, ses dirigeants (le Cheikh Yassine, Ahmed Rantissi) ont été assassinés sans jugement. En Israël, la population de Gaza a été « déshumanisée » dans l’opinion, assimilée à une bande de terroristes, ce qui explique l’absence quasi totale de réaction d’indignation lors de « Plomb durci ». L’évacuation de Gaza par Sharon a été un trait de génie. Les Palestiniens sont en train de devenir majoritaires entre Méditerranée et Jourdain. Sans Gaza, les Juifs israéliens seront encore majoritaires pendant longtemps.

 Jérusalem est devenu un point central de la guerre. Quand les Israéliens ont conquis Jérusalem-Est en 1967, il y avait la vieille ville et quelques quartiers autour. Jérusalem-Est s’étend aujourd’hui de Ramallah à Bethléem sur 4% de la Cisjordanie. Dans cette ville, il y a 300000 Juifs Israéliens à l’Ouest, 270000 Palestiniens à l’Est et 250000 colons. La judaïsation de Jérusalem-Est se fait à marche forcée. Les colonies périphériques comme Pisgat Zeev sont progressivement intégrées à l’espace urbain grâce notamment au tramway construit par Alstom et Véolia. Tout est prétexte pour construire de nouvelles colonies. Ainsi la forêt qui existait entre Jérusalem et Bethléem a brûlé le premier jour des négociations Barak-Arafat. C’est aujourd’hui la colonie de Har Homa qui arrive aux fenêtres de la mairie de Bethléem. La judaïsation frappe à présent les quartiers palestiniens. Déjà un quart de la vieille ville a été confisqué et ses habitants expropriés. Ce sont aujourd’hui les quartiers de Sheikh Jarrah et Silwan qui sont attaqués. On est clairement à Jérusalem dans une guerre de conquête où tout est permis.

 Enfin la Cisjordanie. Les Palestiniens y sont beaucoup plus nombreux que les colons, mais ces derniers les encerclent et les asphyxient. On assiste à une colonisation spatiale. Les Israéliens installent partout des stations- service, des zones industrielles, des décharges et la terre palestinienne est inexorablement réduite. Les colonies existantes disposent d’énormes espaces pour s’agrandir. Certaines sont devenues de véritables villes. Les Chrétiens sionistes américains, qui sont accessoirement des antisémites, ont largement financé la colonisation. La frontière internationalement reconnue n’existe plus et il faut une carte française pour s’apercevoir que l’autoroute Tel-Aviv/Jérusalem traverse les territoires occupés ou que l’usine de cosmétiques Ahava est en Cisjordanie. Toutes les grandes villes palestiniennes sont encerclées par les colonies et le mur. Celui-ci prive la Cisjordanie d’une large partie de son territoire. La vallée du Jourdain est quasiment totalement annexée. La Cisjordanie est morcelée avec trois statuts différents (zones A,B et C) et des centaines de check-points. L’annexion n’est plus rampante, elle est omniprésente. Quand on traverse la Cisjordanie par les routes de contournement, on ne voit plus la Palestine. Pour aller de Ramallah à Bethléem, les Palestiniens doivent faire un large détour et utiliser des routes chaotiques. L’économie réelle est réduite à peu de choses faute de possibilité d’investir et de commercer. Les Palestiniens en sont réduits à devoir acheter leur eau aux Israéliens. Bref, comme l’a écrit Zyad Clot, « il n’y aura pas d’Etat palestinien » car l’occupant a détruit la possibilité d’en faire un.

Quelle paix ?

Les Palestiniens ont fait une concession majeure en 1988 à Alger en acceptant de limiter le futur Etat palestinien à 22% de la Palestine historique. C’est sur cette base qu’ont été signés les accords d’Oslo et cela a été un gigantesque fiasco et un marché de dupes. Les Palestiniens ont reconnu Israël et Israël n’a fait que reconnaître l’OLP. Il n’a jamais été question pour les dirigeants sionistes d’accepter de rendre les territoires occupés et, soit d’évacuer les colons, soit de les pousser à accepter la nationalité palestinienne. Il n’a jamais été question de reconnaître le droit au retour des réfugiés. Entre la signature des accords d’Oslo et son assassinat, en un an et demi, Rabin a installé 60000 nouveaux colons. Pourquoi ?

À aucun moment, les négociations ne sont parties du droit international ou de l’égalité des droits entre deux peuples numériquement de même importance. La négociation a porté sur la « sécurité de l’occupant » et les accords ont attribué à l’Autorité Palestinienneun rôle de collabo avec l’occupant qui est aujourd’hui très critiqué par les Palestiniens. Même à Gaza, le Hamas subit le même phénomène. Gouverner sans souveraineté ne mène nulle part.

Une vraie négociation devrait partir de la reconnaissance du crime fondateur (le nettoyage ethnique de 1948) et des moyens de « réparer ». Commencer par là, c’est dire que le projet sioniste est illégitime. Les Blancs sud-africains ont pu dire que l’Apartheid était un crime pour faire la paix, les sionistes ne peuvent pas reconnaître la Naqba. Avec le sionisme, les Palestiniens seront toujours des intrus, les plus modérés cherchant à atténuer leur malheur.

La paix passe donc par un dépassement du sionisme ou une rupture avec le sionisme. L’existence d’un Etat Juif est illégitime. Rappelons que le seul « Etat Français » a été le régime de Vichy. Le droit international ne reconnaît que des sociétés où toutes les personnes, quelles que soient leurs origines ou leur religion, ont les mêmes droits. L’Etat Juif tel qu’il existe ne laissera jamais de place aux Palestiniens et ne peut pas accepter l’égalité des droits. La paix supposerait la fin de l’occupation, de la colonisation, le partage du territoire et des richesses, l’égalité des droits. Avec le sionisme, c’est impossible.

Le peuple israélien existe même s’il y a beaucoup à dire sur la façon dont il s’est formé. Shlomo Sand dit à ce propos qu’un enfant né d’un viol a droit aussi à l’existence. Même lui qui est partisan de deux Etats dit qu’un Etat Juif ne peut pas être démocratique. Si la paix passe par deux Etats, il n’y a aucune raison que ce soit sur la base 78%-22%.

La politique sioniste est aujourd’hui à la fois criminelle contre les Palestiniens et suicidaire pour les Israéliens. En détruisant la possibilité de deux Etats, les Israéliens vont se retrouver avec une lutte citoyenne pour les droits civiques dans ce qui ressemble de plus en plus à un Etat unique. Ils sont prêts à écraser les Palestiniens jusqu’au bout.

Nous n’avons pas le choix. Pour arrêter cette fuite en avant criminelle, vue l’absence durable de sanctions de la part des Etats, les citoyens doivent répondre à l’appel de 172 associations palestiniennesqui date de 2005 : BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). Boycott total : commercial, économique, politique, scientifique, culturel, sportif … de l’Etat d’Israël tant que durera l’occupation. Il faut atteindre l’image d’Israël. Face à Michèle Alliot-Marie qui prétend que boycotter est un acte antisémite, il faut opposer ce que dit un anticolonialiste israélien, l’universitaire Neve Gordon : « je suis pour le boycott, c’est la seule façon de sauver mon pays ».

Pierre Stambul

Messages

  • merci P BARDET pour la transmission de cet article , très interessant et qui restitue bien LE contexte historique et politique du problème israelo/palestinien .

    Je suis d’accord pour utiliser l’arme du boycot contre israêl, dommage que cette action ne soit pas suffisamment relayée et popularisée.

    Quand à ceux qui refusent, ce boycot sous prétexte qu’il serait antisémite , alors qu’il s’agit d’une action entièrement pacifique soutenu par des juifs qui vivent en ISRAEL et qui ne peuvent être soupçonnés d’être antisémites ,je leur demande ce qu’il pense du boycot imposé par les USA à CUBA en violation des résolutions de l ONU ? et je leur rappelle que le boycot a également été utilisé contre l AFRIQUE DU SUD au temps de l’apartheid alors si ce type d’action était légitime pour lutter contre le racisme pourquoi serait-il illégitime pour lutter contre l’expanSIONISME israélien ?


  • « RIFIFI À BEYROUTH »

    LE LIBAN AU CŒUR DE LA TOURMENTE ARABE

    1. Le modèle libanais

    Par l’analyse concrète d’une situation concrète, politique, économique ou militaire, l’observateur cherche à connaître les protagonistes, les forces, les faiblesses et les objectifs stratégiques de l’acteur dominant, mais il est indispensable qu’il se préoccupe également de bien supputer les forces, les faiblesses et les objectifs stratégiques de l’autre camp, ce qui fait défaut le plus souvent.

    Les États-Unis d’Amérique ne sont pas aussi puissants qu’il n’y paraît et il n’est pas exact de prétendre que l’empire déclinant, son agressif petit satellite israélien, leurs alliés saoudien et égyptien décident seuls du sort des peuples arabes. Ce qui survient présentement en Tunisie, en Égypte et au Liban en sont des démonstrations évidentes.

    Depuis des années un tout petit peuple, encadré par un ensemble d’organisations patriotiques déterminées, muni d’une conscience politique anti-impérialiste et anti-sioniste bien aiguisée tient tête à cette « Sainte-alliance ». Bien avant la « Révolution du Jasmin » (1), le « Mal-vivre algérien », le « Printemps égyptien » et les autres soulèvements arabes pour le pain, le travail, la liberté et la dignité, le peuple libanais avait amorcé sa libération. C’est la raison pour laquelle ce petit pays fait l’objet d’autant « d’attention » de la part du satellite sioniste américain et que ce dernier peut compter sur le soutien en sous-main des dictatures arabes du Levantin. Le « mauvais exemple » vient parfois de pas très loin.

    Le Liban est pratiquement le seul pays arabe dont une partie substantielle du territoire national est libérée et administrée par les partisans et dont le gouvernement national officiel ne parvient pas à reprendre le contrôle, ni même à désarmer la résistance. Contrôle du territoire et milice populaire sont les conditions essentielles du succès d’une Révolution du jasmin, d’une Révolution du Mal-vivre, d’une Révolution égyptienne ou de toute autre révolution populaire. Le pouvoir est au bout du fusil, disait un personnage dont j’ai oublié le nom, mais dont Hassan Nasrallah applique les préceptes sans en être un adepte. Les zones libérées et armées par la résistance, la conscience politique et une organisation patriotique déterminée sont les secrets du modèle libanais.

    Nous pouvons d’ores et déjà constater que les Étatsuniens et les sionistes israéliens ont renoncé à balkaniser–irakiser (2) le Liban pour en faire un amalgame de petites principautés scindés sur une base religieuse ou confessionnelle. La défaite israélienne de l’an 2000, qui s’est soldée par le retrait humiliant de ses troupes, puis l’assaut meurtrier de 2006 contre le Sud-Liban où la soi-disant 4e armée la plus puissante a été honteusement battue par la résistance libanaise, ont mis fin à cette chimère de balkanisation du Liban. Il n’est pas requis de ressortir ce vieil épouvantail que la résistance a contré définitivement, même si le clan Hariri tente de faire ressurgir ce fantôme du placard où Sharon, en son temps, a bien dû l’y remiser après la désintégration de son Armée du Sud- Liban.

    2. Le satellite israélien et le front libanais

    Présentement, les sionistes en sont à consolider leur force intérieure par la judaïsation toujours plus poussée du territoire conquis et occupé depuis 1948. Ils poursuivent le nettoyage ethnique de Jérusalem (Al Quds), que les collabos de l’Autorité de Ramallah auraient souhaité abandonner définitivement aux sionistes selon des révélations récentes relayées par la chaîne El Jazzera (3). Se poursuit également le verrouillage du ghetto de Gaza que l’armée israélienne a abandonné au Hamas et où un génocide est en cours dans l’indifférence totale de la soi-disant « communauté internationale ».

    Enfin, dernier élément des activités anti-palestiniennes de l’État pour les « juifs » seulement, le nettoyage ethnique contre le peuple palestinien de Cisjordanie force le regroupement des habitants dans quelques villes emmurées qui seront bientôt rétrocédées en gestion exclusive aux gardes-chiourmes – aux « kapos » palestiniens rassemblée sous l’Autorité de Ramallah – qui recevront pour leur peine des centaines de millions de dollars de l’Union européenne. Ce sera l’État palestinien bantoustan que plusieurs pays à travers le monde s’empressent de reconnaître symboliquement au grand plaisir du chef des « kapos », Mahmoud Abbas, et de son ami Avigdor Lieberman, qui prépare en sous-main un accord intérimaire pour la rétrocession de ces bagnes à gestion privilégiée par l’Autorité sans autorité ni légitimité.

    Il est vrai que les sionistes préparent une nouvelle agression contre le Liban, mais ils ne sont pas pressés de s’y lancer. Avec le soulèvement populaire égyptien à sa frontière ouest, les marches de protestations en Jordanie à sa frontière est, le renversement de son allié Hariri à sa frontière nord, les sionistes en ont plein les mains et s’inquiètent de leur avenir. Ils doivent d’abord consolider leurs positions intérieures. De toute façon ce nouvel assaut contre le Liban s’inscrira en complément à l’attaque que les Américains préparent contre l’Iran ; mais le temps n’est pas encore venu pour cette guerre contre l’Iran visant à rétablir l’hégémonie du dollar en coupant la moitié des approvisionnements mondiaux en hydrocarbures. Tel que nous l’avons déjà expliqué dans un document précédent, les Américains doivent d’abord compléter leur retrait d’Irak pour ne pas être coincés par les milices pro-iraniennes qui vont s’y déchaîner dès que l’attaque aura commencé. Les Américains doivent également faire avancer leur réalignement en Afghanistan et forcer des négociations avec les Talibans dit « modérés » de façon que leur armée ne se trouve pas prise en souricière entre la résistance afghane, la résistance pakistanaise et les troupes iraniennes (4).

    C’est dans ce contexte qu’il faut situer les tribulations qui ont cours présentement à Beyrouth. Depuis quelques années les Américains ont imaginé créer le Tribunal Spécial sur le Liban (TSL) qui devait enquêter pour identifier et sévir contre ceux qui ont assassiné le Premier ministre Rafic Hariri en février 2005 (5). Depuis lors, tout un rififi entoure les travaux de ce tribunal international spécial constitué sous le chapitre VII de la Charte de l’ONU afin de permettre aux États-Unis et à la France de s’en servir comme cheval de Troie pour s’ingérer dans les affaires intérieures du Liban.

    Cette commission, avec le concours d’agents politiques et parfois même d’agents secrets de l’OTAN, sous étiquette onusienne, était payée et soutenue par l’ex-gouvernement Hariri pour semer la discorde entre les groupes politiques et les communautés religieuses au Liban et tenter de coincer la principale organisation de la résistance, l’isoler des ses alliés et préparer les conditions pour éventuellement l’écraser et ramener le peuple libanais dans le giron américano-sioniste. Mais cette machination n’a pas fonctionné « par la faute » d’un homme politique qui dirige les destinées du Hezbollah. L’enquêteur Bellemare de la TSL s’apprête à déposer son rapport et ses actes d’accusation mais il lui faudra ensuite arraisonner les faux accusés et c’est là que le bât blesse : comment poursuivre sa mascarade s’il ne peut même pas aller quérir au Liban les faux accusés après avoir relaxer les faux témoins ?

    3. La déchéance de Saad Hariri et du Courant du Futur

    Examinons maintenant les récents événements qui ont précipité la chute du gouvernement d’unité nationale que dirigeait Saad Hariri. Depuis quelques années, s’appuyant sur les accords de compromis de Taëf (1989 - Arabie Saoudite), qui ont officialisé la répartition des pouvoirs de l’État du Liban sur une base religieuse et confessionnelle, la coterie de Saad Hariri, d’obédience sunnite, faisait la pluie et le beau temps au pays du Cèdre, même si la communauté sunnite ne représente que 23 % de la population totale du pays. Pour sa part la communauté chiite regroupe 37% de la population, les chrétiens et les druzes formant le 40 % restant (4 millions d’habitants au total et 300 000 réfugiés surtout palestiniens d’obédience sunnite) (6).

    Disposant d’un blanc-seing de la part de ses alliés américains et israéliens, le jeune homme politiquement inexpérimenté se croyait invulnérable et se permettait même de manigancer des faux témoignages pour incriminer le Hezbollah dans l’assassinat de son père en plus d’insulter sans vergogne ses alliés saoudiens comme l’ont révélé des vidéos rendues publiques récemment (7).

    Le Courant du Futur, protégé par les Américains et les Israéliens, ne percevait pas que le Liban changeait sous leurs yeux. Les clivages confessionnels et religieux s’estompaient peu à peu alors que montaient en force les segmentations sociales entre pauvres, travailleurs, petite-bourgeoisie et grande-bourgeoisie parasitaire, comptant quelques milliardaires comme les familles Hariri et Mikati (actuel premier ministre sunnite). Ce qui devait arriver arriva : le cabinet Hariri fut renversé la semaine où l’ex-premier ministre était en visite à Washington pour prendre des ordres sur la conduite à tenir sur le Tribunal spécial pour le Liban et pour soutenir les préparatifs de guerre israélienne dans la région (8).

    Comme le souligne le journaliste Abdel Bari Atwan : « La carte politique actuelle du Liban diffère du tout au tout de celle des années 1970, au moment où la guerre civile a éclaté. Il y avait alors deux camps opposés, un camp islamiste « progressiste » soutenu par la Résistance palestinienne et regroupant les sunnites, les chiites et les druzes, et un camp purement chrétien, avec l’existence de quelques poches, très limitées, « neutres » ou « opposées à la guerre ». Aujourd’hui, rien de tel : nous avons des sunnites avec Hariri et des sunnites contre Hariri, nous avons un courant chrétien maronite puissant allié au camp de la Résistance, sous la direction du général Michel Aoun, regroupant M. Suleïman Franjiéh et d’autres personnalités, de même que nous avons des chiites réunis sous la bannière du Courant du 14 mars, opposé au Hezbollah et au courant Amal que dirige M. Nabîh Berri, qui est le président de l’Assemblée nationale libanaise. » (9)

    Le Liban de 2011 n’est plus le Liban de 1970 si bien que les alliances déjà formées se déforment et se reforment non pas sur une base confessionnelle mais sur la base des intérêts régionaux, des intérêts économiques et des intérêts de classe, comme Wallid Joumblat, Najib Mikati et d’autres l’ont démontré.

    Il ne semble pas que le clan Hariri, même avec l’appui étatsunien et israélien, parviendra à provoquer une guerre civile au Liban. Les milices de Samir Geagea et les Phalanges d’Amine Gemayel ne sont pas en mesure de tenir tête aux soldats du Hezbollah comme il a été démontré il y a quelques années quand le ministre libanais des communications avait tenté de porter atteinte au réseau de communication de l’organisation. Il a suffi d’une semaine aux partisans de Hassan Nasrallah pour contrer cette opération de sabotage. Seule une intervention inopinée des troupes d’invasion israélienne pourrait modifier ce rapport de force interne au Liban, mais Israël a été pris de court tout comme les Américains par le renversement du cabinet de Saad Hariri.

    Pour gagner tu temps, jusqu’à cette intervention à venir, il ne reste que deux options pour le Camp du Futur de Hariri le démis ; a) ou bien il négocie sa participation au nouveau gouvernement d’unité nationale dirigé par Mikati, aspirant ainsi participer à la curée des fonds publics et internationaux, comptant espionner le gouvernement d’unité nationale de l’intérieur et espérant aider aux préparatifs de la prochaine invasion israélienne qui les remettra en selle, subodore-t-il ; b) soit, il refuse toute participation au gouvernement d’unité nationale ; reste en retrait et collabore de l’extérieur du gouvernement à la préparation de l’invasion israélienne à venir. Cette voie a l’avantage de permettre à la soi-disant « communauté internationale » de mener ses activités de boycott, de sabotage de l’économie libanaise et d’isolement du gouvernement libanais légitime, mais cette option présente aussi l’inconvénient d’isoler le Courant du Futur de la société libanaise.

    4. La conjoncture régionale

    La question libanaise, tout comme la stratégie américaine au Liban, doivent être analysées dans le contexte encore plus large du soulèvement des populations arabes contre les régimes autoritaires, corrompus et dictatoriaux qui les accablent, que ce soit au Maghreb, en Égypte ou au Machrek - c’est d’ailleurs sur ce constat que les sionistes ont constamment cherché à tabler, en se qualifiant eux-mêmes de « seule démocratie de la région ».

    Le discours d’Obama, mardi sur l’État de l’union, a traité sommairement de politique internationale ; il a rapidement fait le point sur l’Irak et l’Afghanistan ; et redit sa confiance dans le processus diplomatique pour ce qui a trait à l’Iran, indice que l’attaque anti-iranienne n’est pas imminente ; il a salué l’indépendance du Sud-Soudan ; il n’a pas mentionné le conflit Palestine/Israël ; mais il a salué la démarche du peuple tunisien. Il a synthétisé le tout de la façon suivante : « Ce qui doit nous distinguer par rapport aux autres, ce n’est pas que le "power", c’est "le purpose behind" qui se résume à appuyer les "democratic aspirations of all the peoples. ». Il semble que les Américains ont réalisé le coût énorme de cette enchaînement de guerres, coûts monétaire et humain qu’ils peuvent de moins en moins justifier et supporter ; ils ont aussi réalisé que plusieurs régimes et dictateurs ne font pas le travail attendu et qu’au contraire ils provoquent des rébellions de plus en plus nombreuses, le courant Obama a l’intelligence de se présenter comme le bon gars" en feignant d’appuyer la démarche des peuples - ce qui ne veut pas dire qu’ils le fera au détriment des intérêts des États-Unis, mais justement dans le but de mieux les protéger.

    L’examen concret de la situation concrète au Liban et dans la région démontre que les forces populaires ont pris l’offensive et que les forces de la première puissance impérialiste mondiale déclinante et de ses alliés sont présentement sur la défensive, rien n’est pourtant joué ni à Beyrouth, ni au Caire, ni à Tunis. Mis à part le Liban, partout ailleurs, la faiblesse des organisations patriotiques et révolutionnaires sera probablement le chaînon manquant pour reproduire le modèle libanais.


    (1) « Le Printemps de Tunis ». Robert Bibeau. 24.1.2011. http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article4928

    (2) « Message du Parti communiste libanais. ». 21.01.2011.

    http://www.aloufok.net/spip.php?article3090

    (3) « L’Autorité palestinienne dans de beaux draps ». 25.01.2011.

    http://www.elwatan.com/international/l-autorite-palestinienne-dans-de-beaux-draps-25-01-2011-108684_112.php et http://www.almanar.com.lb/NewsSite/NewsDetails.aspx?id=171151&language=fr

    (4) « La guerre contre l’Iran aura-t-elle lieue ? ». Robert Bibeau. 14.01.2011. http://bellaciao.org/fr/spip.php?article112543

    (5) « Rafic Hariri ». http://fr.wikipedia.org/wiki/Rafiq_Hariri

    (6) « Le Liban ». http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/liban.htm

    (7) « Hariri : un document audio révèle la fabrication des faux témoignages ». http://www.voltairenet.org/article168156.html et « Marquer contre leur but – contre leur camp. » http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110125.REU0288/le-hezbollah-enfonce-le-coin-entre-liban-et-occident.html

    (8) « L’opposition ne nommera pas Saad Hariri ». Hassan Nasrallah. 16.01.2011. http://www.almanar.com.lb/NewsSite/NewsDetails.aspx?id=170396&language=fr

    (9) « Le Liban au bord de la guerre. ». Abdel Bari Atwan. 20.01.2011 http://www.ism-france.org/news/article.php?id=14901&type=analyse

    (10) « Déconstruire le chaos pour construire à nouveau »

    http://www.almanar.com.lb/NewsSite/NewsDetails.aspx?id=171024&language=fr

    « Nouveau premier ministre au Liban. » http://mai68.org/spip/spip.php?article2089