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Video de Jean-Pierre Dubois prononcée au nom de la Ligue des droits de l’Homme le 15 mai 2011 sur le plateau des Glières

Publie le mercredi 25 mai 2011 par Open-Publishing
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Il y a un peu plus d’un an, un homme est venu ici. Il avait déjà amené, trois ans
plus tôt, sur ce plateau des Glières, bien des micros et des caméras, pour
transformer les morts en bulletins de vote. Mais l’année dernière il a fait pire
encore : c’est à l’endroit précis où la barbarie nazie a massacré ceux des Glières
qu’il a osé répéter, comme en 2009 à la Chapelle-en-Vercors, ce discours
insupportable sur l’« identité nationale », aux relents vichyssois. C’est ici même
qu’on l’a entendu prononcer des phrases telles que celle-ci : « un Français
reconnaît d’instinct une pensée française ».

Et trois mois plus tard, à Grenoble, un autre discours ouvrit les yeux et les
oreilles des plus inattentifs : haro sur les Roms accusés de délits qu’ils n’avaient
pas commis, haro sur les Gens du voyage, sur les Français naturalisés, et bien
entendu sur les immigrés et leurs descendants. Oui, c’est le président de la
République française qui a, en juillet 2010, accrédité le vieux mensonge lepéniste « 
immigration = insécurité ».

Alors, puisque nous, nous revenons aux Glières non pour récupérer, pour déformer,
pour trahir la mémoire de la Résistance, mais pour la faire vivre, souvenons-nous.

Rappelons-nous que sans le fichier anthropométrique des tsiganes et des Gens du
voyage institué par une loi de 1912, il aurait été infiniment plus difficile de les
rafler dans les années 1940 et de les expédier dans les camps de la mort. Car c’est
en amont que se prépare ce qui rend possible, ensuite, l’innommable.

Rappelons-nous que quand un chroniqueur raciste, sur une télévision hélas « de
service public », énonce comme une évidence que la plupart des trafiquants de drogue
sont noirs ou arabes, comme en d’autres temps on soulignait lourdement que la
plupart des banquiers seraient juifs, le terrain où pousse cette ignominie a été
déblayé par le ministre Hortefeux qui trouvait que c’est quand il y a beaucoup
d’Arabes que « cela commence à poser des problèmes ». et qui expliqua ensuite aussi
que seuls les droitsdel’hommistes pouvaient plaindre les Gens du voyage puisqu’ils
avaient de grosses voitures. Et à son tour monsieur Eric Zemmour déblaya le terrain
pour le ministre Guéant qui énonça, lui aussi comme une évidence, que du fait de la
présence d’immigrés même légaux « les Français ne se sentent plus chez eux ».

Oui, nous en sommes là. Sus au Noir, à l’Arabe, au Rom, au nomade, au « différent ».
Mais ne nous y trompons pas : Neuilly-sur-Seine, commune où il y a le plus grand
pourcentage d’étrangers de France, n’est pas perçue comme une « banlieue à problèmes
 », ses « quartiers » ne sont pas « sensibles » (seraient-ils plutôt insensibles ?),
son ancien maire n’est pas présenté comme un « immigré de la deuxième génération ».
Le banquier Laffitte disait il y a deux siècles : « Un idiot pauvre est un idiot, un
idiot riche est un riche. » Dans la France de Nicolas Sarkozy, un Arabe pauvre est
un immigré, un émir arabe est un investisseur. Derrière le racisme, aujourd’hui
comme hier ou avant-hier, l’injustice sociale. Derrière l’ethnicisation du
politique, le mépris de classe, toujours aussi éclatant.

Voilà pourquoi, à quelques mois de choix décisifs pour notre avenir, le programme du
Conseil national de la Résistance est plus que jamais d’actualité. Non pas bien sûr
que le monde de 2011 soit identique à celui de 1944. Mais parce que le racisme, la
xénophobie, la « politique du pilori » et de la peur, la stigmatisation hier des « 
fainéants », aujourd’hui des « assistés », nous tendent toujours le même piège :
détourner la colère sur les boucs émissaires, parler des « grosses voitures » des
nomades pour faire oublier le yacht de Bolloré et le « Premier cercle » des
milliardaires réunis par le trésorier Eric Woerth ; exciter la peur, la haine de
l’autre pour accentuer la fragmentation sociale, pour diviser le peuple, pour
conjurer ce rassemblement de citoyens porteurs de liberté, de progrès et de justice
sociale dont nous sommes aujourd’hui le symbole.

Non, nous ne sommes pas dans les années 1940, mais cette époque où les députés de
l’actuelle majorité font un triomphe à un Eric Zemmour fleure vraiment les remugles
des années 1930. Comme alors, une crise sociale profonde et durable provoque
l’inquiétude non seulement des plus pauvres, toujours plus exclus, mais aussi des
couches moyennes face à la précarisation et au déclassement. « La faute aux Juifs »
il y a quatre-vingt ans ; aujourd’hui, « la faute aux immigrés, aux Roms voleurs et
aux jeunes de banlieue ».

Nous le savons bien, « ceux qui ont oublié leur histoire sont condamnés à la revivre
 ». Nous savons bien qu’on ne sort d’une telle crise sociale et démocratique qu’à
gauche, par la solidarité et par l’égalité, ou à l’extrême droite, par le chacun
pour soi, par la concurrence à outrance, par le rejet des « inadaptés » et des « 
inassimilables ». Alors, n’attendons pas que l’histoire se répète, fût-ce sous
d’autres formes et dans un autre contexte.

Parce que nous n’avons pas oublié, nous savons tous ici que nous ne pourrons
préserver nos libertés, la démocratie, l’égalité de tous les citoyens quelles que
soient leurs origines ou leurs croyances, sans garantir réellement les droits
sociaux à tous, sans faire reculer réellement les inégalités, le cynisme des « 
porteurs de Rolex à 50 ans », la précarité et la peur de l’avenir pour tous les
autres. Les droits sont indivisibles, l’égalité l’est elle aussi.

De même qu’en 1944 la Libération n’était pas seulement libération du nazisme et de
Vichy, mais aussi libération de la misère et de l’injustice, de même aujourd’hui la
lutte contre le racisme, contre la haine xénophobe, contre les idées contagieuses de
l’extrême droite, cette lutte ne peut aboutir, ne peut devenir l’affaire du plus
grand nombre que si elle est aussi, d’un même mouvement, la lutte contre la
marchandisation universelle, contre la précarisation universelle, contre la
compétition sans limites de tous contre tous.

Tel est le sens du Pacte pour les droits et la citoyenneté que cinquante
organisations associatives et syndicales ont signé sur la proposition de la Ligue
des droits de l’Homme, un Pacte qui lie, exactement comme le fait l’Appel de
Thorens-Glières lancé hier, défense des libertés et reconstitution des services
publics, démocratisation des institutions et respect des droits des étrangers,
garantie des droits sociaux et avenir de la fraternité.

Et tout cela, nous allons le dire haut et fort le 14 juillet prochain, à la Bastille
et dans de nombreuses villes de province, pour appeler, là aussi avec des dizaines
d’organisations de la « société civile », à retrouver cette République « libre,
égale et fraternelle » qui est la nôtre.

C’est ainsi, chers amis et - car « c’est un joli nom » - chers camarades, que nous
restons fidèles à ce que nous répétait chaque jour Lucie Aubrac, membre d’honneur du
Comité central de la LDH : « N’oubliez jamais que résister se conjugue au présent. »
Sans nous prendre, bien sûr, pour plus que ce que nous sommes, mais comme le dit
très bien Robert Guédiguian lorsqu’il présente son superbe film L’Armée du crime : « 
Ne vous demandez pas ce que vous auriez fait à leur place, demandez-vous ce qu’ils
feraient à la vôtre. »

Ici, aux Glières, aujourd’hui, ce n’est pas trop difficile de le savoir ! Quand nous
entendons la force de l’engagement qui anime toujours ceux de la Résistance, quand
nous sentons à quel point ils n’ont jamais renoncé à « s’indigner », nous ne pouvons
pas hésiter un instant sur la route à suivre, celle qui pourra faire revenir « les
jours heureux ». Car pour suivre Stéphane Hessel dans son goût de la poésie
d’Hölderlin, nous n’oublierons pas ce viatique : « Là où croit le danger, croît
aussi ce qui sauve ».

Chaque année, nous revenons ici plus nombreux. Que ce mouvement s’amplifie encore,
que l’Appel de Thorens-Glières trouve demain tout l’écho qu’il mérite, et alors,
j’en suis sûr, amis et camarades : « Les mauvais jours finiront ! »

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