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11 députés votent un fichier de 45M de « gens honnêtes »... (video)

Publie le mercredi 20 juillet 2011 par Open-Publishing

Un fichier de 45M de « gens honnêtes »

MaJ : la proposition de loi a donc été adoptée, en première lecture, en présence de 7 députés de la majorité, et de 4 députés de l’opposition ; comme le titre PCInpact, 11 députés votent le fichage de 45 millions d’honnêtes gens...

L’Assemblée nationale va débattre, ce jeudi 7 juillet, une proposition de loi sur la protection de l’identité, dans un hémicycle fort de 11 députés . Objectifs : ajouter à la future carte d’identité une puce électronique régalienne, pour être identifié auprès des services de sécurité, une deuxième puce facultative pour les services et le commerce électronique, mais aussi et surtout créer une base de données centralisée des empreintes digitales et photographies de leurs titulaires.

Le rapporteur de la proposition de loi a ainsi qualifié de “fichier des gens honnêtes” (sic) cette base de données qui répertoriera les noms, prénoms, sexe, dates et lieux de naissance, adresses, tailles et couleurs des yeux, empreintes digitales et photographies de 45 millions de Français voire, à terme, de l’ensemble de la population.

Dans le même temps, le gouvernement britannique a décidé, lui, d’abandonner son projet de carte d’identité, parce qu’attentatoire aux libertés, et le gouvernement néerlandais vient d’annoncer qu’il allait cesser de prendre les empreintes digitales de ceux qui réclament un passeport, et de détruire, à terme, la base de données, au vu du nombre trop élevé d’erreurs rencontrées…

Ce sera le premier « fichier des gens honnêtes »

Le nombre de fichiers policiers a augmenté de 169% depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur, en 2002 : plus de la moitié des 70 fichiers recensés ont été créés sous son autorité. Dans le même temps, le Parlement a voté pas moins de 42 lois sécuritaires. On aurait pu penser qu’à ce train-là, le problème de l’insécurité devrait avoir été au moins partiellement réglé.

Mais tel n’est pas l’avis de la Cour des Comptes, qui vient de publier un rapport particulièrement sévère sur les tripatouillages statistiques du ministère de l’Intérieur. Mais tel n’est pas non plus l’avis du gouvernement, qui continue à vouloir sévir dans le sécuritaire.

Prenez, par exemple, l’usurpation d’identité. Le code de la route, le code de procédure pénale et le code des transports comprenaient d’ores et déjà différentes mesures réprimant les infractions ayant trait à la fourniture d’identités imaginaires ou à l’usurpation d’identité. Et la LOPPSI II a, précisément, en mars dernier, créé un délit d’usurpation d’identité... mais ça n’était pas encore assez.

Officiellement, la proposition de loi sur la protection de l’identité, adoptée en première lecture au Sénat et à l’Assemblée, vise à lutter contre l’usurpation d’identité, un phénomène croissant mais qui, d’après la police, ne représenterait pas plus de 15 000 faits constatés par année (voir Vers un fichage généralisé des "honnêtes gens", mon enquête à ce sujet sur OWNI). Comme l’a rappelé François Pillet, rapporteur de la loi au Sénat, "pour atteindre l’objectif du texte, il faut une base centralisant les données" :

Ce sera le premier « fichier des gens honnêtes ».

Ce fichier n’a pas d’équivalent. Toutes les personnes auditionnées ont mis en garde, plus ou moins expressément, contre son usage à d’autres fins que la lutte contre l’usurpation d’identité, ce qui présenterait des risques pour les libertés publiques.

De fait, le Conseil d’État, la CNIL et la Cour européenne des droits de l’homme se sont d’ores et déjà prononcés contre ce type de fichage biométrique généralisé de personnes innocentes de tout crime ou délit, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit là d’une violation manifeste de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la convention sur la protection des données du Conseil de l’Europe, et de la loi informatique et libertés.

C’est même précisément ce pour quoi, estime l’opposition, le gouvernement n’a pas rédigé de projet de loi à ce sujet, afin d’éviter d’avoir à saisir le Conseil d’État et la CNIL, et préféré demander à un sénateur de rédiger cette proposition de loi.

Au Sénat, François Pillet avait tenté d’empêcher tout détournement de finalité de la base de donnée, afin d’exclure, notamment, son utilisation en matière de police judiciaire, et faire de sorte qu’il soit techniquement impossible de s’en servir pour identifier un individu à partir de ses empreintes digitales ou de sa photographie :

Nous ne voulons pas laisser derrière nous une bombe : c’est pourquoi nous créons un fichier qui ne peut être modifié.

Mais le gouvernement, tout comme Philippe Goujon, le rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée, s’y sont fermement opposés, arguant du fait qu’il serait dommage de ne pas profiter de l’occasion pour permettre à la police, sur réquisition judiciaire, de se servir de la base de données en matière de recherche criminelle…

Pour Delphine Batho, la députée PS spécialiste des fichiers policiers, "le véritable objectif de ce texte" n’est donc pas la lutte contre l’usurpation d’identité, mais "le fichage biométrique de la totalité de la population à des fins de lutte contre la délinquance" :

Il existe un fichier permettant d’identifier les fraudeurs : le fichier automatisé des empreintes digitales (FAED), qui recense 3 millions d’individus, soit 5 % de la population, et qui a permis de détecter 61 273 usurpations d’identité. Cet outil me semble suffisant.

Les auteurs de cette proposition de loi estiment, pour résumer, que pour détecter un fraudeur, il faut ficher tout le monde.

De la convivialité des technologies de contrôle

L’autre véritable objectif de la loi, c’est de soutenir les industriels de l’identification biométrique, dont les leaders sont français, comme l’a reconnu Jean-René Lecerf, l’auteur de la proposition de loi, en déclarant sobrement que "les entreprises françaises sont en pointe mais elles ne vendent rien en France, ce qui les pénalise à l’exportation par rapport aux concurrents américains" (voir Fichons bien, fichons français, deuxième partie de mon enquête).

Philippe Goujon a été encore plus clair, ne cherchant même pas à cacher qu’il s’agit là d’une opération de patriotisme économique résultant d’une campagne de lobbying :

Comme les industriels du secteur, regroupés au sein du groupement professionnel des industries de composants et de systèmes électroniques (GIXEL), l’ont souligné au cours de leur audition, l’industrie française est particulièrement performante en la matière : les principales entreprises mondiales du secteur sont françaises, dont 3 des 5 leaders mondiaux des technologies de la carte à puce, emploient plusieurs dizaines de milliers de salariés très qualifiés et réalisent 90 % de leur chiffre d’affaires à l’exportation.

Dans ce contexte, le choix de la France d’une carte nationale d’identité électronique serait un signal fort en faveur de notre industrie.

MaJ : l’AFP indique que les versions adoptées par le Sénat et l’Assemblée n’étant pas analogues, il faudra que soit désignée une commission mixte paritaire (CMP) pour établir un texte de compromis. Celle-ci ne sera probablement désignée qu’au cours de la prochaine session parlementaire, à la rentrée.

Quand le GIXEL proposait de ficher les enfants dès l’école maternelle pour leur "faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle"

Le GIXEL s’était déjà fait connaître, en 2004, pour avoir proposé de "faire accepter la biométrie, la vidéosurveillance et les contrôles", hélas "souvent vécue dans nos sociétés démocratiques comme une atteinte aux libertés individuelles" par des opérations soutenues par les pouvoirs publics et accompagnées d’"un effort de convivialité d’une reconnaissance de la personne et de l’apport de fonctionnalités attrayantes" :

- Éducation dès l’école maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer dans l’école, en sortir, déjeuner à la cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront pour aller chercher les enfants.

 Introduction dans des biens de consommation, de confort ou des jeux : téléphone portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo

 Développer les services « cardless » à la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès Internet, ...

La même approche ne peut pas être prise pour faire accepter les technologies de surveillance et de contrôle, il faudra probablement recourir à la persuasion et à la réglementation en démontrant l’apport de ces technologies à la sérénité des populations et en minimisant la gène occasionnée. Là encore, l’électronique et l’informatique peuvent contribuer largement à cette tâche".

Un tel "effort de convivialité" avait alors valu au GIXEL de remporter un prix Novlang aux Big Brother Awards.

GB : le ministère de l’immigration fait un autodafé des cartes d’identité

A contrario, et afin de "démontrer l’engagement du gouvernement à restaurer les libertés civiles", Damian Green, le ministre de l’immigration britannique, a de son côté officiellement enterré le projet de doter les Britanniques d’une carte d’identité :

"Il est important que le peuple aie confiance dans la façon qu’a l’État de détenir et d’utiliser des données à caractère personnel, et il est important que le gouvernement fasse confiance au bon sens et au sens des responsabilités du peuple.

Et ce n’est que le premier pas du processus que nous entamons afin de restaurer et maintenir nos libertés."

Et pour être sûr d’être bien entendu, le ministère de l’immigration a détruit, le 10 février dernier, quelques 500 disques durs et 100 bandes de sauvegarde contenant les données personnelles des 15 000 personnes ayant accepté de se porter volontaires pour être dotées de cartes d’identité, avant d’en publier les photos sur Flickr, et la vidéo sur YouTube :

Pour son tout premier discours, en mai 2010, Nick Clegg, Vice-Premier ministre libéral-démocrate du gouvernement conservateur britannique, avait en effet annoncé un "big bang" politique, visant "la liberté du plus grand nombre, et non pas le privilège de quelques-uns", afin de "rendre le pouvoir au peuple". Objectif : enterrer la société de surveillance et enrayer le "Database State" (l’État-base de données), incarné par les dérives sécuritaires du précédent gouvernement labour (de "gauche") :

"Il est scandaleux que les gens respectueux des lois soient régulièrement traitées comme si elles avaient quelque chose à cacher."

Résultat : du projet avorté de carte d’identité britannique, il ne reste plus que ça :

Shredded bits of the database

La Hollande, l’autre pays du contre-fichage

Le gouvernement néerlandais, lui, avait annoncé, en avril dernier, qu’il allait effacer toutes les empreintes digitales des 6 millions de détenteurs de passeports biométriques, et il vient d’annoncer qu’à compter de ce mois de juillet, les empreintes digitales ne seront plus stockées, et qu’il donnait aux responsables jusqu’à la fin août pour trouver une solution afin de détruire la base de données.

Une étude avait en effet démontré le peu de fiabilité de la biométrie tel que déployée, aux Pays-Bas (par la société Morpho, celle qui, en France, a aussi emporté le marché du passeport biométrique -voir Morpho, n°1 mondial de l’empreinte digitale, troisième partie de mon enquête) : sur les 448 demandes de passeports biométriques étudiées, 55 personnes n’avaient pu faire reconnaître qu’une seule des deux empreintes de doigts qu’ils devaient entrer dans la base de donnée, et 42 personnes aucune de leurs empreintes... Autrement dit : 21% des personnes ne pouvaient pas être reconnues par leurs empreintes digitales…

Le problème ne vient pas forcément des algorithmes de Morpho, qui sont considérés comme les meilleurs pour ce qui est des empreintes digitales par l’Institut National des Standards et Technologies américain (NIST)… : nombreux sont ceux, notamment ouvriers manuels, ou personnes âgées, dont les empreintes sont trop abîmées pour être identifiables (voir aussi ces réfugiés aux doigts brûlés pour ne pas, précisément, être identifiés par leurs empreintes).

Alors que nombreux sont ceux qui craignent de voir l’arrivée de la reconnaissance faciale sur Facebook, Google et autres services et réseaux sociaux, il est tout de même étonnant qu’aucun des députés et sénateurs qui se sont à ce jour prononcés sur ce texte n’aient soulignél e risque que ce "fichier des gens honnêtes" puisse être utilisé pour identifier des gens à partir, non seulement de leurs empreintes digitales, mais également de leurs photos… Morpho est également considéré comme le n°1 de la reconnaissance de l’iris et faciale par le NIST...

jean.marc.manach (sur Facebook) agy manhack (sur Twitter)

NB : comme le rappelle très opportunément Pierrick en commentaire de mon enquête sur OWNI.fr, si on vous demande de justifier de votre identité, voilà ce qu’il vous faut savoir :

La carte d’identité n’est pas un document obligatoire. L’identité peut être justifiée par un autre titre (passeport ou permis de conduire), une autre pièce (document d’état civil indiquant la filiation, livret militaire, carte d’électeur ou de sécurité sociale), voire un témoignage.

Photographie CC a2gemma

http://bugbrother.blog.lemonde.fr/2011/07/07/un-fichier-de-45m-de-gens-honnetes/