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L’ECONOMIE DU GASPILLAGE

Publie le samedi 22 janvier 2005 par Open-Publishing
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de Patrick MIGNARD

Qu’est ce que gaspiller ? « Dépenser avec profusion, consommer sans discernement ». Essayons, à partir de cette définition, qui est tout à fait officielle, de voir ce qu’il en est de « gaspiller » dans la réalité économique et sociale.

LE « GASPILLAGE », UNE NOTION TOUTE RELATIVE

Qui gaspille et quoi ?

La notion de gaspillage peut se déterminer à partir d’attitudes toutes simples. Par exemple lorsque « je prend une quantité de biens supérieure à celle que nécessite mon besoin et que j’en laisse perdre une partie parce que je ne la consomme pas ».

Dans le langage courant le gaspillage est lié à la déperdition d’un bien ou d’un service produit mais qui ne satisfait finalement aucun besoin... on dit qu’il a été « fabriqué en pure perte ». Pourtant, à y regarder de près, ce n’est pas cette conception du gaspillage qui est celle de l’économie de marché.

Lorsque par exemple, un grande quantité de carburant est consommée au cours d’un bouchon routier, on peut dire, suivant la définition précédente, qu’il y a eu « consommation de carburant en pure perte », or pour le producteur de carburant c’est tout à fait le contraire, il a vendu de grandes quantité de carburant, c’est tout bénéfice pour lui. D’ailleurs au niveau du système économique ceci correspond à une production de bien qui a fait tourner l’entreprise, qui a pu verser des salaires et qui donc a réalisé une valeur qui a rapporté un profit, profit distribué et/ou réinvesti,...

Autre exemple : la destruction d’une forêt peut-être perçue comme un gaspillage des ressources naturelles et une atteinte à l’environnement. Or la destruction de cette forêt permet, de faire fonctionner l’industrie du bois, du papier et le défrichement, permet de développer l’agriculture. En terme économique marchand il n’y a pas gaspillage mais au contraire accroissement de la richesse.

Ces exemples démontrent quoi ? Simplement que le « gaspillage » est fonction de la manière dont on considère l’activité économique, que son sens est fonction des objectifs que l’on s’est fixé.

« PILLAGE » ET « GASPILLAGE » LES DEUX MAMELLES DU SYSTEME MARCHAND

Comment « fonctionne » la marchandise ? La marchandise est produite pour être achetée et/ou consommée par un consommateur solvable. Autrement dit, la motivation essentielle de la production de la marchandise est plus la « réalisation de sa valeur d’échange » que sa « consommation physique » (voir l’article « LA MARCHANDISATION DU MONDE »). La production est faite pour être vendue, ce qui veut dire qu’il est indifférent au producteur, et de manière générale au système, de savoir à quoi va servir ce qu’il a produit. Ainsi, deux situations bien singulières peuvent se présenter :
 soit la marchandise est vendue/achetée dans ce cas qu’elle soit consommée ou non consommée (perdue) n’a aucune importance pour le producteur et plus généralement pour le système... il n’y a pas socialement et économiquement gaspillage puisque l’objectif est atteint : la vente ;

 soit la marchandise n’est pas vendue/achetée dans ce cas il y a socialement et économiquement gaspillage puisqu’elle n’a pas rempli sa fonction, celle de valoriser le capital en réalisant sa valeur sur le marché.

On voit donc que la notion de gaspillage, dans le cas de la marchandise est liée, plus à la réalisation de la valeur marchande qu’à la satisfaction d’un besoin.

En effet, le cas qui consisterait à mettre à disposition d’un consommateur insolvable (qui ne peut pas acheter), un bien ou un service, est un cas absurde, est un non sens en terme marchand. Pourquoi ? Simplement parce que la marchandise n’a pas pour objectif de satisfaire un besoin, mais uniquement un besoin solvable.

On imagine sans peine les conséquences d’une telle conception en général, mais en particulier concernant des biens et services tels que la santé, l’eau, l’éducation, l’énergie, le transport. C’est quand on a compris tout cela que prend réellement toute sa signification la défense du service public qui lui privilégie l’« usage » sur l’« échange », la « satisfaction du besoin » sur « ce que ça rapporte financièrement ».

Le gaspillage a donc dans le système marchand une définition très précise. On peut la résumer comme suit : tout ce qui est « valorisé » et susceptible d’être vendu est utile, tout le reste n’a aucune importance... D’une certaine manière, au regard de la logique marchande, le service public est une sorte de gaspillage puisqu’il a pour priorité l’« usage » et non l’« échange »... c’est exactement le raisonnement que tiennent les gestionnaires du système marchand.

Ainsi polluer une côte, les mers, les rivières, l’air, détruire une forêt, faire disparaître des espèces animales ou végétales, laisser mourir du sida des populations pauvres, laisser à l’abandon des compétences (chômage) qui n’entrent pas dans le calcul de rentabilité de l’entreprise,... n’a aucun importance sur un plan marchand. Seul compte ce qui rapporte.

Par contre extraire sans limites les richesses minières, produire des gadgets, faire de l’élevage intensif, utiliser massivement des engrais, des insecticides, des OGM... est de la plus grande importance car... ça rapporte.

On comprend dès lors que ce qui nous paraît parfois aberrant et scandaleux (pollution, exclusion,...) et qui est fait sans retenue, n’est pas une erreur mais la conséquence d’un froid calcul, correspondant parfaitement à la rationalité du système marchand. Ce n’est pas le système marchand qui dysfonctionne, au contraire, il développe jusqu’au bout sa logique.

Le « tout jetable » est pour ainsi dire, le stade ultime de la production marchande. Il est l’expression la plus parfaite de l’indifférence qu’a le système marchand pour l’aspect matériel de la marchandise... et pour tout dire de ce qui constitue la matière première qui a servi à le fabriquer. Il est, dans la même logique, l’expression de la plus parfaite indifférence au regard de la « force de travail » qui ne lui est pas utile. Le chômeur, le retraité est l’expression d’une force de travail inutile... il est lui aussi en quelque sorte considéré comme « jetable ».(voir l’article « LA CROISSANCE, QUELLE CROISSANCE ? »)

INTERETS ET INDIFFERENCE DU SYSTEME

Le système sort de son indifférence lorsque les conséquences de son fonctionnement portent atteinte à ses intérêts. La sonnette d’alarme n’est jamais actionnée par lui mais par celles et ceux qui, conscient des problèmes d’environnement et d’exclusion, « mettent le doigt » sur ses contradictions. S’établit alors un rapport de force qui aboutit soit au « recyclage » dans le cas de la protection de l’environnement, soit à des « plans sociaux » dans le cas des licenciements,... mais ces mesures sont toujours prises à contre cœur... en effet, elles coûtent et sont donc en contradiction avec l’objectif du système qui est et demeure, faire de l’argent. La lutte contre le gaspillage et la pollution est assumée par le système quand... elle est rentable pour l’entreprise qui la prend en charge... ou lorsqu’elle est prise en charge par la collectivité. C’est généralement le « public », qui prend en charge les dégâts occasionnés par le « privé ».

De plus, le système en place a un argument important, c’est que justement il est en place, il fonctionne, il a sa rationalité, ses institutions, son idéologie, ses adeptes qui sont au pouvoir...De temps en temps il « lâche du lest » pour faire retomber la pression sociale... C’est celles et ceux qui le contestent qui doivent faire... mais quoi ? et comment ?. Ceci aboutit à une sorte d’indifférence généralisée. Autrefois on disait « La vie n’est qu’un passage, Dieu nous jugera », aujourd’hui c’est : « La science trouvera bien une solution ».

Cette indifférence, encouragée par le système, formate les esprits à une démarche mercantile immédiate et non axée sur la prise en considération du long terme. Si la satisfaction des besoins immédiats, passe, pour le plus grand nombre, dans nos pays, par l’acceptation de principes aberrants, eh bien on accepte. Quand on dit à un quelconque citoyen « Nous consommons des ressources non renouvelables qui disparaîtront dans cinquante ans », ou « la planète ne sera plus viable dans un siècle »,... c’est comme quand on dit à un gamin qui fume... « Tu auras un cancer dans quarante ans »... l’indifférence de la plupart et des politiciens en particulier (voir l’article « LES MYTHES ECONOMIQUES »)

Le système se conforte ainsi dans sa propre aberration, conforté par l’indifférence du plus grand nombre qui se trouve confortée par l’indifférence des gestionnaires. La boucle est bouclée, le grand consensus aboutit à... ce que rien ne change et la planète dépérit... et nous avec.

Rouler à bicyclette, trier les ordures, éviter les emballages inutiles,...sont des actions utiles mais à elles seules, elles ne résoudront pas le vrai problème qui est celui des rapports de production et de distribution des richesses... pire, ne s’en tenir qu’à ça peut servir d’alibi au système marchand qui sait se donner bonne conscience au regard de tout ce qu’il détruit... voir l’escroquerie du « développement durable ».

Dire que le système marchand est entrain de détruire la totalité des ressources, de gaspiller au nom du principe de « rentabilité », de s’enliser dans ses propres déchets est une autre façon de dire qu’il succombe, et nous avec, aux conséquences du principe de son fonctionnement. C’est donc en toute conscience que ce système est entrain de détruire, à une échelle jamais atteinte dans l’Histoire humaine, l’éco système de notre planète et de mettre en péril la survie des générations futures. Ceci montre le caractère historiquement criminel des politiques de développement basées sur un pillage massif et un gaspillage illimité des ressources naturelles... pratiques qui ne sont condamnées par aucun code... et pour cause.

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