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Amnesty international éclaboussée par RSF

Publie le lundi 24 janvier 2005 par Open-Publishing

de Maxime Vivas ecrivain, militant altermondialiste.

Pour le Monde du 21 janvier 2005, RSF est « une sorte d’Amnesty International spécialisée dans la liberté de la presse. »

La comparaison est dépréciative pour Amnesty et finalement désastreuse pour RSF et son indéfectible soutien : le Monde. On se souvient du « Nous sommes tous Américains » de Jean-Marie Colombani au lendemain du 11 septembre (2001 ! Le 11 septembre 1973 où périrent Salvador Allende et la démocratie chilienne avec la complicité active des USA n’inspira aucun : « Nous sommes tous Chiliens » et surtout pas un « CIA go home ! »)

Alors qu’Amnesty International regarde, partout dans le monde, les exactions commises et désigne les entités responsables (même si l’on peut discuter certaines de ses approches déconnectées des contextes), RSF s’abstient de demander des comptes aux USA et à sa presse pour le gigantesque mensonge médiatique mondial qui a justifié la guerre en Irak et a privé de la plus grande des libertés (celle de vivre) 100 000 irakiens.

Par contre, les pays pauvres, et prioritairement ceux que désigne l’Oncle Sam, sont vigoureusement interpellés par RSF (Cuba en tête, comme dans les énumérations de Condoleeza Rice).

Par ailleurs, RSF a fait le choix (revendiqué) de ne jamais égratigner la presse riche ni les patrons propriétaires de presse(1) (ni les autres patrons, d’ailleurs)(2). Magnanime envers les gouvernements des pays riches, elle épargne par tous les subterfuges le plus puissant d’entre eux.

L’année 2004 a été marquée par un nombre record d’assassinats de journalistes, principalement en Irak (19, plus 15 de leurs collaborateurs) et essentiellement par l’Armée US.

En Amérique latine, en 2004, une douzaine de journalistes on été abattus (aucun à Cuba) sans compter les syndicalistes. Amnesty s’émeut de ces situations. Comme elle s’inquiète des cas de tortures dans 130 pays parmi lesquels elle inscrit les USA mais pas Cuba.

Or, la pleine page du Monde consacrée le 21 janvier 2005 à RSF ne cite pas une seule fois les USA ou un autre des ces pays qui imposent à des dizaines de journalistes une censure éternelle sous une plaque de granit. Non, elle désigne Cuba. Et six fois (radotage ?). Comme pour signifier au lecteur qu’on doute de sa capacité à comprendre du premier coup. Même le lecteur qui feuillette distraitement ne peut y couper : une grande photo et sa légende nous livrent deux fois le nom du pays honni (acharnement obsessionnel ?).

On savait que, depuis des années, Le Monde publie avec une régularité de métronome des articles hostiles à 100 % à Cuba et qu’il refuse le moindre courrier des lecteurs, la moindre tribune d’amis de Cuba. Il diffuse avec parcimonie et au format timbre-poste les dépêches d’agences de presse qui font état de succès dans cette île. Le blocus médiatique est brutal et, ô paradoxe ! pour savoir ce qui se passe à Cuba, il est préférable de lire des journaux américains. En effet, de prestigieux intellectuels, écrivains, philosophes arrivent à y développer une autre approche de la réalité cubaine. Les chercheurs y révèlent la découverte à Cuba de vaccins et la conclusion d’accords commerciaux et scientifiques entre les USA et Cuba. Ces entorses à l’embargo sont rendues nécessaires par des avancées scientifiques cubaines, notamment (mais on pourrait citer bien d’autres exemples) sur le traitement de certains cancers.

Posons ici qu’il n’est pas de paradis sur terre, même pas dans les Caraïbes, que les dirigeants politiques, sous toutes les latitudes ont des défauts, que tout système est perfectible, que l’histoire des peuples n’est pas sans tache (la France, de l’Indochine à l’Algérie jusqu’au massacre de dizaines de pacifiques manifestants en octobre 1961 et février 1962 à Paris ne saurait l’ignorer).
Mais posons pareillement que Cuba n’est pas un enfer, que ses dirigeants n’ont pas la volonté de mal faire, que le système comporte des qualités et qu’il garantit des libertés sans lesquelles, partout dans le monde et de tous temps, s’ils ne sont pas massacrés par les balles de la police et de l’armée, les peuples chassent les gouvernants (note : il n’existe pas à Cuba de police anti-émeute)

L’objectivité et le bons sens trouvent matière à discussion dans ces deux approches. Pas dans le Monde et chez RSF. Quiconque prétend répondre à une de leur diatribe anti-cubaine se voit passer le bâillon. Les champions de la lutte pour l’information tropicale libre, musèlent ici même quiconque ne les suit pas dans leur combat partial. Ils dénoncent sans complexe les lointaines censures dont ils sont les praticiens patentés sous nos fenêtres. Le vice de proximité s’alarme du manque de vertu des peuples lointains. Regardez nos médias : la plupart s’auto-persuadent que la clameur de l’île des caraïbes sera assourdissante si nous nous taisons. Et ils nous font taire. C’est alors leurs propres harangues qu’on entend. Défenseurs de la vérité, ils veulent enfoncer dans nos gorges celles qui témoigneraient de leurs mensonges passés, présents et à venir. Déguisés en Chevaliers Blancs, ils savatent les faibles au coin des rues sombres, en Zorro, ils offrent leur épée aux latifundistes, en Robin des Bois, ils prennent l’argent des riches pour donner des coups aux pauvres.

S’il est connu que RSF tire l’essentiel de ses considérables subsides d’organismes qui sont politiquement et économiquement intéressés à un alignement sur la politique étrangère des USA, les raisons du Monde sont moins compréhensibles.

Après tout, cet organe a prospéré sur une réputation d’objectivité qui en avait fait un journal de référence. De son propre aveu, il a perdu cette aura et il enregistre une nette désaffection des lecteurs. Pourquoi alors s’obstiner dans un pro-bushisme aussi ostentatoire dès qu’il s’agit de Cuba ? Pourquoi ne voit-il pas que le répétitif traitement partial d’un thème, quelle que soit l’opinion du lecteur sur le sujet, lui rend suspect l’ensemble du journal ?Pourquoi présupposer que l’intelligence du lecteur est insuffisante pour distinguer l’information de la campagne de presse et qu’il ne lit et n’entend rien d’autre ?

Savent-ils, le Monde et RSF, que le citoyen moyennement perspicace se dit que, si leur position était juste, elle s’exprimerait par des procédés moins vicieux et accepterait la contestation ? Que tel qui coupe le micro, tel qui ferme ses colonnes aux détracteurs ici ne sont pas fondés à réclamer un débat là-bas ? Que si l’on craint la libre expression dans une France que rien ne menace, qui ne subit pas d’embargo, qui n’est pas inscrite dans une liste de « pays cible » par un puissant et belliqueux voisin, on est mal placé pour exiger que Cuba s’ouvre à la presse néo-libérale et qu’elle favorise sur son territoire la diffusion des idées d’un ennemi prêt à bondir ?

Ma proposition est toujours la même : agissez pour que la communauté internationale obtienne que les USA respectent le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ainsi que les votes de l’ONU (179 pays contre 4 on voté contre le blocus en 2004). Et regardons alors si Cuba se décrispe dans les domaines qui vous tiennent à cœur.

Mais tout de suite, pour rendre caduques les remarques qu’on vient de lire, il suffit au Monde d’opter enfin pour une information pluraliste, objective, d’ouvrir son courrier et ses pages « Débats », de cesser d’écrire des tracts contre Cuba.

Quant à RSF, la photo qui illustre l’article du Monde nous montre son secrétaire devant l’Ambassade de Cuba à Paris dont il allait cadenasser les grilles avec un maigre escadron anti-cubain (le personnel de l’ambassade, ambassadeur en tête, les a fait déguerpir : chez ses gens-là, par tradition et à l’exemple du Che et de Fidel Castro, les leaders passent devant pour la castagne). Il suffirait à RSF pour prouver son impartialité, d’aller cadenasser les grilles de l’Ambassade américaine en exigeant la fin des tirs contre les reporters de guerre (il y a urgence). Naguère, RSF avait obtenu de l’Europe des sanctions économiques contre Cuba. Il semblerait logique que cette officine refasse le coup contre d’autres et qu’elle aille cadenasser les ambassades d’une bonne quinzaine de pays qui ont chacun liquidé (ou laissé liquider) entre 1 et 6 journalistes en 2004.

Mais Robert Ménard dont Rony Brauman (autre membre fondateur, démissionnaire en 1995) dénonce « l’autoritarisme » et la « dictature domestique » qu’il fait régner sur RSF peut-il bouger d’un iota sans tuer la poule aux œufs d’or (le budget de RSF se monte à 3 millions d’euros) ?
Poser la question, c’est y répondre et en susciter une autre : RSF est-elle une ONG(3) ?

Maxime Vivas.
Ecrivain, militant altermondialiste.


(1) Premier Président de RSF, Jean-Claude Guillebaud, écrivain, journaliste, pensait que RSF devait consacrer autant d’énergie « aux dévoiements de la presse des pays riches, - à l’information spectacle, à la concentration - qu’aux entraves à la liberté de la presse dans les autres pays » (le Monde 21/01/2005). Robert Ménard était d’un avis contraire. Guillebaud a démissionné en 1993.

« Comment par exemple organiser un débat sur la concentration de la presse et demander ensuite à Havas ou à Hachette de sponsoriser un événement ? » Robert Ménard : « Ces journalistes qu’on veut faire taire », Albin Michel 2001.
L’hyper-concentration de l’information en France où Serge Dassault est propriétaire de 70 titres, dont le Figaro à qui il dit publiquement ce qu’il faut écrire, où Edouard de Rothschild devient actionnaire principal de Libération, où Arnaud Lagardère possède, outre un morceau de l’Humanité, une grande part de l’édition de livres, en concurrence avec le patron du MEDEF (le baron Seillères) semble ne pas gêner les chantres de la liberté d’expression.

(2) Robert Ménard ( Le Monde 21/01/2005) : « Un jour, nous avons eu un problème d’argent. J’ai alors appelé l’industriel François Pinault pour qu’il nous apporte son aide » Ce qu’il fit.

(3) « Cuba, la plus grande prison du monde pour journalistes », tel est le slogan de RSF, qui ne nous dit pas où se trouve « le plus grand cimetière du monde pour journalistes », ni qui l’approvisionne en cadavres. L’acharnement de RSF contre Cuba ne date pas des 75 arrestations d’avril 2003 parmi lesquels on comptait non pas 28 journalistes, comme l’affirme Ménard, mais 1, aujourd’hui libéré. Avant 2003, RSF comptabilisait 4 journalistes emprisonnés sur l’île, mais Castro était déjà, sa bête noire. Comme l’est le Vénézuélien Chavez, président démocratiquement élu. Quand, en 2002, un coup d’état éphémère le conduisit en prison, tandis que la presse loyaliste était interdite, les journalistes emprisonnés et tabassés, deux gouvernements se précipitèrent pour féliciter le patron des patrons qui s’empara des rênes du pays : les USA et l’Espagne de Aznar (aujourd’hui désavoué dans cette affaire par Zapatero) et une « ONG » : RSF qui annonça de Paris que Chavez avait « démissionné » tandis que ses correspondants à Caracas écrivaient qu’ils « savouraient la démocratie retrouvée. »
La similitude des préoccupations de l’Administration US et de RSF est si aveuglante qu’il est à peine besoin de se référer aux récentes déclarations de Condoleeza Rice : « Chavez et Castro m’inquiètent. »